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Le livre de Charles Silvestre est un essai rare de faire vivre « de l'intérieur », et de façon non orthodoxe, cinquante années du journal l'Humanité au travers de son parcours personnel. D'une origine atypique pour le quotidien commu- niste, ancien enfant de choeur, ancien enfant de troupe, c'est la révolte contre la guerre d'Algérie qui l'a conduit vers le journal et le parti des militants communistes tués, en mars 1962, à Charonne.
Son récit va de découvertes en découvertes : les premières grandes grèves ouvrières de l'avant mai 68 et qui le préfi- gurent, l'éclat d'un mouvement étudiant incontrôlable au printemps 68, son souffle libertaire qui désarçonne toutes les institutions de droite et de gauche, les crises de la fin du XXème siècle restées sans réponses...L'auteur se met en jeu jusqu'à une forme d'autocritique et une approche critique, toute en contradictions, de son propre journal, et du parti dont il est, alors, l'organe central.
Ce tableau d'une histoire singulière passe par des hauts et des bas : on vibre avec la « révolution des 0S », (ouvriers spécialisés) essentiellement immigrés de Renault-Billancourt, dans les années 1970, avec le programme commun de la gauche signé en 1972, on s'exalte avec un exceptionnel meeting eurocommuniste Marchais-Berlinguer, et on retombe sur terre quand ces espoirs d'un temps s'évanouissent dans le temps qui suit. Charles Silvestre voit des énigmes dans ces retournements qu'il a vécus de l'intérieur, et qui n'ont toujours pas été éclaircies, mais où pèse le poids d'une Union Soviétique finissante.
L'auteur, à partir de son expérience personnelle, invite chacun à la réflexion sur les cinquante années qui nous sépare du « fol espoir » de mai 1968. A l'heure où l'on déplore une arrogance du capitalisme qui cache un vide historique, une fai- blesse du syndicalisme attaqué comme jamais, une crise sévère de la politique, particulièrement à gauche, la question se pose : comment en est-on arrivés là ?
Mais ce récit est, aussi, une invitation à un journalisme sans préjugé. C'est le préjugé « ouvriériste », communiste au sens convenu, privilégiant la structure, qui a parfois caché à l'auteur la nouveauté, les traits d'une jeunesse qui ne demande jamais la permission de penser et d'agir selon ses inclinations. C'est le préjugé de l'ordre économique régnant qui empêche toute une presse de voir dans le désordre des événements un nouvel ordre qui se cherche.
L'Humanité, pour l'auteur, est un cas : sans obligation d'État, ni fil à la patte financier, le quotidien fondé par Jean Jaurès a son avenir dans cette liberté de penser et d'agir. C'est la capacité de se laisser surprendre, de cultiver une « improvisa- tion qui ne s'improvise pas », qui devrait devenir la règle d'or des journalistes, à commencer par ceux du journal auquel rêve encore Charles Silvestre.
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