"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Cezar Braia est pris en otage. Le jeune homme et son ravisseur sont encerclés par la police en bordure de forêt. Mais le sauvetage tourne au fiasco lorsque le héros se surprend lui-même à ne pas vouloir se désolidariser du fou dangereux qui l'a enlevé. Replongeant dans sa trajectoire amoureuse et existencielle, il dresse une homosexualité vécue dans une sorte de clandestinité dont il sortira peut-être aujourd'hui...
C'est un roman sorti en février dernier aux Éditions Marie Barbier, d'une autrice et poétesse roumaine, Dora Pavel. C'est le premier de ses romans qui ait été traduit en français, elle a été remarquée par son roman, Agata se meurt en 2003, qui lui a valu le Prix de l'Union des Écrivains de Roumanie et que la quatrième de couverture qualifie de thriller psychologique. Ce titre là, à mon sens, emprunte quelques codes du genre, il se révèle davantage être un roman psychologiques car les divers mode de narration sont centrés autour de la personnalité et de l'histoire du personnage principal, Cezar Braia.
Les chapitres alternent d'une part entre Cezar Braia le narrateur fuyard, pris en otage par un évadé anonyme, échappé de son sanatorium, au beau milieu des forêts de Transylvanie, et Cezar, le jeune homme perdu qui revoie sa vie défiler depuis son plus jeune âge : une fuite en avant alterne avec cette fuite en arrière. Nous apprenons à connaître Cezar, à travers un début de vie anarchique et totalement décalé, une vie familiale chaotique, les drames qui l'entachent, la découverte de son attirance pour les hommes. Les premières lignes donnent à voir un homme terrorisé, presque paranoïaque, pris dans sa fuite loin de ce ils encore anonymes, incarnés par les forces de police puis par la société entière. Il est clair que l'homme n'est pas dans son état normal face à cet inconnu, l'homme, le forcené, qu'il toise, sous le bruit des hélicoptères à leur recherche, on ne sait pas vraiment encore si Cezar est complice de l'homme. En tout cas, c'est la position qu'il semble tenir en fuyant les autorités. Car au fur et à mesure que l'on apprend à connaître Cezar, on apprend ses failles, une voix éraillée qui l'a toujours handicapé, des parents négligents, une sexualité que l'on qualifiait d'invertie. Et malgré cette voix éraillée qu'il déteste, c'est toujours sa voix à lui que l'on entend, son collègue fuyard, ou tous les autres protagonistes évoqués, ne s'expriment jamais.
Si la fuite du « psychopathe véritable, échappé du sanatorium » peut avoir un sens, celle de la fuite de sa prison aux gens et murs blancs, comment comprendre celle de Cezar, qui endosse le rôle du forcené en dialoguant avec les forces de l'ordre, qui s'approprie » l'instinct animal de l'homme traqué demande justice ». Peut-être celle d'un homme perdu, qui semble vouloir chercher des réponses dans son passé, dans ses relations sentimentales toujours entachées d'une dimension un peu malsaine, obsessionnelle avec Sever Caprini, surnommé La Voix, son ancien amant auquel il s'adresse dans certains chapitres par le biais de chapitres épistolaires.
Dans ce mouvement de fuite en avant avec ce compagnon d'échappée, j'ai ressenti comme l'envie de Cezar de fuir le monde des hommes, tout ceux qui l'ont jugé, et le jugent encore, lui l'enfant abîmé avec sa voix éraillée, surtout lorsqu'on sait comment la Roumanie comme bien d'autres pays a puni l'homosexualité, reléguant les individus concernés dans une anormalité dégradante et stigmatisante. La façon dont il considère son compagnon de fuite, avec admiration et compassion, est très révélatrice, puisque pour lui, il est le seul à avoir réussi à se détacher de la civilisation, dans ce coin de Transylvanie, « la forêt peut-être une frontière entre l'homme et la bête ». Comme son comparse, dont la folie est sans cesse soulignée – la volonté simple de fuir la société et la civilisation peut être considéré comme un signe de folie – mais dont nous ne comprenons pas vraiment la portée, Cezar est un homme chargé d'un sacré mal de vivre qu'il nomme « syncope existentielle ». A moitié fracassé, jusqu'à sa voix à moitié éteinte, mal à l'aise dans sa place de mis en exergue de sa famille, de la société, c'est comme un renoncement aux hommes, au sein desquels il se trouve en décalage complet. Une frontière ultime entre eux et le monde.
C'est une fuite, en répétition d'autres fuites qu'il a faites petit, doté d »‘une volonté rebelle » pour échapper d'un foyer qu'il qualifie volontiers de morose et replié sur lui-même. Un acharnement à connaître autre chose, une volonté farouche de s'évader loin de cette masse humaine qui isole ceux qui vont à contresens, ceux qui sortent du chemin tout tracé, ceux qui s'éloignent du mode de vie qu'ils croient être juste et bon, ces « inadaptés ». Une fuite dans un « dédale » comme le précise le résumé de quatrième de couverture, qui a effectivement une sortie, celle vers l'attente, avec deux ultimes phrases à la violence contenue qui ne laissent rien présager de bon.
L'écriture flamboyante et tranchante de Dora Pavel emporte tout, à l'image d'un torrent qui coule en gros flots, en débit irrégulier avec une eau, quelquefois paisible, souvent tumultueuse, par nature massive et dévastatrice. Et d'où l'on a bien du mal à sortir. (...)
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