"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Que se passe-t-il lorsqu'une sémiologue rencontre le directeur d'une entreprise de métallurgie? C'est le duo imaginé par David Lodge dans Jeu de société. Derrière l'étonnante alliance des contraires, Lodge interroge la société anglaise et son obsession des classes. Subvertissant le modèle du roman social par l'humour, Lodge tisse une comédie intelligente et irrésistible.
Deux personnages bien campés et que tout oppose, c’est, en général et pour peu que l’auteur ait du talent, une excellente idée de scénario ou de roman. Autant dire que celui-ci est une réussite.
Puisque, comme le dit l’auteur dans sa préface, il s’agit d’un « roman universitaire », partons donc d’un théorème, valable, me semble-t-il, des deux côtés de la Manche, qu’on pourrait énoncer de la façon suivante : « le corps enseignant est, à priori, hostile à toute entreprise à but lucratif au motif principal qu’elle serait inégalitaire et aliénante pour les salariés contraints d’y travailler. » Théorème qui a son corollaire : «Tout responsable d’une entreprise confrontée à l’économie de marché s’interroge naturellement sur ce qu’étudiants et professeurs d’université peuvent bien faire de concret pendant qu’eux-mêmes et leurs employés « mouillent la chemise ».
Pour l’exprimer trivialement, les entreprises sont des bagnes où quelques profiteurs exploitent sans scrupules une multitude exploitée, et les universités sont un refuge de pantouflards qui n’ont qu’une idée très théorique du mot travail et dont la productivité minimaliste amène inévitablement la question qui tue : Qui paye (tout ça) ?... ainsi que la réponse immédiate : nos impôts !
Deux mondes qui s’ignorent tout en se vilipendant. Vous n’êtes pas le premier à vous dire qu’il serait sans doute profitable à tous de rapprocher (un peu) ces deux points de vue antagonistes. De nombreux politiciens y ont pensé et c’est dans le cadre de « L’Année de l’Industrie » sous le patronage du Ministère que Vic va recevoir une fois par semaine une stagiaire prénommée Robyn.
Vic dirige une fonderie où (dixit Robyn, vous l’aurez compris) « On avait l'impression que l'établissement était moins fait pour produire des marchandises destinées au monde extérieur que pour fabriquer de la misère pour ceux qui y vivaient. Ce que Wilcox avait appelé l'atelier des machines ressemblait à une prison, et la fonderie était l'image même de l'enfer. »
Robyn, quant à elle, maître de conférences en littérature anglaise, est spécialisée dans le « roman industriel féminin du XIXème siècle », « Ce que Robyn aime par-dessus tout, c’est déconstruire des textes, sonder les béances et les absences qui s’y dissimulent, découvrir ce qu’ils ne disent pas…, exposer leur mauvaise foi sur le plan idéologique, pratiquer une coupe à travers les réseaux enchevêtrés de leurs codes sémiotiques et de leurs conventions littéraires. » Et, bien entendu, elle est engagée dans le mouvement syndical.
Le roman est donc basé sur cette opposition, le propos et la réflexion sur le sujet sont pertinents et le tout est traité avec cet humour qui offre en permanence des situations ou des dialogues très amusants. Nos deux bull-dogs feront-ils un pas vers l’autre, ou un pas de côté ? Qui sait ? On ne s’ennuie jamais, le sourire est présent en permanence, mais Robyn, si elle en avait le temps, vous dirait que ce livre est très sérieux et que son sujet principal porte sur le cloisonnement et l’incommunicabilité entre groupes socioculturels.
« Sur une des pelouses, un jeune Noir en salopette verte, va et vient avec une tondeuse à gazon, en passant avec précaution autour des parterres de fleurs et entre les étudiants allongés. Lorsque ceux-ci se rendent compte qu’ils le gênent, ils se lèvent, prennent toutes leurs affaires et vont se poser comme une bande d’oiseaux sur un autre coin d’herbe. Le jardinier est presque du même âge que les étudiants, mais aucune communication ne s’établit entre eux – pas un mouvement de tête, pas un sourire, pas une parole, ni même un regard, ne sont échangés. Il n’y a pourtant aucune arrogance de la part des étudiants, aucune rancœur de la part du jeune jardinier, seulement un refus spontané et réciproque d’établir tout contact. Malgré cette proximité physique, ils habitent des mondes séparés. »
Ca vous parle ? Oui, sans doute…mais, attendez… pardon ? Robyn vient d’arriver, que dit-elle ? Que j’écris des bêtises ? Comment, je n’ai rien compris au code sémiotique ? Il faut déconstruire le texte pour en savoir plus ?...
Bon, désolé, je suis déjà en retard, faut que je file, je vous laisse avec elle…
Jeu de société est le tout premier livre de David Lodge que je lis, et c'est une belle trouvaille.
Deux univers que tout oppose, représenté par Vic et Robyn, deux protagonistes aux caractères entiers, sûrs de leurs convictions professionnelles et brillants dans leur domaine.
Une jolie confrontation proposée par David Lodge et qui invite à la réflexion sur la difficulté tout d'abord pour le secteur universitaire de se voir reconnaître une place de valeur dans la société, en raison des notions trop abstraites qui y sont enseignées, et celui de l'entreprise ensuite, qui lui offre une véritable opportunité de résultats, grâce notamment à la répétition des tâches.
Vic et Robyn, sauront malgré tout "s'accorder" le temps d'un week-end, mais parviendront surtout à trouver leur identité, professionnelle avant tout, et réussir ainsi à entreprendre un vieux rêve, ou tout simplement à obtenir une reconnaissance tant méritée.
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