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Dès 1918, André Breton s'adonne au collage dans des poèmes et des lettres qu'il adresse à ses amis Louis Aragon, Théodore Fraenkel et Jacques Vaché. Peu après la mort par overdose de Vaché survenue à Nantes le 6 janvier 1919, Breton entend avant de s'endormir la phrase «?Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre?». Ce message automatique va préluder au lancement de l'écriture automatique des Champs magnétiques avec Philippe Soupault. Au printemps de 1924, Breton distribue à son épouse Simone et une quinzaine d'amis surréalistes une pile de cahiers d'écolier pour qu'ils s'exercent à l'écriture automatique au fil de leur plume et au poème-collage en découpant des titres de journaux. Pour sa part, du 16 mars au 11 mai 1924, Breton enchaîne dans sept cahiers d'écolier une centaine d'historiettes auxquelles il mêle quatorze poèmes-collage. Dès la fin avril de 1924, Breton dévoile dans son Carnet le titre qu'il adoptera pour sa poésie du printemps surréaliste : «?Un bocal de poissons rouges circule dans ma tête et dans ce bocal il n'y a que des poissons solubles, hélas. LE POISSON SOLUBLE, j'y ai pensé et c'est un peu moi, un peu ma sévérité native qui ne demande qu'à rire, qu'à reprocher?». Sans les sept cahiers de Poisson soluble et sans la session du printemps, Breton et Aragon n'auraient pas écrit respectivement le Manifeste du surréalisme et Une vague de rêves. Les historiettes de Poisson soluble déploient tous les registres : conte et nouvelle, chronique et reportage, dialogue et scénario, autobiographie et fantaisie, théâtre et grand guignol, confession et science-fiction, digression et procès-verbal, apostrophe et plaidoyer, chant et rhétorique, apocalypse et prophétie, poésie lyrique et spéculation philosophique, récit de rêve et merveille. Un trait constant est celui d'un transformisme généralisé du vivant et de l'inerte, où valsent minéraux, végétaux, oiseaux, poissons, animaux et humains. On passe aussi sans coup férir du «?je?» au «?fil?» ou bien l'inverse. On comprend alors que l'homme, et Breton en particulier, soit soluble dans sa pensée ou dans ses discours. À vrai dire, les poèmes-collages surprennent encore davantage. En jouant des ciseaux avec les pages des journaux, le poète affronte articles, rubriques, critiques, photographies, annonces et surtout publicités à gogo. Tout s'y expose et s'y entremêle : faits divers, mode, guerre, psychologie, sciences, littérature, arts, technique, Paris, théâtre, cinéma, sports, politique, etc. La décision, sans doute plus spontanée que réfléchie, de tailler dans un titre ou une réclame, en dit long sur les obsessions et les convictions du poète collagiste. Nous avons là une occasion unique de scruter la subjectivité de Breton. La publication en fac-similé des sept cahiers de Poisson soluble d'André Breton sonne comme un coup de tonnerre. On peut enfin prendre connaissance de l'intégralité de Poisson soluble à travers sa centaine d'historiettes et ses quatorze poèmes-collages tirés des journaux. La comparaison des trois éditions de Poisson soluble est plus qu'édifiante. L'édition originale d'octobre 1924 - éditions du Sagittaire, chez Simon Kra - s'avère partielle, avec moins d'un tiers des historiettes et aucun poème-collage. L'édition posthume de 1988 - oeuvres complètes d'André Breton, tome 1, Bibliothèque de la Pléiade - apparaît décousue car elle présente Poisson soluble en deux blocs séparés, d'un côté les textes de l'édition originale et d'un autre celui des inédits?; mais elle est aussi incomplète puisqu'elle se prive de douze courts textes automatiques et ce qui est plus grave, parce qu'elle ne reproduit pas les vingt pages du deuxième cahier de Poisson soluble?; de surcroît, les poèmes-collages ne sont pas clichés mais typo graphiés. Notre édition de 2024 restitue quant à elle l'intégralité et la continuité des sept cahiers de Poisson soluble, ce qui permet non seulement de suivre le jaillissement de l'écriture automatique d'un cahier à l'autre mais aussi d'admirer les poèmes-collages dans la fraîcheur du fac-similé - sans compter que grâce à la découverte des sources des découpures nous avons pu proposer une lecture renversante des poèmes-collages.
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