"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«Je me retrouve en fuite. Déracinée, arrachée. Encore.
Je regarde cette rue que j’ai empruntée tant de fois avec empressement ou insouciance. Elle descend jusqu’aux Grands Boulevards, où j’ai travaillé pendant onze ans. Descendre, c’est le mot. J’ai eu beau partir me percher au sommet du IXe arrondissement, prendre de la hauteur pour m’élancer vers de nouveaux horizons, ça n’a été que la continuité de la chute. Une chute qui s’achève ici, en ce lundi parisien bêtement gris et froid, devant le commissariat.»
C’est par un acte inconcevable que s’ouvre ce témoignage glaçant: Peggy se retrouve au commissariat pour porter plainte contre son fils Evan, dix-sept ans. Inconcevable pour une mère qui aime ses enfants, inconcevable parce que totalement étranger à l’«ordre des choses».
En nous offrant le récit du drame qu’elle a vécu au plus intime d’elle-même, Peggy Silberling nous permet d’approcher au plus près cette dérive, cette souffrance qui touche de nombreuses familles lorsque l’adolescent «fait sa crise». Bien entendu, toute histoire est particulière et chaque cas ne peut se comparer avec un autre. Mais ce qui frappe ici, c’est qu’objectivement ce dérapage n’a pas de raison d’être.
Peggy offre à ses enfants, Mélodie et Evan, une vie très agréable. L’arrangement avec leur père n’a pas fait de vagues, ils peuvent suivre des études dans une bonne école, disposent le temps et l’argent pour leurs loisirs, peuvent voyager. Sans oublier les perspectives professionnelles de Peggy qui pourrait les conduire tous à New York.
Difficile de dire quand le grain de sable a enrayé la machine. Est-ce le passé de Peggy qui a dû subir un père violent, un oncle violeur, une mère qui n’a rien voulu voir? Des prémices qui ont certes poussé Peggy à surprotéger ses enfants, mais peut-on donner trop d’amour? Le parcours sans fautes de Mélodie et celui chaotique d’Evan prouvent que les mêmes conditions peuvent conduire à des comportements totalement opposés.
Mélodie réussit très bien en classe, se passionne pour le théâtre tandis qu’Evan n’a aucune envie de suivre en cours. Après les premiers accrocs, Peggy décide de l’inscrire dans un pensionnat où il bénéficiera d’une structure plus encadrée, d’une attention renforcée. Mais Evan prend la clé des champs, revient à Paris et se réfugie dans les bras de Laetitia qui exerce sur lui un chantage affectif des plus toxiques.
C’est du reste à cause d’elle qu’Evan se montre verbalement agressif envers sa mère puis refusera toute thérapie.
«Je me sens dépassée. Je ne sais plus comment aborder mon propre fils. Je ne sais plus comment imposer mon autorité à un ado qui fait deux têtes de plus que moi et dont la force physique dépasse désormais la mienne. Je ne sais plus comment lui faire entendre raison ni comment le persuader qu’il doit rectifier le tir, pour son avenir, pour lui.»
Peggy ne sait pas encore que ce n’est que le début d’une spirale infernale qui la conduira jusqu’à ce dépôt de plainte. Entre temps, elle aura eu affaire au CPOA (Centre Psychiatrique d'Orientation & d'Accueil), un service d'urgence psychiatrique, au CIAPA (Centre interhospitalier d’accueil permanent pour adolescents), à la police, aux pompiers, au juge pour enfants et constatera combien le système est absurde dans ses règlements contradictoires et dans son absence de gestion globale.
Pendant ce temps la dégringolade continue. Après les problèmes de drogue, les fugues, les vols dans son portefeuille viennent le chantage au suicide, les insultes puis les coups.
Le hasard d’une rencontre dans une librairie va être sa bouée de secours. Harold Cobert croise le regard de Peggy: «Nos yeux séducteurs échangent les mêmes paroles.» Un peu de baume sur des cœurs cabossés et une aide précieuse pour Peggy, y compris dans la rédaction de ce livre que l’on referme avec le sentiment d’un immense gâchis mais aussi la forte envie que cette prise de conscience souhaitée se concrétise. Pour Evan et pour les pouvoirs publics.
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Pour lui est une lecture qui m’a profondément animé. La première partie du récit m’a réellement indigné, je ne comprenais pas cette mère si peu empathique, si autocentré, fulminant contre tout excepté elle. Cette mère marquant les différences entre ses enfants, ayant des propos jugeant, évoquant son fils avec distance, l’étiquetant et le positionnant comme seul coupable de leurs difficultés en se dédouanant de toutes responsabilités, me révoltait. Cette mère qui parce qu’elle a su trouver des acteurs de résilience et s’en sortir face à sa propre histoire douloureuse, ne concédant pas à son fils la possibilité que la sienne soit insurmontable, me crispait. Parce qu’un enfant est le fruit de son éducation, son environnement mais aussi de toutes ces petites choses inconscientes qu’on lui transmet. On n’y peut pas toujours quelque chose, on n’est donc pas forcément coupable mais une chose est sûre, la remise en question doit être de mise.
La deuxième partie m’a un peu réconciliée avec l’auteure, on y lit enfin l’amour et la bienveillance avec parfois même de la compréhension tolérante mais surtout des questionnements. La première partie du récit enferme son fils dans l’échec et la déchéance, la seconde laisse libre et est pleine de compassion et d’attentes.
L’auteure est une femme de la caste des privilégiées qui semble persuadé que « quand on veut, on peut » faisant fi de la société telle qu’elle est. Si certains s’en sortent c’est à priori et à condition que d’autres n’y arrive pas. La société actuelle est construite de sorte qu’il y ait ceux du haut et ceux du bas. Si nous pouvions tous être logés à la même enseigne, il y aurait bien moins de convoitises... Il n’y a surement pas toujours d’explications déterminantes aux ruptures et aux empêchements, il y a la vie et ces blessures face aux rencontres et les ressources que l’on puise en nous.
Je reste dérangé par le récit tel qu’il est présenté, qui titrerait presque de façon voyeuriste : Oyez ce tabou, l’enfant violent face à son pauvre parent ! Je crois que c’est bien plus complexe que cela. Evidemment la violence envers qui que ce soit est inacceptable et intolérable mais être bienveillant ne veut pas dire laxiste et démissionnaire. Il semble nécessaire dès l’enfance de toujours repositionner ses attentes, de confronter ses propres démons pour limiter la passation générationnelle, et surtout, il apparaît essentiel de ne jamais figer ses enfants dans ce que l’on imagine d’eux, sous peine qu’il ne puisse plus jamais être autrement. Pesons toujours nos mots pour ne pas déchirer et abîmer davantage.
L’histoire de vie de Peggy Silberling est bouleversante et le chemin parcouru est immense mais peut-on dignement penser que parce que nous y arrivons tout le monde peut s’en sortir à force de volonté ? Et finalement qu’est-ce que s’en sortir ? Se conformer ? S’affadir ? Se complaire ? Accepter ? Vivre malgré ? Être bien né ? Avoir eu de la chance ? Être heureux ?
Le récit a des qualités narratives indéniables, une alternance construite comme une intrigue qui pousse à en découvrir toujours davantage. Les passages sur l’enfance de l’auteur son abominablement sublime. L’auteure passe au vitriol son entourage délétère, elle est sans concessions dans sa description des autres mais les fêlures transparaissent et on se demande si finalement cette hargne n’est pas une façon de faire le deuil de son histoire ? D’acter une distanciation avec les meurtrissures pour mieux rebondir ? Si finalement, le discours un peu lisse de la femme sûre d’elle, n’est pas qu’une façade pour éviter l’effondrement ?
Autour de cette lecture :
Deux films récents : My beautiful Boys au désespoir ineffable et l’amour filial véritablement transcendant par Felix Van Groeningen également auteur du déchirant Alabama Monroe.
Ben is back de Peter Hedges dont le traitement diffère mais tout aussi poignant.
Les deux portés par des castings talentueux.
Un autre récit: Papa est ce que je peux venir mourir à la maison? de Tony Delsham
Pour la jeunesse : L’herbe bleue d’un auteur anonyme récit ayant accompagné un grand nombres de lecteurs à l’âge fragile où l’on peut basculer aisément.
Un peu de musique : Mano Solo sa voix puissante et ses morceaux déchirants parmi lesquels : Au creux de ton bras ; A quinze ans du matin et bien d’autres.
"Pour Lui" de Peggy Silberling est un récit, le récit de la vie de l’auteure et surtout de son combat, un combat âpre mené seule ou presque contre le reste du monde, un combat pour sauver son fils en proie à des démons plus forts que lui. Un témoignage sans artifice et d’un courage admirable, une lecture parfois éprouvante mais toujours émouvante, poignante, d’une grande force.
"Remerciements : Mon fils tant aimé, qui m’a fait promettre d’aller au bout de ce livre pour les adolescents en souffrance dont les parents ne savent plus quoi faire pour les aider. Je voulais que tu saches la vérité de mon histoire pour que tu deviennes enfin ce que tu es. Ma fille…. Mon livre sait ce qu’il vous doit. Merci" En lisant ces mots, les vannes ont lâché, le flot d’émotions contenues tout au long des pages a cédé. Un cri d’amour, c’était le cri d’amour fou d’une mère pour son fils. Elle s’est battue comme un beau diable jusqu’à témoigner contre lui, ou plutôt pour lui, lui : son fils, pour l’obliger à se soigner.
Même si tel est le cas, je ne parlerai pas de belle écriture, de mots choisis, de phrases percutantes car là n’est pas l’important. Ce qui l’est c’est la rage, l’amour, la hargne, le courage qui débordent du texte. Pas la moindre ambiguïté, les acteurs portent leurs noms, le récit est à la première personne et les faits avérés. Peggy Silberling fait preuve d’une solidité indicible, se met à nu, confie son intime, ses douleurs, ses malheurs, ses chagrins sans fard aucun. Elle ne se contente pas de dire le combat pour sauver ce fils tant aimé des griffes de la drogue, pour le sortir de l’enfer dans lequel il s’enfonçait, d’une relation amoureuse toxique qui le ruinait, elle raconte à coup de retours en arrière sa propre enfance battue, son viol incestueux, la maladie du père de son fils, ses galères professionnelles. Elle dit aussi l’amour de celui qui l’a entourée, aidée à aller au bout, qui l’a soutenue, qui l’a accompagnée dans l’écriture. Et si, un temps, je me suis demandé mais pourquoi tout ça, j’ai vite compris qu’elle donnait à son enfant toutes les clés de sa vie pour qu’il se construise. Un don de soi.
Même si elle n’a pas de portée universelle – chaque cas est particulier – je considère cette confession de femme, de mère, d’une grande importance pour ceux qui sont ou ont été confrontés aux mêmes tourments : en la lisant ils sauront qu’ils ne sont pas seuls.
Une mention spéciale pour la très émouvante couverture, la photo d’un enfant dans les bras de sa mère.
https://memo-emoi.fr
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