Une liste de lecture à dévorer sans peur !
«Sur le pont, je passai derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve. De plus près, je distinguai une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, à laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, après une hésitation. [...] J'avais déjà parcouru une cinquantaine de mètres à peu près, lorsque j'entendis le bruit, qui, malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d'un corps qui s'abat sur l'eau. Je m'arrêtai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement.»
« Dans le port d’Amsterdam,
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent… »
Dans ce bar d’Amsterdam, il y a Jean-Baptiste Clamance qui se proclame juge-pénitent, hanté qu’il est par le souvenir d’une jeune femme qu’il n’a pas sauvée de la noyade.
Autrefois avocat réputé à Paris, homme mondain, généreux, apprécié de tous et toutes, il a quitté sa vie d’aises et de luxe pour s’exiler à Amsterdam, qu’il considère comme l’une des portes de l’Enfer. Il exerce désormais ses talents d’orateur dans un bar interlope, où tous les soirs, il confesse publiquement ses fautes jusqu’à la lie, pour ensuite renvoyer ses interlocuteurs à leurs propres culpabilités.
Pourquoi ce changement de vie radical, cet exil, cette chute ? Parce qu’en l’espace d’un instant, la conscience de Clamance a basculé dans l’abîme de la vérité et a découvert le sentiment de culpabilité.
Cet instant, c’est celui où, sur un quai de Paris, il a assisté à une autre chute, celle d’une jeune candidate au suicide dans la Seine, et où il n’a rien tenté pour la sauver.
Mais avant cette/ces chute(s), il y a un autre moment, plus fugace, quelques mois plus tôt, où sa conscience endormie avait frémi et commencé à se réveiller : au cours d’une promenade nocturne et solitaire, un rire anonyme dans l’obscurité l’avait atteint au plus profond, sans qu’il en mesure encore tout l’impact. Etait-ce un rire moqueur, en était-il la cible, si oui, pourquoi ? Qu’avait-il donc de risible, de ridicule ? « Il a fallu d’abord que ce rire perpétuel, et les rieurs, m’apprissent à voir plus clair en moi, à découvrir enfin que je n’étais pas simple« .
Taraudé par ces questions, blessé par cette moquerie supposée, Clamance a commencé de réaliser que sa vie bourgeoise et lui-même ne sont que vanité, écran de fumée, hypocrisie, superficialité, égoïsme, vide abyssal, médiocrité.
Lui, l’avocat qui défendait ses clients sans juger leurs comportements et qui se croyait tellement supérieur, hors d’atteinte du jugement du commun des mortels, tombe des nues en découvrant qu’il est un lâche, ou un indifférent, capable de laisser un être humain se noyer.
Ce choc déclenche une profonde remise en question, un examen de conscience radical et absolu. A travers son auto-mise en accusation, il cherche (vainement) sa rédemption, et voudrait, par ricochet, provoquer celle de l’humanité : puisqu’il se juge et s’accuse sans complaisance, il a le droit de juger les autres, pour leur faire prendre conscience de leurs propres fautes.
« La chute » est un monologue intelligent, d’une noirceur brillante, féroce, lucide, implacable, moralisateur, un miroir qui renvoie son cruel reflet à une certaine bourgeoisie égoïste et orgueilleuse.
Ce texte pousse à la réflexion, à un questionnement existentiel sur le sens de la vie, la sincérité ou la duplicité des relations, la liberté, l’image de soi, la culpabilité. Même si je ne me suis pas vraiment senti concernée par le sort du narrateur, j’ai trouvé ce personnage (et ses semblables, ces gens sûrs d’eux, imbus d’eux-mêmes, convaincus de leur supériorité, de leur quasi-perfection et ne se remettant jamais en question) fascinant. Et l’analyse philosophico-psychologique du processus de sa chute encore davantage, tant il tombe de haut. Un vertige difficile à concevoir, je crois, quand on est soi-même la proie d’un envahissant et chronique sentiment d’infériorité (mais c’est une autre histoire et un autre débat).
Quoi qu’il en soit, ce roman distille de l’humain, aveugle à sa propre nature, une vision pessimiste et peu engageante mais, me semble-t-il, pas totalement désespérée.
Depuis quelques temps je souhaitais me repencher sur les lectures de classique que j'avais découverts durant mes études : lycée, université. Pour voir si je les comprenais mieux, comment je les appréhenderais avec quelques dizaines d'années de maturité en plus.
Donc mon défi de début d'année à débuter avec La Chute.
Et ça été très très difficile. Sans doute beaucoup plus qu'à sa première lecture car je n'avais plus l'aide du professeur pour apprécier ce texte philosophique ardu.
Bref, ça presque été un supplice. J'ai trouvé long ce monologue. J'ai décroché pas mal de fois. En fait, je devais être plus mature il y a 30 ans que maintenant !!!
Happée par l'attrait de la nouveauté, j'en oublierais presque mes classiques…
Et pourtant… Je viens de me reprendre une claque, une belle claque même, à la relecture de ce texte complètement fascinant de Camus. Vous ne l'avez jamais lu ? Ah, très bien. Est-ce de la philo ? Oui et non, allez, considérez-le plutôt comme un « thriller » qui risque de vous piéger... à jamais. (J'adore les effets 4e de couv'!)
Imaginez…
Vous êtes à Amsterdam dans un bar, vous aimeriez commander une boisson mais vous ne parlez pas néerlandais. Dommage pour vous. Un petit verre d'alcool vous aurait fait du bien. Vous avez eu froid en longeant les canaux sous ce ciel gris. Par chance, un inconnu vous adresse la parole : il est français, il va vous servir d'interprète et commander à votre place le petit alcool dont vous rêviez. Évidemment, comme il vous a rendu un service non négligeable, vous allez devoir l'écouter. Il est bavard, vous vous en rendez compte très vite. C'est un ancien avocat. Il cause bien, il est cultivé. Il connaît la peinture et maîtrise l'imparfait du subjonctif. Finalement, la conversation que vous pensiez devoir subir se révèle être délicieuse. D'autant que l'alcool commence à faire son effet et que vous vous sentez détendu...
Au fait, il s'appelle Jean-Baptiste Clamence.
Il a ce côté un peu mystérieux que vous aimez tant chez les gens et vous serez content de le retrouver demain. On se sent toujours soulagé de rencontrer un compatriote quand on est à l'étranger. C'est tellement plus facile pour échanger…
Vous n'avez pas toujours compris tout ce qu'il sous-entendait mais comme vous êtes poli et assez réservé, vous n'avez pas voulu poser trop de questions, mais quand même : pourquoi a-t-il juré de ne plus passer sur un pont la nuit ? C'est étrange, non, comme déclaration ! De quoi a-t-il peur ? Pour quelle raison ce rire qu'il a entendu un soir tandis qu'il franchissait tranquillement le Pont des Arts l'a-t-il plongé dans une telle souffrance ? A-t-il quelque chose à se reprocher, un poids qui pèserait lourd sur sa conscience ? Et puis, au fond, pourquoi se confie-t-il comme cela à vous, vous qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam ?
Vous l'écoutez en toute confiance : il semble honnête et droit. Il vous ressemble sur certains points. C'est toujours plaisant de rencontrer quelqu'un dont on se sent proche… Méfiez-vous quand même… La toile qu'il tisse autour de vous est encore invisible, ses fils ne vous gênent pas aux entournures mais sachez-le, ça ne va pas durer.
Sauvez-vous !
Ne vous fiez pas aux apparences… Jean-Baptiste Clamence vous conduira en enfer avant même que vous ayez le temps de réagir...
Pris au piège… au piège de la culpabilité...
Ah, vous voyez, quand je vous dis qu'on le tient, notre thriller ! Allez, trêve de plaisanterie ! On est en 1956, quatre ans avant sa mort : Camus, mal à l'aise avec les idéologies, émet un doute quant aux systèmes qui ne respectent pas les droits de l'homme. Les intellectuels de gauche, touchés dans leur marxisme, le mettent en quarantaine. « L'enfer est ici à vivre » écrit Camus en septembre 52. Il se sent jugé, lui qu'on surnomme « le saint laïque », l'homme vertueux. Il est étiqueté.
Par ailleurs, les années 55/56 voient un homme déchiré par les débuts de la guerre d'Algérie : si Camus, devenu un intellectuel parisien, souhaite l'indépendance de l'Algérie, il se sent trahir les siens qui sont restés vivre là-bas.
C'est donc un homme meurtri qui écrit La Chute et si Clamence n'est pas Camus, il lui ressemble fort.
Clamence s'est exilé, comme Camus. Il a choisi un lieu où le paysage lui rappellerait constamment sa culpabilité : loin des terres lumineuses, la brume épaisse et « les eaux pourries » semblent noyer les êtres tandis que les cercles concentriques des canaux ne manquent pas de rappeler l'enfer de Dante. Clamence est en pénitence. Il a fauté. Je vous laisse découvrir quelles sont les fautes qui le hantent mais sachez que ce qu'il a compris, c'est que nous sommes tous coupables. Il n'y a pas d'innocents. Coupable ? Qui moi ? Oui, vous ! Mais de quoi ? De vous croire juste « quelqu'un de bien » comme le dit la petite chanson. Comme on se sent bien quand on se croit bon ! Clamence a compris que s'il aidait les aveugles à traverser, s'il défendait les pauvres gens, s'il cédait sa place dans le métro, ce n'était pas pour eux mais pour LUI. Que faisons-nous juste pour les autres ? Rien. Ou pas grand-chose. Quand se sacrifie-t-on véritablement ? Jamais. Si, pour ses gosses, donc pour soi. On ne fait que pour SOI, pour se donner bonne conscience, pour l'image que l'on veut donner. Vous voyez, on n'en sort pas. Donc nous sommes coupables. Voilà ce que clame Clamence. « La modestie m'aidait à briller, l'humilité à vaincre et la vertu à opprimer. » Je vous ressers un verre ? Il est des vérités difficiles à avaler…
Et tandis que vous écoutez bien gentiment ce comédien qui connaît parfaitement son rôle, sachez qu'il est en train d'accomplir son plus grand crime (on appelle ça une parole performative car elle dit et fait en même temps) : vous tendre un miroir, vous faire douter (chuter!) en vous faisant prendre conscience qu'appartenant à l'humaine condition, vous n'échappez pas à cette volonté de domination, de pouvoir, à la « vocation des sommets ». Quel sens ont des mots comme amour ou amitié à ce compte-là ? « L'homme est ainsi, cher monsieur, il a deux faces : il ne peut pas aimer sans s'aimer. »
Vous êtes tombé dans le piège de sa « confession calculée » : je tombe et vous entraîne dans ma chute. Oh, pardon, je vous ai fait mal, un petit croc-en-jambe, ce n'est rien, vous allez vous relever... L'araignée vous a traîné au centre de sa toile. Vous n'êtes pas sa première victime, vous ne serez pas la dernière. Clamence est un juge-pénitent : raconter inlassablement ses fautes, ressasser toujours et encore, lui permet de les expier et en même temps, il fait comprendre à tous ceux qu'il rencontre -vous, moi, les autres- qu'on est COMME LUI. « Il faut donc commencer par étendre la condamnation à tous, sans discrimination, afin de la délayer déjà. » Et puis, une fois qu'on s'est accusé, on peut s'offrir les autres : « il fallait s'accabler soi-même pour avoir le droit de juger les autres. »
Vous l'avez bien écouté ? Les nuits sont longues dans le nord et « la chute se produit à l'aube. » Vous repartez la conscience lourde. De son côté, il lui reste à retourner au bar où avec un peu de chance, il aura encore le temps d'en harponner un autre.
Bon, finalement, la relecture des classiques, ça plombe un peu l'ambiance… Avec la flotte qui tombe depuis six mois et les vacances qui n'arrivent pas…
Tiens, un petit tour à Amsterdam, ça vous dirait ?
LIREAULIT http://lireaulit.blogspot.fr/
Ce roman est un classique de la littérature où pourtant un seul personnage ne parle. C'est un livre plein de philosophie, qui nous donne matière à réflexion sur la nature humaine. Albert CAMUS est vraiment un grand écrivain.
Ce roman reste un classique novateur par sa forme de monologue, où un seul personnage parle. On ne trouve donc aucune autre intervention d’un autre personnage. On comprend juste que notre héros, Jean-Baptiste Clamence, s’adresse à un homme qu’il a rencontré lors d’un séjour à Amsterdam. Son monologue se déroulerait lors de promenades dans cette ville.
Ce monologue aborde de nombreuses thématiques qui tournent toujours autour de la philosophie. Il utilise son passé et ses souvenirs pour faire irruption des concepts philosophiques comme l’amitié, l’amour, la liberté, le désir, la vérité, la mort et le courage.
Le titre de l’ouvrage fait référence à un épisode marquant du narrateur où il a entendu une personne tombée à l’eau et n’a rien fait pour la sauver alors qu’elle appelait à l’aide.
L’autre possibilité pour expliquer ce titre est la chute ou la descente aux enfers de Clamence. En effet, ce dernier est un juge pénitent qui est populaire auprès de son entourage et auprès des femmes et il est grandement respecté. Mais petit à petit l’hypocrisie ambiante lui fait changer d’attitude et un nouveau profil devient visible et veut détruire cette « fausse réputation flatteuse » (p98) et devient peu à peu un homme antipathique pour la société.
Le lecteur comprend cette homme qui veut se libérer de carcans liés à la société, et qui cherche la vérité dans l’être humain afin de s’affranchir des mensonges et faux-semblants.
Camus mêle très bien la narration du genre romanesque mais aussi des concepts philosophiques.
Le style de Camus est comme dans toute son œuvre toujours très épuré, il réussit à donner une impression de distance avec son personnage qui est très intéressante. Il n’y a pas de fioritures ou d’excès, les descriptions servent à planter le décor tout en finesse.
Le personnage Jean-Baptiste Clamence raconte ainsi sa vie et l’illustre de concepts existentiels. Pour le décrire, on sait qu’il est quadragénaire, juge pénitent, qu’il a vécu à Paris avant d’arriver à Amsterdam. La description est simple et permet au lecteur de s’intéresser bien plus au contenu de ses paroles plutôt qu’au personnage lui-même, qui est ainsi une sorte de relai pour aborder la vie et les questions qui en découlent.
Camus joue souvent avec les noms de ses personnages, on connaît bien sûr Meursault dans L’Etranger et ici Clamence, qui ramène bien sûr à la clémence de la justice.
Je recommande ce court roman, qui est moins connu que L’Etranger ou que La Peste, mais qui a tout autant de puissance.
L’abord philosophique est également très intéressant mêlé à la narration de type monologue.
https://bruitdepapier.wordpress.com/2016/11/26/la-chute-albert-camus/
Un homme évoque ici les méandres de son âme et de ses actions à un quidam hollandais. Sa manière de se juger est tout à fait honnête, il ne rajoute pas de fioritures et dans les six chapitres énoncés, on se retrouve nécessairement dans certains d'entre eux.
La façon d'aborder le sujet de ce livre est assez original et même très théâtral par certains cotés, il s'agit d'un type, se disant juge-pénitent, qui se confie à un ami de fraîche rencontre. Tout y passe, de sa vanité, son cynisme, de l'amour avec les femmes. Camus nous dresse un portrait peu reluisant de l’être humain, en effet, il nous condamne tous par cette confession intime, car il y a un peu de chacun de nous en ce Jean-Baptiste Clamence. ça fait froid dans le dos.
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