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Victimes du chômage, Eva et Manuel, dont le couple s'est forgé dans le militantisme politique, ont tout vendu et quitté le Sud avec leurs trois enfants pour s'installer à la frontière belge où Eva, reconvertie en aide-soignante, travaille dans un centre de rééducation fonctionnelle réservé à de jeunes patients. C'est là qu'elle rencontre Gabriel, un jeune homme tétraplégique d'une extraordinaire beauté. Postée au bord de son fauteuil comme au bord de l'abîme, Eva croit alors glisser hors du monde quand celui-ci est précisément en train de refermer sur elle son piège. Le bouleversant roman des "immigrés de l'intérieur ", voués par la douloureuse illisibilité de leurs combats à devenir à jamais insolvables aux yeux d'une société toujours plus soucieuse de performance et de résultats explicites.
Eva et Manuel, mariés depuis dix-huit ans, sont contraints de quitter le Sud de la France avec leurs trois enfants après la fermeture de la rizerie où ils travaillaient depuis toujours. Le mouvement social destiné à sauver leurs emplois et dont ils furent les acteurs s'est soldé par un échec, et plus terrible encore, par l'humiliation que leur ont infligée des actionnaires qui, forts d'une conception de la société où les êtres humains ne sont rien face à la rentabilité et au profit, ne leur ont accordé que mépris. Après le chômage, les petits boulots et la réorientation professionnelle, la famille échoue à la frontière belge où Eva, reconvertie en aide-soignante, a décroché un CDI au sein d'une clinique pour enfants, adolescents et jeunes adultes : ils sont myopathes, cancéreux, traumatisés crâniens, leucémiques, paraplégiques, tétraplégiques - des condamnés à plus ou moins long terme.
Eva se bat contre la mort comme elle s'est battue contre les actionnaires de la rizerie. Avec un acharnement aveugle, la rage de ne pas savoir. Manuel, qui a fini par retrouver du travail en acceptant d'être rétrogradé au poste de manoeuvre dans une cimenterie, perd son emploi au bout de quelques mois, victime d'une nouvelle fermeture. Pour survivre aux journées où elle côtoie la souffrance et la maladie, Eva doit s'efforcer de séparer le monde de la clinique de sa vie familiale, apprendre à s'endurcir, à traverser les jours comme en apnée. A la rudesse des tâches vient s'ajouter l'arrivée, à la tête de la clinique, d'un certain Lambert, odieux personnage qui, avec deux acolytes, va peu à peu bouleverser l'équilibre des patients et du personnel en instaurant, au nom de l'ordre et de la rentabilité, un climat délétère, fait d'inhumanité et de suspicion.
Dans ce quotidien opaque où elle "tenait" plus qu'elle ne vivait, Eva se sent progressivement couler, et voit en Gabriel, jeune homme tétraplégique d'une extraordinaire beauté, sa lumière, son souffle. Peu à peu, elle ne vit plus, à son insu, que pour les quelques minutes quotidiennes passées à explorer avec Gabriel, dans le sous-sol de la clinique, un érotisme réinventé, fait d'instants de pure sensualité, sans conscience, sans pensée. Postée au bord du fauteuil de Gabriel comme au bord de l'abîme, elle ne sait ce qui lui arrive, ce qui l'aimante dans l'aura de ce jeune homme au corps presque mort.
Pendant des mois, alors que Manuel prend un nouvel élan grâce à ses talents cachés de réalisateur - un court-métrage tourné dans des usines en grève lui vaut un prix et le titre de "cinéaste des sans-voix" -, Eva, happée par cette force qui la pousse vers Gabriel, se vide de sa substance ; elle n'est plus celle qu'elle était, bientôt elle n'est plus ni mère ni épouse. Traversée par des éclairs de lucidité, elle sait qu'elle est en train de détruire le peu qu'elle a construit, mais cela ne semble plus compter. Peut-être à cause de la vague et douloureuse conscience que ce qu'elle laisse derrière elle n'est qu'un paquet de souffrances. Surprise avec Gabriel par l'un des espions de Lambert, Eva finit par perdre son travail et dérive vers un naufrage qui n'est que trop certain.
Terrifiant état des lieux de notre société et grand roman de l'amour impossible, Décharges est une bouleversante élégie à tous les "immigrés de l'intérieur", ces êtres cernés, condamnés à tenir "KO debout" aussi longtemps que possible, accablés qu'ils sont par des forces économiques qui détiennent sur eux droit de vie et de mort.
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