Un vrai bonheur que ce nouveau roman d'Olivier Bleys. Après avoir fait voyager un piano-forte dans le Brésil du début du 19ème siècle dans le très beau Le colonel désaccordé, voilà qu'il fait voyager un piano brinquebalant dans un village perdu de la Sibérie. Si j'avais émis quelques -toutes...
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Un vrai bonheur que ce nouveau roman d'Olivier Bleys. Après avoir fait voyager un piano-forte dans le Brésil du début du 19ème siècle dans le très beau Le colonel désaccordé, voilà qu'il fait voyager un piano brinquebalant dans un village perdu de la Sibérie. Si j'avais émis quelques -toutes petites- réserves sur son dernier roman Le maître de café, là, je fonds véritablement. Tout est là pour plaire aux lecteurs : paysages enneigés, grands espaces, personnages typiques, caricaturaux parfois comme Sergueï alcoolique notoire qui noie sa solitude et sa tristesse dans la vodka qu'il distille lui-même, situations absurdes, comme cette main qui refuse totalement de jouer cet air de Rachmaninov (que j'écoute en écrivant ce billet), flirt avec le conte ou la fable, humour et belle écriture. Que demander de plus ?
Pour la belle écriture, les belles phrases, les amateurs seront servis, avec en cerise sur le gâteau un lot d'imparfaits du subjonctif fort à-propos qui, loin d'être pompeux enjolivent la phrase : "Puis, de retour en France, il avait fréquenté diverses classes de perfectionnement avant que ses parents, d'accord avec ses professeurs, jugeassent l'étudiant assez mûr pour affronter les concours internationaux." (p.84). Le style est léger, alerte, très accessible même s'il ne cède pas à une facilité de mauvais aloi ; on peut plaire au plus grand nombre avec de l'exigence littéraire, ce que prouvent Olivier Bleys et très récemment (chez le même éditeur d'ailleurs), Eric Pessan avec Muette. Pour l'humour, il est présent tout au long du livre, dans des situations, dans des personnages (le portrait de Colin est un peu long, sinon je l'aurais cité bien volontiers, je l'ai lu à voix haute à la maison et il a fait sensation) ou des répliques. Il est tout à tour léger ou plus noir :
"- Ça fait huit mois que je n'ai vu personne, indiqua Oleg en réchauffant le thé. Le dernier à m'avoir rendu visite portait un sac à dos et venait de Suisse. Il prétendait faire le tour du monde à pied. Malheureusement, deux ou trois jours après son passage chez moi, il a rencontré un ours plein d'appétit. J'ai ramassé un tibia et des morceaux de crâne au bord de la rivière.
- Ce sont des choses qui arrivent, commenta sobrement Vladimir
- Il est heureux qu'il arrive encore des choses en Sibérie fit l'ermite en versant l'infusion dans des verres minuscules à culot de métal." (p.147/148)
Parfois, c'est dans un détail :
"- Comment t'appelles-tu, demanda Vladimir, très excité. Parle lentement, s'il te plaît, que j'entende bien...
- Colin Cherbaux
- Kolincherbo, répéta plusieurs fois l'éboueur, avec une délectation timide, un demi-sourire flottant dans sa barbe." (p.47/48)
Tout cela pour dire que j'ai pris grand plaisir à lire cette aventure de Kolincherbo comme dirait Vladimir, qui parle également de l'amitié, de retrouver ses vraies valeurs, du partage, du sens de la vie, ... enfin que des sujets universels dont Olivier Bleys s'empare joyeusement et finement. Le souffle de Sibérie est présent du début à la fin, loin d'être glacial, il réchauffe les corps et les esprits (surtout si l'on y adjoint de la vodka), et donne sourire et enthousiasme aux lecteurs.