"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Comme à son habitude, le très talentueux Monsieur Ravey nous sert en très peu de mots des atmosphères précises et des personnages simples, pique sur un homme ordinaire avec l’histoire banale des gens qui voient leurs rêves s’effondrer pris dans les rets de la réalité sociale et financière, un être qui semble tout droit sorti d’un tableau de Hopper, puis l’auteur enveloppe le tout dans une atmosphère tendue à souhait qui tient le lecteur en haleine du début à la fin.
Une dislocation de la nature humaine au bout d’une plume acérée où le lecteur est berné par le contraire de ce qui était supposé et entrainé sur une pente glissante où rien ne peut plus éviter la catastrophe finale d’une vie sordide, une chute enflammée dont même le héros n’a conscience avec son cerveau si fragile mis au service d’une rancune injustifiée.
Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler ce « énième » petit bijou ciselé signé Yves Ravey.
Fan absolue.
Un petit roman bien ficelé à la manière d’un thriller avec écriture qui écarte le superflu pour ne conserver que l’essentiel de l’intrigue. La station service de M Seghers fait faillite et doit être reprise par M Walden, un ami d’enfance de sa femme Remedios un peu volage. Mais avec qui commet-elle l’adultère, Walden ou l’employé Ousmane ? Le doute ne durera guère, et les éléments principaux de l’histoire sont assez rapidement mis en place mais l’angoisse reste présente et palpable jusqu’à la fin du roman.
En lisant ce dernier opus de l’auteur, j’ai comme une évidence, Yves Ravey est au monde des lettres ce que Hopper est à la peinture réaliste américaine.
Comme lui la structure est importante, une station-service en faillite dans un coin désert, un homme Jean Seghers qui se débat entre une caisse désespérément vide, une paperasse à faire suivre, un employé qui réclame son dû avec insistance.
« Il y avait un élément manquant dans ce beau paysage en forme de puzzle, cet élément manquant c’était une pièce qui avait pour nom indemnité de licenciement. Un jour, m’a-t-il averti, sur un ton menaçant, si ça continuait comme ça, j’aurais de ses nouvelles. »
Une lumière glauque enveloppe le tout, c’est la nuit il est tard Seghers est seul, sa femme rentre plus tard toujours plus tard et là elle est raccompagnée par Walden qui n’est autre que le juge du tribunal de commerce qui a son dossier de failli entre les mains, autant dire sa vie.
« C’est normal Jean, j’en vois défiler tous les jours, des patrons en faillite, alors admets que tu n’es pas le seul… Mais enfin, il faut te ressaisir, tu me parais tellement bizarre aujourd’hui… ! »
Décor dépouillé comme les poches vides du personnage, étrangeté de ses réactions, focus sur sa solitude et revue des dix ans de mariage avec Remedios, pour quoi ?
Un cerveau qui se met en marche vers l’irréductible, car Seghers n’a pas les mots sur ses maux.
Un homme d’action ? Pas sûr, un homme de solitude, imperméable à la situation, seule sa femme compte.
Ça va flamber et Seghers va engager un bras de fer avec Hunter, femme très déterminée à ne rien lâcher. Elle est en mode pitbull.
Mais qui mieux que Seghers connaît la vérité ?
Une patte dans l’écriture d’un texte resserré, d’une densité noire qui fait d’’une histoire somme toute banale un récit exceptionnellement jubilatoire.
Entre roman noir et vaudeville une tension implacable.
Banalité et étrangeté dansent en une folle farandole jusqu’au vertige du lecteur.
La lectrice que je suis, a toujours l’impression d’être un poisson ferré par un leurre.
Yves Ravey à l’art de conclure en beauté et toujours de façon inattendue.
Je suis fan.
©Chantal Lafon
Rien ne va plus pour Jean Seghers : sa station-service est en faillite, tout laisse à croire que sa femme le trompe avec le président du Tribunal de commerce, et son employé lui réclame le paiement immédiat de ses indemnités. Mais notre homme et narrateur n’a pas dit son dernier mot…
Clair, net et sans bavure : Yves Ravey n’abandonne pas sa marque de fabrique et nous plonge à nouveau dans un de ses courts récits dont le minimalisme fait toute la force de frappe. La situation est banale, les personnages ordinaires et l’intrigue d’une extrême simplicité, pourtant le texte subjugue, surprend et finit par ouvrir des perspectives aussi dérangeantes qu’inattendues. En se cantonnant à l’observation et à la description sèches de leurs faits et gestes, la narration suscite une impression étrange de décalage et de malaise face à des personnages dont le lecteur, perturbé par un tel vide, ne pourra que supputer les sentiments et la psychologie. Sur ce plan, la conclusion, que d’aucuns pourront juger trop abrupte et à première vue frustrante, est une apothéose de non-dit, où s’entrevoit soudain un au-delà du récit, glaçant et diabolique.
Aussi implacable que dépouillée, cette noire histoire aux accents chabroliens se lit d’un trait et vous laisse, déstabilisé, sur les bords de ce faux vide qu’est le non-dit.
Rien a dire ou redire sur les écrits de Yves Ravey surtout si l'on est comme moi une inconditionnelle de ses recits..Tous est justement dit et écrit, sans fioriture ni remplissage, c'est purement humain pas du tout une fiction,. Des phrases courtes pour percuter, pas d'état d'âme, c'est glaçant mais pas vraiment un polar...C'est court et c'est bien écrit...C'est du Ravey à ne pas rater...
Yves Ravey ne change pas de style, c'est concis, à l'os, pas un mot de trop, et un de moins pourrait faire tout basculer
Ce roman n'est pas un polar, seulement la relation de vies qui basculent en quelques heures. Seghers et son épouse gèrent une station-service depuis dix ans , la faillite guette, peut-être l'amour s'est-il émoussé depuis un voyage de fiançailles à Venise, peut-être que la jalousie commence ses ravages, Seghers imagine l'adultère, ne peut supporter cette idée , un geste froid de vengeance envers l'amant supposé. C'est une femme aussi , inspectrice d'assurances qui va faire bouger le grain de sable.
Les dialogues sont insérés dans la narration faite par Seghers de sa déchéance.
Pas de cris, juste un dérèglement du destin. Idéal pour les Edts de Minuit.
Jean est en train de perdre tout ce qui fait sa vie : sa station-service, dans un coin perdu, en redressement judiciaire et sa femme qui le trompe; il est harcelé par son employé qui réclame ses indemnités de licenciement, il doit voler de l'argent à sa mère. Il ne voit qu'une issue à ses problèmes : le crime. Et pourtant une toute petite lueur d'espoir, inattendue, naîtra à la fin du roman.
J'ai ressenti une espèce de malaise pendant toute ma lecture face à cet homme froid, sans émotion apparente qui se trouve acculé et qui n'a plus la ressource pour réfléchir.
Ce très court roman est froid comme son personnage, chirurgical. Il n'y a aucune description, pas d'envolées lyriques, pas de réflexions philosophiques. Seuls comptent les actes; même les dialogues ne sont pas visuellement marqués.
Le style renforce le malaise ; abrupt, sec, avec des phrases courtes et incisives.
Ce roman est hypnotique car l'auteur nous met un peu dans la position du voyeur qui regarde Jean s'enfoncer inéluctablement et qui ne peut détourner le regard.
J'ai découvert cet auteur avec "Adultère" alors qu'il a déjà écrit une dizaine de romans; je ne manquerai pas d'aller plus loin dans son univers.
Mon évaluation : 3,5/5
Finalement, rien n'est aussi mystérieux qu'un texte d'Yves Ravey. Précisément parce que tout paraît simple, évident, transparent. Jean Seghers, le narrateur, gérant d'une station-service en faillite, soupçonne sa femme de le tromper. Il l'observe, l'interroge, suit l'amant… Rien de plus banal, terriblement banal même...
Et pourtant…
Pourtant, on sent très vite qu'on pénètre dans un espace du leurre, du faux-semblant. Or, l'ancrage dans le réel et la simplicité formelle ne devraient pas donner lieu à cette étonnante impression d'étrangeté qui émane du roman, à ce sentiment diffus et insaisissable d'évoluer en réalité dans un univers onirique plutôt « hors-sol ». Si cela se produit, c'est justement parce que les apparences sont trompeuses : rien n'est vrai mais tout participe à nous donner l'illusion du vrai. Que nous dit l'auteur sinon que notre lecture du réel (de la réalité) est impossible, soit parce que le réel n'existe pas (il n'y a que des points de vue sur le réel) soit parce que notre appréhension du réel est sans cesse faussée par des signes-écrans qui nous empêchent de le déchiffrer et d'accéder à une éventuelle vérité des êtres et des choses.
Allez, si on avait le temps, on pourrait s'amuser à chercher le pourquoi du comment, tenter quelques pistes, histoire de voir où ça nous mènerait : (ce que je ne vous dis pas, c'est que discrètement, je commence une recherche sur l'oeuvre de Ravey, enfin… si je trouve un généreux directeur de thèse prêt à consacrer un peu de temps à une jeune quinqua-étudiante !)
Bon, (ça commence bien, je ne trouve pas mes mots… je sens que tout va être raté : la chronique et la thèse), d'abord, (je vous rappelle que ma problématique est - vous suivez, hein?- «Réalité et étrangeté : vers une esthétique du leurre dans l'oeuvre d'Yves Ravey »), d'abord donc, les lieux chez notre romancier n'existent pas : on les pensait américains (oui, la station-service au bord de la route, ça ne vous rappelle rien?), on les découvre alsaciens-francs-comtois (ce qui signifie que jusqu'à la page 39, nous ne savons pas où nous sommes) (et la mère qui porte un maillot de Sochaux!) De toute façon, il n'est jamais question d'un paysage représentatif d'un espace géographique réel, les textes ne s'ancrent pas dans une géographie. On s'en fout de savoir où on est. C'est pas le problème. Dans le fond, je me demande si on ne serait pas plutôt sur une scène de théâtre éclairée par des projecteurs, au milieu de décors colorés en carton-pâte... Donc, l'absence de géographie pourrait nous mettre sur la piste…
Le lieu de l'action maintenant : certes, il est décrit avec beaucoup de précision, même l'orientation est mentionnée, mais plutôt comme si l'on observait un plan et non le réel. Encore une fois, une piste à creuser...
L'onomastique nous trompe aussi, nous égare… Jean Seghers est le narrateur, sa femme s'appelle Remedios, un nom espagnol (mais elle ressemble à une actrice américaine), Xavier Walden, le Président du tribunal a un nom américain, Dolorès, la mère de Jean et Salazare (avec un e?) son nouveau compagnon ont des prénoms espagnols. C'est quoi ce bazar ? J'ai comme l'impression que Ravey s'amuse à brouiller les pistes, me fait chercher là où il n'y a rien peut-être rien à trouver...
Et puis, si l'on y réfléchit bien, les actions des personnages (notamment du narrateur) sont aussi assez étranges , certainement parce que seuls les actes sont décrits, nous n'avons aucune analyse psychologique. (C'est très fort d'ailleurs parce que même le « je » ne dit rien de lui, ce qui signifie que le point de vue interne est inopérant chez Ravey, il tombe à l'eau, il est un leurre, lui aussi, dans la mesure où il ne permet pas d'accéder à la vérité de l'être! Non, si vérité il y a, elle est ailleurs, où on ne l'attend pas, où on ne pense pas la voir.) Ravey s'en tient aux faits, aux gestes ou aux paroles. A nous de nous débrouiller avec ça, en tentant d'interpréter l'attitude des protagonistes, mais le risque d'erreur est grand. Ce qui fait qu'on a parfois le sentiment qu'il y a du Meursault chez le narrateur, une espèce d'écart entre lui et le monde, tout simplement parce que l'on n'a pas forcément accès à ses motivations, à sa conscience, ce qui peut donner l'impression qu'il n'en a pas, qu'il ne pense pas ou pas assez. Par exemple, tout se passe comme si, lorsque l'on veut se débarrasser de quelqu'un, on le tue et c'est tout. Pas de tergiversations, de tempête sous un crâne, pas de problèmes moraux... On agit et on espère ensuite que les choses vont s'arranger d'elles-mêmes.
Enfin, si l'on jette un coup d'oeil rapide sur la communication entre les êtres, on voit qu'elle ne se fait jamais vraiment directement : chacun semble en effet enfermé dans sa bulle, dans une sphère bien hermétique qui l'empêche d'échanger, d'accéder aux autres immédiatement et, à plus forte raison, spontanément, sans passer par des intermédiaires qui risquent de fausser le propos, d'altérer la communication voire de l'annuler. Et malgré cette apparente absence de communication, chacun semble étrangement exercer sur l'autre, en sourdine, je veux dire sans en avoir l'air, des rapports de force latents, silencieux et sournois, extrêmement puissants malgré leur invisibilité.
Bon allez, j'arrête là. L'univers raveysien est vertigineux et je risque fort de vous en reparler quelque temps (c'est trois ans une thèse, non?)… Promis, quand je donnerai mes premiers cours à la Sorbonne, je vous ferai signe...
LIRE AU LIT le blog
Il n'y a pas encore de discussion sur ce livre
Soyez le premier à en lancer une !
"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'auteur se glisse en reporter discret au sein de sa propre famille pour en dresser un portrait d'une humanité forte et fragile
Au Rwanda, l'itinéraire d'une femme entre rêve d'idéal et souvenirs destructeurs
Participez et tentez votre chance pour gagner des livres !