"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le titre de ce roman est un peu bizarre (ironique?), parce qu’il ne correspond pas exactement à son sujet. Il y est bien question d’un immeuble, d’un propriétaire et de locataires, mais ces derniers ne sont pas de passage (ils y sont même à demeure, et pour certains, jusqu’à ce que mort s’ensuive, j’y arrive), et l’endroit n’a rien d’une pension de famille avec logeuse, salon et salle à manger communs. Il s’agit en réalité d’un immeuble à appartements, appartenant à un seul propriétaire (qui tient également la boutique d’antiquités du rez-de-chaussée), et occupé par des locataires ayant chacun leur « chez-soi ». Et en l’occurrence, l’ensemble est assez misérable : des logements miteux, un propriétaire radin et des locataires tous en délicatesse avec leurs factures. Tous, sauf un, mais il le cache bien : Oswald Stricker détient un magot planqué au fond d’une malle. Il n’aura pas l’occasion d’en profiter pendant ses vieux jours, puisque, un beau matin, il est retrouvé mort dans son appartement. Meurtre, accident ? Sa fortune n’était-elle qu’un secret de polichinelle attirant les convoitises ?
L’inspecteur Maudru (un peu bourru) est chargé de l’affaire. On lui met dans les pattes Mme Aurélia, jeune et jolie et riche détective amateur, qui s’installe incognito dans l’immeuble pour mener l’enquête sous couverture (avec le sens du détail puisque pour l’occasion elle se fait passer pour une lingère). Un hobby qui n’est pas sans danger, puisque les morts suspectes ne vont pas tarder à se succéder…
Dans ce huis-clos qui emprunte à Hercule Poirot et au jeu Cluedo, l’ambiance est macabre, et pourtant c’est une lecture très divertissante. L’auteur ne s’embarrasse pas de réalisme et rassemble dans ce petit immeuble une quantité improbable de personnages plus grotesques et sinistres les uns que les autres. Il n’y a que la jeune Paulina, Mme Aurélia et Maudru pour échapper de justesse à la caricature. Cela donne une impression d’ironie décalée, qui empêche l’empathie envers les personnages. Au final, c’est un livre plaisant et léger, avec une enquête policière ni spectaculaire ni mystérieuse. Mais alors, le but de ce roman serait-il uniquement de se payer la tête des personnages ? La postface de Rossano Rosi (dans l’édition Espace Nord de 2016) est éclairante à cet égard. Écrit en 1943, ce roman inaugurait une collection (« Le Jury »), créée par Stanislas-André Steeman en Belgique. Dans le contexte de l’Occupation, la Belgique éditoriale était coupée de Paris, et les livres français n’y arrivaient plus. Il y avait donc un créneau pour une production belgo-belge : « on alla jusqu’à lire des livres de Belges imprimés en Belgique* ». Et le but de la collection était simplement de divertir le lecteur, le temps d’une soirée, pendant une période sombre de l’Histoire. La conclusion de Rosi résonne étrangement aujourd’hui: « Le refus de toute histoire, de toute inscription dans un lieu précis peut être interprété, en définitive, comme une libération. Si futile soit-elle. Si dérisoire soit le plaisir qu’il y avait, et qu’il y a encore, à se plonger dans la lecture d’un roman peu policier et extrêmement plaisant, dont le deuxième degré volontiers ironique, voire légèrement sarcastique, nous permet, comme il l’a fait à ses premiers lecteurs, de décoller d’une réalité parfois simplement fangeuse, parfois simplement tragique« .
*Hubert Colleye, « Les lettres belges durant la guerre », Revue Générale belge, n°1, 1945.
Ce recueil de nouvelles fantastiques par un des plus grands écrivains belges du genre (avec Jean Ray) m'a valu ma première dédicace... dans une galerie de Bruxelles. Il venait dédicacer des catalogues pour une exposition de tarots peints par une dame dont j'ai oublié le nom. Il s'était fendu d'une introduction et moi, je lui ai parlé de peinture !
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