Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
« Là où la terre ne vaut rien », le monde d’en bas en version 3D.
Une immersion en pleine réalité. Le microcosme d’hommes et de femmes qui ont du bleu au fond des yeux.
Ce serait comme un cercle vaste, très vaste, dans une vallée, celle de San Luis, dans le Colorado. Entre les poussières et l’autarcie, l’aridité et cette terre qui accueille une population atypique, marginale et battante.
Le rêve américain à l’instar d’une carte que l’on abat sur une table bancale, d’une main ferme.
Des terrains de cinq hectares vendus, une bouchée de pain. Comme des graines que l’on donne aux oiseaux affamés.
Pas d’eau, pas d’électricité, encore moins de chauffage, la débrouillardise pour toile de fond.
Seul ou à deux, rares sont les familles. Des chiens et des clôtures, les éclopés de la vie, les chimères boréales.
Un vivre-ensemble où seule, l’éthique d’une même condition de vie est le liant.
Solitaires, pauvres, parfois toxicomanes, clochards célestes, ils réfutent la normalité. Tels des Diogènes, des cyniques, en mode de survie.
Certains ont un passé lourd sur le dos, des guerres ou des meurtres, des courants d’air, des désespoirs. Un lâcher-prise comme un cerf-volant lâché en plein ciel.
Ici, la terre n’est pas gratuite, juste un peu de pain tendu pour se poser, loin des diktats de la civilisation. Tels des pionniers, ils s’affranchissent, en labeur et ténacité. Mains gercées par grand froid, et risques de brûlures sous un soleil qui frappe en continu sur le toit des cabanes ou caravanes, dans un été de feu et d’épreuves.
L’auteur est ici. Exactement là. Durant cinq ans, Ted Conover, en mimétisme, va lui aussi acquérir une caravane, être lui et eux. Se fondre dans cette idiosyncrasie avec des brassées d’altruisme. De bénévole pour une association locale, il prend appui dans cette communauté d’êtres, bousculés par les affres. Entres les sourires et les larmes, les points d’appuis et les blessures d’antan.
Ici, règne la dignité des belles personnes qui savent d’emblée où perce le regard de magnanimité.
Il ressent cet appel, cette volonté de se fondre dans ce triangle d’exclus.
« Mais ne vaut-il pas mieux partir de zéro que du rêve brisé de quelqu’un d’autre ? »
Il va œuvrer. Bâtir un livre blanc. Insérer des photos en noir et blanc, les visages ridés et de labeur et du temps passé, douloureux trop souvent. La ténacité dévoilée dans l’ombre de ce grand texte qui, tel un reportage, nous apprend beaucoup.
On écarte le rideau, on regarde la vie qui s’agite, entre les plantations plus que douteuses, les disputes et les entraides, la beauté sauvage d’un cœur à apprivoiser.
On écarte le rideau. On regarde la vie qui s’agite entre les plans de cannabis autorisés, un peu, pas beaucoup, les idéaux qui jouent à troubler cette fausse quiétude.
« Quand Troy Zinn franchit le seuil de sa porte pour fumer une cigarette, il a pile en face de lui une majestueuse chaîne de montagnes, les monts Sangre de Cristo. »
« Il est parfois tentant d’imaginer que la vallée de San Luis, peu peuplée et loin des villes, existe hors du temps, hors des actualités, à l’abri du stress de la modernité. Bien sûr, cela tient du fantasme – un tel lieu n’existe plus aux États-Unis au XXIe siècle. »
Les convictions de ces hommes et femmes sont chahutés par un décalage entre ce qu’ils désirent d’une société et ce qu’ils en attendent et ce qu’ils en font.
La misère humaine, les aides gouvernementales, ils ne sont pas véritablement abandonnés.
« Nous sommes nos choix », tel serait l’adage aussi de ce documentaire sociologique, et ethnologique. Il y a la rancœur des gilets jaunes, jusqu’aux vastes paysages de ce livre journalistique, pétri d’humanité. L’Amérique manichéenne et qui, peut-être, tient ici, une façon d’éloigner la misère humaine de la vie des nantis. San Luis n’est pas l’Atlantide. Ici, tout est au plus près de l’authenticité. Ted Conover en mai 2017 est devenu leur frère d’arme. Rassembler l’épars, apporter des preuves, vivre de luttes et de rigueur. Il écoute, retient, inscrit, prend acte. L’exil est son propre pays. L’Amérique écartelée par ses disparités et des démesures. Le troc, un peu, beaucoup, mais un terrain à soi. La loi de l’homme qui agite son drapeau sur le toit d’une cabane meurtrie dans sa chair. C’est en cela que cet essai est tremblant de beauté. Nous touchons la peau d’un homme dont la vie en vaut mille par l’effort et la volonté de contrer ses propres démons. C’est une étape frissonnante dans une vie de lecteur, que de lire ce livre-monde. On est happé, on voudrait en être nous aussi, même un court instant.
C’est ici, le passage où l’homme devient lui-même. Libre, immensément libre, même si, seul le paysage est alliance. Publié par les majeures Éditions du sous-sol.
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