Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
On ne peut pas rester indifférent.
La tragédie de la guerre civile espagnole, on en a entendu parler. Nous avons tous vu le tableau de Picasso en témoignage du bombardement de Guernica. Beaucoup ont lu Malraux, parti avec les brigades internationales chercher gloire et panache, peut être donner son sang. Pourtant, en ce qui me concerne, je n’avais pas compris. Je n’avais pas réalisé ce qu’il s’était vraiment passé à quelques pas de chez nous. Et puis la guerre avec les allemands, l’occupation, la shoah, tout cela a fini par faire oublier la guerre civile espagnole. Elle reste écrite dans nos livres d’histoire, évoquée plutôt. On sait qu’elle a existé. Le livre de David Ruiz Martin ouvre une brèche dans ce petit socle de connaissances ou de mémoire que nous avions. Le corps de son livre, l’un des principaux fils conducteurs, c’est le journal écrit par Horacio, qui témoigne au fil des jours, avec des mots du quotidien, volontairement trop simples et trop directs, de cette errance des hommes pour résister, souvent fuir les troupes de Franco et leurs supplétifs.
«10 octobre. Je suis enfin arrivé à Tolède. Epuisé et affamé, mais en vie. J’ai tué deux autres hommes durant mon trajet. C’était eux ou moi. »
Comment dire plus simplement l’atrocité de cette guerre ? Ce journal est écrit au présent. Parce que c’est un journal presque quotidiennement complété, pour laisser une trace au cas où ce serait le dernier jour. Ce temps présent d’alors rejoint le temps d’aujourd’hui. Celui de Raùl, le narrateur. Les présents se mélangent. Ce que décrit le journal est encore là de nos jours, accroché dans la mémoire du peuple espagnol, dans son âme fière aussi.
D’autres présents se croisent. L’histoire d’amour d’Horacio avec Belinda, cette idylle fugace née dans la guerre et disparue avec elle et qui depuis illumine le cœur d’Horacio. Elle a son reflet dans l’histoire d’amour que vit Raùl son petit-fils avec la petite fille de Belinda. Les fils se croisent et s’entrelacent.
Vidal, le frère d’Horacio, lui aussi a vécu la guerre civile. Il n’était pas combattant lui, mais ne pardonne pas à Horacio d’avoir quitté les siens. Il le rend responsable de la mort de leurs parents. Le lien avec son frère semble définitivement rompu. Il y a entre eux un fossé comme il y a eu un fossé en Espagne entre républicains et franquistes, même si pour cette fois les deux n’étaient pas chacun dans le camp opposé. Mais pour eux comme pour les espagnols, il faudra bien se rejoindre. La lecture au fil du roman de ce journal écrit par son frère ne pouvait pas le laisser indifférent. Il ne pouvait plus fermer son cœur et rester bloqué sur le passé. Comme le peuple espagnol. Là aussi les fils se croisent.
Madrid est un autre personnage omniprésent dans ce roman. Raùl apprend à la connaitre et à l’aimer comme il redécouvre comme une merveille cette langue espagnole que sa famille française s’était efforcée de lui faire oublier. La mémoire lui revient comme nous reviennent les souvenirs de ce qu’on nous a raconté de cette guerre. Raùl découvre la générosité de cette famille espagnole qui lui est révélée tout à coup, la force des sentiments qu’ils montrent. Il parvient à nous faire ressentir son amour pour cette ville et pour ses gens, croisés au fil des rencontres faites dans ses escapades nocturnes.
Alors, comme dans tous les livres, il y a bien sûr des faiblesses dans ce roman, de petites choses qui dérangent, parfois des images trop recherchées. Mais l’auteur à l’évidence a travaillé son texte. Le vocabulaire est riche et généreux et d’une simplicité parfaite lorsqu’il s’applique au journal d’Horacio. L’intrigue est parfois enrichie de façon un peu arbitraire et forcée quand ce n’était après tout pas vraiment nécessaire, mais cela me semble compter peu. Ce récit nous fait revivre avec force une histoire douloureuse, nous montre comme elle demeure dans le cœur des espagnols. Elle fait partie d’eux-mêmes. Elle les imprègne encore mais n’empêche pas ce peuple de s’être retrouvé, à l’image d’Horacio et de Vidal, d’Horacio et de Belinda, comme à présent de Raùl et de Luzia.
Beaucoup d’aspect de ce livre vous marqueront sans doute possible. Vous pouvez le lire sans crainte. Vous ressentirez de l’empathie pour ces personnages qui acceptent peu à peu d’ouvrir leur mémoire et leur cœur pour enfin pouvoir se réconcilier, non pas en oubliant, mais en construisant sur leurs souvenirs.
Philippe Henry
A l'enterrement de sa grand-mère Inès, Raùl Pontes, remarque, dans l'église, un vieil homme qu'il ne connaît pas. Quand il interroge sa mère à son sujet, il obtient de haute lutte la confirmation de son intuition : l'inconnu n'est autre que son grand-père Horacio, le mari d'Inès qu'il croyait mort depuis trente ans. Les questions se bousculent dans sa tête mais sa priorité et de quitter la Suisse et de partir pour Lyon et la résidence médicalisée où vit le vieil homme. L'accueil est froid. Dur, revêche, buté, Horacio n'a que faire de ce petit-fils qui n'est même pas capable de lui parler en espagnol, la langue de ses origines. Mais Raùl insiste. La colère de sa mère et de ses trois sœurs aînées à l'idée qu'il puisse se rapprocher de son grand-père l'incite à creuser ce secret de famille. Et Horacio qui finit par accepter sa présence lui confie une mission : retrouver son grand amour, une gitane rencontrée à la fin de la guerre d'Espagne et dont il a été séparé. Raùl ne croit guère en ses chances, pourtant, il s'envole vers Madrid pour un voyage riche en enseignements et en émotions.
Grosse déception pour ce roman dont la lecture a été une véritable corvée.
D'abord le style est...et bien il n'y en a pas. Racontée à la première personne, souvent au passé simple, l'histoire est une suite de phrases écrites en langage parlé, les dialogues sont affligeants (dis-je, lui demandai-je, etc.) et l'intrigue est cousue de fil blanc avec une histoire d'amour impossible des plus navrantes. Quant aux personnages...ce sont des caricatures : les vieux sont bougons, la belle gitane danse le flamenco, ses frères sont ignobles, les espagnols sont, soit enfermés dans leurs souvenirs de la guerre civile (pour les plus âgés), soit des fêtards invétérés écumant les rues de Madrid toute la nuit (pour les plus jeunes) et le héros est affligé de trois sœurs et d'une mère qui sont de véritables mégères, mauvaises, castratrices et cupides. Les quatre, oui. Sans parler de son ignorance. Peut-on s'appeler Raùl Pontes et n'avoir jamais eu la curiosité de se renseigner sur son pays d'origine ? Des lacunes que l'auteur se charge de combler en étalant tout son savoir sur la guerre d'Espagne et sur la ville de Madrid. De façon maladroite certes mais cela sauve le roman du naufrage car on prend plaisir à se promener dans la capitale espagnole et les pages du journal d'Horacio sont riches de renseignements sur ce conflits qui a déchiré le pays durant trois ans et sur le sort réservé par la France aux républicains réfugiés de l'autre côté des Pyrénées.
Le matériel était là : la famille, les secrets, la guerre, l'amour, mais n'est pas Almudena Grandes qui veut.
Quelquefois, savoir d’où l’on vient ne suffit pas. Naît, avec le temps, avec un souvenir effacé, une question laissée en suspens, le besoin de sentir d’où l’on vient. À la mort de sa grand-mère, Raúl Pontès est agité par les non-dits qui planent dans sa famille : il ne saura se contenter plus longtemps des mensonges mêlés aux semi-vérités et décide de partir en Espagne à la rencontre d’Horace, son grand-père, bien vivant malgré les dires de sa mère, dans l’espoir de s’approprier enfin son histoire. Mais ce dernier se montre très hostile à la venue de son petit-fils, et lui ferme sa porte… Pas suffisant pour faire baisser les bras au jeune journaliste, déterminé à aller au bout de son entreprise. Épaulé par son cousin, dont il fait tout juste la connaissance, Raúl réussit à approcher Horacio, qui lui fait une demande un peu particulière : retrouver celle qu’il a aimée voilà soixante-dix ans, et que la guerre lui a arrachée…
Pourtant peu enclin au sentimentalisme – il est toujours en bisbille avec sa mère et ses demi-sœurs – Raúl se laisse gagner par l’ambiance ibérique : ses rues animées, bruyantes de musique et de rires jusque tard dans la nuit, embaumant les spécialités locales et le sens du partage. Et c’est pour moi le point fort du roman : le paysage culturel que l’auteur a retranscrit. Je ne suis pas très secrets de famille, c’est le type d’intrigue dont je fais vite le tour et qui peine à maintenir mon intérêt, mais je n’ai pas pu résister à Madrid ! Tant dans son histoire que dans son quotidien, la ville s’impose au lecteur dès l’arrivée du héros en Espagne. Les personnages, victimes directes ou collatérales du franquisme, racontent leur patrie avec ferveur, avec regrets et douleur, avec une sincérité derrière laquelle on sent la dimension autobiographique. Eh oui : on n’écrit jamais si bien que sur ce que l’on connaît, et si David Ruiz Martin aborde ce thème avec émotion et justesse, c’est qu’il ne lui est pas étranger.
Mais le voyage ne se borne pas à une visite guidée de la capitale sur fond de bons sentiments, il est le décor d’une histoire complexe, avec ses rebondissements, et la naissance d’une quête très personnelle pour Raúl qui, découvrant d’autres vies que la sienne, d’autres obstacles et d’autres motivations, va s’interroger sur ses propres choix et les limites qu’ils imposent. Une jolie alliance des générations qui fait la part belle au pardon, et un joli parcours pour ce roman, d’abord sorti en auto-édition et paru cette année dans une version relue et augmentée de traductions aux éditions Nouvelle Bibliothèque. Bravo, David, à l’instar de Raúl, tu es allé au bout de ton entreprise, et je te souhaite d’aller loin encore.
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