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En 2017, une tigresse échappée d’un cirque s’aventurait en plein Paris, avant d’être abattu par son dresseur. La stupeur passée, l’incident relançait le débat sur les animaux sauvages en captivité et sur leur utilisation dans des spectacles. Frappé par d’autres incidents, comme ce chevreuil percuté par un TGV alors que lui-même lisait Le silence des bêtes d’Elisabeth de Fontenay - philosophe reconnue, entre autres, de la cause animale -, l’auteur se lance dans une exploration littéraire et artistique révélatrice de notre relation historique à l’animal, pas si étrangère à la manière dont nous avons traité, voire massacré pour certains d’entre eux, les peuples colonisés, et, au final, éloquente quant à la nature humaine et à son rapport au monde au sens large.
Admirateur de Patrick Modiano et de WG Sebald, Yannick Le Marec s’est comme eux livré à la flânerie pour rassembler images et idées dessinant peu à peu un fil conducteur de plus en parlant. Et, du Jardin des Plantes aux artistes qui, tels le Douanier Rousseau, Eugène Delacroix, Jacques Monory et Auguste Cain, sont venus s’y inspirer pour peindre et sculpter des fauves qu’ils ne connaissaient pas ; du Museum d’Histoire Naturelle de Paris où l’on peut voir un tigre naturalisé attaquant l’éléphant du Duc d’Orléans en 1888, aux narrations de voyageurs imaginaires comme Robert Walser et aux contradictions d’Elisée Reclus que ses positions pionnières en matière d’écologie n’ont pas empêché d’appeler à l’extermination du tigre, soi-disant mangeur d’hommes ; des récits de chasse au Bengale aux massacres des bisons d’Amérique, en passant par celui des tribus amérindiennes et par le braconnage contemporain d’espèces protégées, nous voilà sur le chemin d’une réflexion menée, sous l’apparence faussement légère de la promenade, avec le plus grand sérieux et la plus extrême précision.
Il apparaît ainsi très vite que cette malheureuse tigresse, tuée après avoir posé la patte sur le bitume parisien, est, dans ce récit, l’arbre qui cache la forêt. Alors que quelques milliers seulement de tigres survivent encore en liberté, ce fait divers n’est qu’un des ultimes points d’orgue de « la lente détérioration du monde », dont on peut suivre la trace dans ces archives de l’humanité que sont l’art et la littérature. Au final, c’est toute notre culture qui semble devenir le mausolée de la planète, alors que sciences et savoirs se sont construits sur des monceaux de cadavres, et qu’écrits et musées conservent les souvenirs d’une « expérience du vivant » désormais en peau de chagrin, au fur et à mesure de l’extinction des espèces et de la vie sauvage. Une profonde tristesse s’empare du texte, au constat de « notre présence mortifère », non pas seulement liée à notre avidité destructrice, mais aussi à nos comportements de prédation gratuite. Quoi de plus consternant que ces scènes de destruction systématique, que l’on retrouvera avec le même effroi dans Les crépuscules de la Yellowstone de Louis Hamelin ou dans L’agonie des grandes plaines de Robert Jones, quand même scientifiques et naturalistes s’en donnaient à coeur joie en tuant à tout va, laissant pourrir inutilement derrière eux des montagnes de cadavres d’animaux, aujourd'hui éradiqués de la planète ?
Sous ses dehors de flânerie légère et faussement improvisée, Constellation du tigre nous livre une réflexion soigneusement dirigée et étayée, débouchant sur une vision infiniment désenchantée de notre humanité. Comme l'exprimait Benjamin Walter, "il n’est jamais une illustration de la culture qui ne soit aussi une illustration de la barbarie".
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