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On peut sans doute définir les Temps modernes ou la modernité comme " l'époque de la représentation ", une époque où tout serait pensé en termes d'image, d'idée et de concept. Loin de là, cependant, le projet d'un grand simulacre du monde, d'un " trompe-l'oeil ", manoeuvré par une cohorte de démons. Bien au contraire, parler de représentation, c'est affirmer la réalité objective du monde, c'est postuler une connaissance possible de l'objectivité de l'être. Pour Descartes, justement, penser par représentation ou penser objectivement, cela revient au même. Aussi faudra-t-il questionner les fondements de cette équivalence. D'un côté, Descartes hérite d'une métaphysique de la représentation, déjà bien établie depuis l'école de Duns Scot. D'un autre côté, il ouvre un champ d'analyse pour une théorie de la subjectivité, qui prendra forme avec Kant. Entre les concepts de représentation et de subjectivité, Descartes n'a peut-être rien inventé, mais il aura su mieux que tout autre problématiser le nouveau statut de la métaphysique. Des lors que les pensées ou les représentations se voient attribuées une réalité objective propre, alors comment pourrons-nous distinguer ces pensées des fictions, le cogitatum du fictum ? À partir de là, Descartes va élaborer une double argumentation, l'une métaphysique et l'autre morale. La première portera sur l'existence de Dieu. Elle consiste à dire que si Dieu existe, comme un être infini et tout puissant, alors il ne m'a pas trompé dans la clarté de mes idées. En ce sens, toutes mes idées claires seraient des idées vraies, et non des fictions. Or, en prouvant l'existence de Dieu, Descartes aura finalement démontré qu'en réalité, Dieu peut me tromper, donc falsifier mon esprit en faisant de mes pensées des fictions. D'où le glissement nécessaire - dans l'énoncé de la preuve - entre une argumentation métaphysique et une argumentation morale : si Dieu existe dans sa toute puissance, il aura peut-être pu me tromper, mais il n'aura certainement pas voulu me tromper. Dieu n'est pas trompeur et toute erreur est mon dû. C'est l'argument de la Théodicée, de la justice de Dieu, sa justification, comme preuve de dernière instance. En somme, c'est le statut de la moralité qui se joue ici. Quelle morale pour une métaphysique de la représentation ? Non plus une morale de l'action dans le miroir d'une métaphysique de la contemplation, mais une morale au fondement de la métaphysique. Mes représentations, mes connaissances, tout ce savoir des sciences humaines et objectives, restent suspendues au destin d'une fiction, donc menacées de fiction. L'époque de la représentation, c'est non seulement le temps des " conceptions du monde ", mais c'est d'abord et avant tout l'ère de la menace. Une menace de fiction qu'il faudra justifier par l'ordre de la moralité.
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