"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Les poignantes mais souvent joyeuses histoires de ce livre composent la tendre chronique d'un homme qui se souvient de son père, génial représentant de commerce et grand amoureux de la pêche, géant captivant et charmeur aux yeux de l'enfant qu'il était. Elles commencent simplement, par ce regard de l'enfance, puis elles se développent pour illustrer la prise de conscience d'un garçon qui grandit et observe le monde autour de lui. Et si elles reconstituent l'histoire de sa famille, avec en arrière-plan celle de l'Europe centrale, elles sont en réalité beaucoup plus que cela :
De touchantes méditations sur la vie et la survie, la mort et la mémoire, l'humour, la justice et la compassion.
Classique de la littérature tchèque au même titre que les oeuvres de Jaroslav Hasek et Bohumil Hrabal, ce livre largement autobiographique, traduit dans de nombreux pays, de la Pologne à l'Italie, de l'Espagne aux Etats-Unis, en passant par Israël et l'Allemagne, ne l'avait encore jamais été en français. Et s'il est un des préférés des lecteurs tchèques, il l'est aussi de l'écrivain et journaliste polonais Mariusz Szczygiel (Gottland et Chacun son paradis, éd. Actes Sud), auteur du texte De la vie vécue comme une fête, qui accompagne cette édition.
Otto Popper (1930-1973), dit Ota Pavel, est pragois. Son père Leo Popper est un homme fantasque, toujours une bonne idée en tête, de celle qui le rendra riche. Plusieurs fois, grâce à son talent de vendeur, il fut le meilleur vendeur du monde d’aspirateurs et de réfrigérateurs chez Electrolux, et plusieurs fois décoré pour ses faits d'armes, il gagnera beaucoup d'argent, puis le perdra. Mais la passion de Leo, qu'il transmettra à ses trois fils, et surtout à Otto est la pêche. Ils courent ainsi les rivières et les lacs à la recherche de divers poissons, autant pour le plaisir de les pêcher, de les tenir en mains, que de les déguster.
Ce titre, paru en 1971 est le récit de l'enfance d'Ota. Totalement insouciante jusqu'à son adolescence, Leo est tellement charmeur et extravagant qu'il change tout en véritable joie. Puis la guerre survient et le départ des deux grands frères d'Otto vers les camps ainsi que leur père. Herminia, la mère des garçons est chrétienne, mais Leo est juif.
La jeunesse d'Ota fut difficile parce que dans des périodes troublées dans son pays,et contre toute attente, joyeuse. A travers de nombreux courts chapitres, il raconte de manière enjouée, sans nostalgie ce qu'il vécut dans cette famille aimante et pas banale. Il dit aussi les privations de la guerre, le statut de juif, l'occupation nazie, mais il a toujours une pirouette en fin de chapitre pour rendre tout cela moins plombant. "Une lecture physiquement contagieuse, qui produit des bulles de joie sous la peau" à écrit Erri De Luca. J'opine. Il est même surprenant de ne le lire que maintenant, paru une première fois en France en 2016 aux éditions Do et donc en 2020 chez Folio. Deux phrases résument assez bien Leo, suite à une idée farfelue : "Notre maman déclara que seul papa pouvait inventer une connerie pareille, mais papa n'en tint aucun compte. Lorsque j'y repense aujourd'hui, je dois donner raison à papa, ce fut spécial et magnifique." (p. 187)
https://evabouquine.wordpress.com/2016/12/24/ota-pavel-comment-jai-rencontre-les-poissons/#more-1531
L'histoire de la famille du narrateur, la figure attachante du père, la pêche, la nature, l'histoire en filigrane : un très beau roman à découvrir en cette fin d'année. C'est le premier livre traduit en français d'Ota Pavel et il faut s'en féliciter.
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