Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Japon, fin des années 1960. Nagisa, jeune citadine tokyoïte aux manières policées et pudiques, débarque avec son paquetage sur Hegura, petite île de pêcheurs reculée.Là, elle est adoptée par Isoé, la cheffe de la communauté des «Ama» qui gouverne l'île. Les Ama, ces «femmes de la mer» brutes, fortes et sauvages qui plongent en apnée, nues, pour pêcher des coquillages...
Un merveilleux album qui nous fait découvrir ces femmes japonaises qui plongeaient en apnée et quasiment nues pour dénicher des coquillages.
Nous y découvrons un univers très féminin, où les hommes sont relégués aux seconds rôles, une société à part qui voit ses traditions mises en difficulté par la pêche moderne.
Le grand plus de cette bd, ce sont ses dessins jouant avec les tonalités bleutées des fonds marins. Il y a une véritable poésie qui se dégage de ces planches, même si l’histoire nous fait ressentir la rudesse de la vie des pêcheuses. J’ai particulièrement apprécié les personnages qui nous sont présentés, et les histoires qu’ils nous racontent.
Bref je suis totalement conquise.
Une belle découverte que l'univers des Ama (femmes de la mer) , ces sirènes du Japon qui selon la tradition plongeaient en apnée uniquement vêtues d'un pagne afin de pêcher des ormeaux.
Le récit s'étale de l'été 62 à l'hiver 68, l'épilogue, lui, se déroulant en 2003.
Nagisa quitte Tokyo pour venir s'installer sur l'ile Hegura chez sa tante Isoé et s'initier au métier d'Ama. On comprend très vite que ce départ est une fuite, sans en connaître les raisons qui ne seront dévoilées que beaucoup plus tard. Il va lui falloir s'adapter. Comment elle, jeune fille de la ville timide et pudique parviendra-t-elle à s'intégrer dans cette société de femmes au franc parler et au caractère bien trempé ?
Pourquoi le souvenir de sa mère, considérée comme l'une des meilleures Ama est-il aussi tenace au sein de la communauté ? Quelle est la raison de la brouille des 2 soeurs avant même la naissance de Nagisa ?
Toute Ama a son « Tomaé », frère, ami, mari qui veille sur elle, à moins que ce ne soit l'inverse et que ce soit elle qui veille sur lui. Nagisa trouvera-t-elle le sien ? ...
Un bel album magnifiquement illustré dans une tonalité de bleu qui a le mérite de nous faire découvrir un métier bien réel à travers une histoire attachante sur fond de secrets de famille.
Une « ama » au japon, c’est une femme qui plonge en apnée pour pêcher des coquillages, ormeaux, huitres… Ces « amas » sont des femmes indépendantes au caractère bien trempé. Elles font vivre leur famille du produit de leur pêche et prennent les décisions au conseil du soir, habitude radicalement opposée à celle des femmes du Japon des années 60.
Avec, en filigrane, le destin de ces « amas » et de leurs traditions, Franck Manguin nous conte une belle histoire de femmes. Nous découvrons l’île d’Hegura à travers le regard de Nagisa qui y débarque pour la première fois. Reçue fraichement par sa tante, elle veut devenir une « ama » à la place de sa mère qui a fui l’ile vingt ans plus tôt. Nagisa va apprendre les coutumes et devra trouver un « tomaé », c’est à dire un homme qui tient la corde lorsqu’elle plonge. Peu à peu, l’histoire révèle les failles et les secrets des deux femmes qui perpétuent une activité ancestrale. Les conflits ne sont pas rares et la vie pas toujours facile, surtout face à la concurrence des bateaux de pêche, ces « dragons de mer ».
L’histoire, qui trouve son épilogue en 2003, est d’une grande humanité. Bien documentée, elle nous apprend ce qu’était l’existence de ces femmes féministes et écologistes avant l’heure. On y découvre aussi la surpêche et la diminution des ressources marines.
Les illustrations en bleu et noir sont d’une belle sobriété qui colle bien à l’histoire. C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai plongé dans ce bel album de 108 pages et respiré au rythme de ces « amas », sirènes des mers.
Une pépite au salon de Montreuil bien méritée!
Sur le même sujet est paru, en avril 2021, "Les sirènes du Mississipi" de Cédric Morgan que j'ai hâte de lire, encore plus après votre chronique, car je suis admirative et intriguée par ces femmes, par leur vie et leur métier.
Il y a des jours parfaits pour les chroniques en retard. Celles qui attendent depuis des semaines… Ce n’est pourtant pas faute d’avoir aimé ce délicat roman graphique.
C’est d’abord sublime, je suis tombé sous le charme des dessins de Cécile Becq en bleu-ivoire et noir. Et ce travail graphique tendre et pudique sert à merveille une histoire forte.
Ama, ce sont ces femmes qui plongent en apnée dans les profondeurs à la recherche des ormeaux, tradition japonaise de l’île d’Hegura. Nagisa arrive de la ville, envoyée par sa mère chez sa tante, et se confronte à un monde totalement différent. A travers elle le lecteur découvre un monde fait de rites, de coutumes.
Franck Manguin maitrise son sujet et propose un scénario ciselé en 4 temps de l’été 1962 au printemps 2003. On y suit donc Nagisa, le choc culturel auquel elle est confrontée va l’amener à faire des choix.
Un choc aussi pour moi ... un album à la fois poétique et documentaire, une réussite !
« Ama », c’est une longue bande dessinée de 110 pages parue aux éditions Sarbacane fin mai 2020 avec Cécile Becq aux pinceaux et Franck Manguin au scénario. Ce roman graphique raconte de façon à la fois poétique et documentaire, dans des récits entremêlés, l’histoire d’une femme, d’une famille et d’une communauté. Nagisa, une jeune tokyoïte est envoyée par sa mère Chitosé, qui en est partie 20 ans auparavant, sur l’île d’Hegura auprès de sa tante Isoé pour rejoindre les amas (« les femmes de la mer ») et apprendre leur métier. L’album décrit ainsi ce métier, les conflits qui vont éclater entre ces deux mondes si éloignés et les secrets de famille qui émergent peu à peu. L’ensemble créant pour le lecteur un dépaysement nostalgique non dépourvu d’accents féministes et écologiques aux résonances très actuelles.
Une Bd presque documentaire
Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, il ne s’agit pas d’une traduction d’un album nippon : le scénariste, Franck Manguin (qui devait au départ réaliser également les dessins) est bien un auteur français mais il connaît intimement le Japon et la région où se déroule l’histoire. Il est titulaire d’un diplôme de langue, littérature et civilisation japonaise et a vécu trois ans au pays du soleil levant. Il est désormais interprète et traducteur. Il a choisi pour cadre l’île isolée d’ Hegura dans la préfecture d’Ichikawa à l’Ouest du japon.
Ama n’est pas le prénom de celle que l’on voit évoluer torse nu dans les fonds sous-marins, sur la couverture, mais bien le nom que l’on donne à ces « filles de la mer » , qui chaque jour, plongent en apnée dans les profondeurs à la recherche d’ormeaux qu’elles revendront ensuite au marché. Quant au « souffle des femmes » dont il est question, il s’agit de la méthode de respiration pratiquée par les pêcheuses, « l’isobué », qui leur permet en hyperventilant de plonger sans risquer d’accidents respiratoires. La couverture marque d’emblée, dans l’attitude gracieuse et guerrière à la fois de la protagoniste, comment ces amas peuvent évoluer de façon fluide et sensuelle dans l’eau (ce qui leur a valu le surnom de sirènes de la mer) grâce au mouvement de la chevelure et à la position du corps tout en courbes mais aussi comment il s’agit d’un dur métier avec le poinçon qu’elle tient comme une arme et son attitude concentrée.
On en apprend beaucoup sur la vie de ces travailleuses de la mer grâce à une ouverture « in medias res » grâce à laquelle nous nous trouvons directement immergés dans une journée de travail d’une ama, Isoé. On découvre ainsi leur tenue de travail : elles sont vêtues d’un petit pagne appelé « fundoshi » et d’un bandana blanc « le tenugui ». Une simple corde nouée autour de la taille les relie à leur « tomaé » (mari, frère ou ami qui veille sur elles) qui attend dans une barque, prêt à les remonter au moindre signal. Pour éviter un exposé didactique et pesant, Franck Manguin use ensuite d’un stratagème fréquent en narration en mettant en scène un personnage étranger au lieu. La jeune héroïne, va découvrir les us et coutumes grâce à un guide, sa tante ou son oncle Goro, puis en les observant et enfin en faisant son apprentissage avec la jeune Yuko et en devenant l’une d’entre elles ; le lecteur apprend donc en même temps qu’elle. La dessinatrice adopte un regard d’ethnologue sur ces femmes : on pourrait rapprocher certaines cases des travaux photographiques de Fosco Maraini dans "L'Isola delle pescatrici" (1960) qui, alors que certains photographes comme Yoshiyuki Iwase hypersexualisèrent les amas et en firent des objets de fantasmes en les faisant poser comme des pin-ups, montre au contraire que leur nudité est naturelle et « utile ». Cécile Becq reprend un peu dans son choix de bichromie crème et bleu « chaud » (avec une pointe de rouge, presque pervenche) les couleurs des tirages argentiques de l’Italien et bien sûr les couleurs des fonds marins. Elle travaille beaucoup sur les jeux de lumière dans l’eau et crée une ambiance apaisante qui renvoie un sentiment de plénitude. De nombreuses pages muettes, surtout lors des scènes marines, renforcent cette atmosphère presque irréelle et hors du temps.
Du côté d’Ozu et de Narusé
Pourtant, le ressort de l’intrigue est le temps : les trois chapitres qui constituent le roman graphique ont tous une date pour titre : « été 1962 », « automne 1966 », « hiver 1968 » et l’épilogue au « printemps 2003 ». Ce temps qui semble figé dans les pauses narratives qui nous sont présentées avec des journées semblables les unes aux autres dans leurs répétitions passe paradoxalement si vite qu’il donne lieu à des ellipses. On a donc deux temporalités qui s’affrontent : celle de l’extérieur (l’évolution de Tokyo dont parle l’étudiant à Nagisa par exemple) et celle de l’île en apparence immuable. Ce passage du temps pousse Nagisa à devoir se chercher un tomaé pour pouvoir rester ama ; il provoque également l’évolution inéluctable d’une société ancestrale vers la modernité et bouleverse la vie des protagonistes.
Ce temps et les conflits qu’il engendre est un thème récurrent du cinéma japonais des années 1960. On est alors en droit de penser que les tons bleutés choisis par Cécile Becq rappellent outre les fonds marins le gris bleuté si particulier des films d’Ozu et de Naruse et leur rendent hommage. On remarquera d’ailleurs que le découpage de l’album est très cinématographique et modifie très souvent le gaufrier pour apporter de la dynamique et faire sentir le dur labeur des amas lors des scènes de pêche en choisissant par exemple de longues cases verticales qui montrent la profondeur de leurs plongées en apnée, en ajoutant des inserts qui jouent le rôle de travelling avant ou bien en détourant les têtes de personnages qui remontent à la surface pour imiter le mouvement. Mais il reprend souvent également lors de scène plus intimes en intérieur le plan moyen à ras de terre (dit plan tatami) qui était la signature d’Ozu et crée un rythme lent.
Ces maîtresses-femmes ne sont pas à l’abri de chagrins intimes ou d’une histoire familiale douloureuse, à commencer par Isoé, la cheffe de la communauté des pêcheuses. Elle a une cinquantaine d’années et a beau aimer son métier, elle vit dans le regret de l’abandon de Chitosé, sa sœur aînée qui a suivi un homme à Tokyo et n’est jamais revenue sur l’île la forçant à endosser à son tour le rôle d’ama traditionnellement dévolu à l’aînée de la famille. La communauté toute entière n’a pas oublié ce « reniement » et accueille fraîchement Nagisa, la citadine, qui devra se faire accepter. Ainsi on a une véritable intrigue qui prolonge le côté documentaire puisque de nombreuses questions devront être résolues : Quelle est la raison de la brouille des deux sœurs avant même la naissance de l’héroïne ? Nagisa parviendra-t-elle à leur prouver qu’elle peut être une grande ama ? Qu’elle n’est pas comme sa mère et qu’elle ne les trahira pas ? Pourquoi a-t-elle choisi de revenir ? Quel est le secret qu’elle cache ? Et comment va-t-elle réagir lorsqu’on voudra lui attribuer un tomaé ?
La confrontation de deux mondes apparemment opposés permet enfin de montrer comme dans « le voyage à Tokyo » d’Ozu les différentes facettes de la société japonaise (campagnarde et citadine) et provoque pour nous encore plus que pour l’héroïne un dépaysement total.
Une œuvre féministe et nostalgique
A la manière des deux célèbres cinéastes , les auteurs soulignent également les conflits personnels et sociétaux qui animent un Japon en mutation : le choc culturel entre deux modes de vie, entre les hommes et les femmes et même entre le passé et le présent.
Le roman graphique rend hommage à ces femmes fortes et sauvages qui vivent quasiment nues en créant toute une galerie de portraits bien typés et individualisés. Elles n’ont pas leur langue dans leurs poches et à la criée, elle savent, le cas échéant, défendre le fruit de leurs efforts face au revendeur qui veut les gruger. Elles se conduisent comme des hommes aussi et choisissent leurs partenaires pour un soir ou pour la vie et elles en parlent librement entre elles ce qui créent d’ailleurs quelques moments comiques car l’ingénue Nagisa n’est pas habituée à une telle liberté de pensée et de paroles. Ce sont-elles qui prennent les décisions au conseil du village et qui président aux fêtes religieuses lors des cérémonies en l’honneur de la déesse du soleil Amaterasu qui les protège alors que ce rôle est partout ailleurs dévolu aux élus municipaux. D’ailleurs lorsque naît une fille c’est fête et on améliore l’ordinaire du repas, mais quand c’est un garçon on ne célèbre pas ! Leur sort semble tellement enviable que lors des festivals , les hommes de l’île se griment en femmes. Au sein de cette société, l’héroïne s’épanouit et finit par dire tout haut ce qu’elle pense et également par confier son lourd secret à sa tante. On pourrait alors comprendre le titre dans un sens métaphorique : ces femmes sont inspirantes et leur souffle porte l’héroïne.
Pourtant, ces femmes à la peau tannée, musclées, au bagout réjouissant, aux corps si variés et offerts à la vue sont bien loin de l’image habituelle de la femme douce et discrète qu’ont en tête les Japonais. Ceci est présenté dans l’album à travers le regard de l’étudiant en ornithologie (Hegura est une réserve naturelle) qui les surprend au bain. C’est le seul moment où les corps des pêcheuses sont érotisés : quand le regard masculin extérieur à l’île est là, les femmes redeviennent des proies. Il en est de même lorsque de jeunes touristes viennent au festival sur l’île : ils veulent imposer leur domination. Enfin, les règles de la société patriarcale qui ne semblent pourtant pas avoir cours au quotidien au sein de cette communauté rattrapent la jeune femme in fine … et Nagisa va opter pour un choix radical, féministe et courageux dans ce Japon des années 1960.
Les Amas, quant à elles, luttent pour préserver leur dignité qu’il faut chaque jour reconquérir, face au regard des Japonais de l’extérieur bien plus patriarcal et surtout face aux avancées technologiques qui rendent leur activité de plus en plus datée : les bateaux chasseurs de poulpes qu’elles surnomment « dragons de mer » provoquent la surpêche, les ormeaux se font plus rares du fait du réchauffement des eaux (déjà !) tandis que dans l’île d’à côté on ne pêche plus de la même façon et on renie les traditions en optant pour des combinaisons de plongée en néoprène… Les jeunes fuient Hegura : le fils d’Isoé préfère ainsi devenir « salary man » plutôt que « tomaé » et les filles rechignent à une vie aussi rude … On trouve donc en filigrane une critique de la société moderne qui écrase les traditions pour davantage de profit. Pour survivre les femmes de la mer doivent donc opter pour des compromis comme nous l’explique l’épilogue nostalgique qui se déroule trente ans plus tard dans lequel nous suivons une Nagisa vieillie qui retourne sur les lieux de son bonheur passé.
De toute beauté (et façonné avec grand soin comme toujours aux éditions Sarbacane) , ce « souffle des femmes » coupe le nôtre ! Pour leur entrée en bande dessinée Franck Manguin et Cécile Becq ont réussi un coup de maître. On peut qualifier « Ama » d’album tout public mais dans un sens nullement péjoratif !On y trouve différents niveaux de lecture : il parle aux adultes bien sûr mais il peut également trouver un écho auprès des adolescents par son côté « roman de formation » puisqu’il aborde les sujets de l’indépendance et du combat pour trouver sa place dans un groupe et dans le monde. Enfin il constitue une œuvre mémorielle qui rend hommage à un métier et à une communauté en voie de disparition et apporte ainsi sa pierre au mouvement qui cherche à faire inscrire cette tradition des amas au patrimoine mondial de l’UNESCO. Un roman graphique magnifique et émouvant dans lequel vous devriez vous plonger !
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