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Des images posées, piquées aux murs, dans le décor de la ville ou de votre intérieur, dans les motifs, dans les journaux et dans les livres. D'autres qui remuent à la télévision, à la surface d'un écran. Des images qui sont des objets du monde. Et certaines parfois qui le creusent. Certaines qui ouvrent leur espace propre, qui appellent ce dont elles témoignent là où elles se manifestent mêlant les lieux et les temps, ou qui manifestent leurs qualités d'images, leurs qualités propres dans leur façon de témoigner et qui les fait excéder tout témoignage, toute vocation documentaire. Qui vous retiennent. Des images qui finalement créent un monde dans le monde, qui vous habitent autant que vous les habitez, qui vous regardent autant que vous les regardez.
Le texte de Louis Imbert est le livre d'un regard posé sur ces images qu'il collectionne et sonde jusqu'à espérer qu'elles livrent quelque chose, qu'elles se disent. Des corps, des hommes, des visages surtout et quelques vues qui portent un peu du corps et du visage de qui les a forgées. Et comment ces visages se compliquent d'être pris dans l'image qui fait par-dessus eux un visage encore, une « figure ».
C'est sous le titre de « visages » qu'il nous a d'abord confié ce texte avant de lui préférer celui de « faces » et ce livre tout entier se tient dans cet écart en lequel jouent les images : entre la pure présence, ce « point de fascinante étrangeté » en lequel elles se tiennent et ce qu'elles convoquent et font sinuer en nous. Je me souviens de cette préface par laquelle Artaud présentait une exposition de ses dessins et de ce qu'il insistait sur la difficulté de peindre un visage ou plus probablement de l'incarner. Cette phrase : « le visage humain n'a pas encore trouvé sa face ». De Holbein à Ingres, dit-il, des portraits qui ne sont toujours que des « murs épais », mutiques. Si l'ambition d'Artaud est de passer de l'autre côté de ce mur qu'est le portrait, pour essayer d'atteindre le visage que le portrait masque, de « forcener le subjectile » ou de ne pas se laisser trahir par ce subjectile qu'est la page, force est de constater que les images photographiques quelquefois dérobent au fond du mystère mutique de leurs faces quelque chose qui pourrait bien être un visage et qui alors vient à nous.
Souvent la photographie a manifesté l'influence visuelle des tableaux dont les compositions et les gestes la hantent. On a en mémoire la photographie de Georges Mérillon connue sous le nom de Pieta du Kosovo dont les lumières, l'expressivité des poses et des gestes lèvent des souvenirs de Caravage. Ce titre de Faces, c'est appuyer sur ce en quoi les images dressent des regards aveugles auxquels nos propres regards s'affrontent. Toute la tradition iconique de l'incarnation, la Véronique de Philippe de Champaigne. Ces images auxquelles on bute. Retenir ce mot de « faces », c'est dire comme les images ont des regards qui vous repoussent, qui font que dans leur fixité il vous semble qu'elles ne font toujours que s'éloigner, devenir lointaines, étrangères. Qu'elles s'esseulent. Mais c'est dans ce mouvement paradoxal qu'elles nous ouvrent au travail du regard et alors ce que l'on verrait sourdre des images ce ne serait pas une seule présence fascinante, mais « le toucher pensif en quoi elles changent la vue ».
Au fond, j'étais enthousiaste d'accueillir dans la collection Portfolios précisément ce livre sur l'image, sur notre rapport aux images et qui ne contiendrait matériellement aucune photographie, un livre qui précisément travaillerait à tracer le portrait (forcément subjectif) de ces faces qui nous hantent et en lesquelles parfois un visage nous semble familier.
Jérémy Liron
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