"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un récit touchant sur le devoir de mémoire, les traumatismes, la famille et son héritage. Henri Kichka, rescapé du camp de la mort d’Auschwitz. Un des récits les plus étonnants. La productrice Véra Belmont et le réalisateur Marc Jousset on présentés à Cannes au écrans junior une adaptation librement inspiré Les secrets de mon père, ce dernier sort dans quelques jours le 21 septembre 2022 avec les voix de doublage de Jacques Gamblin, Michèle Bernier et Arthur Dupont. Je me demande de quoi sa aura l'air .
Dès les premières pages, je tombe sous le charme. Tout me plaît : le graphisme et le propos de Michel Kichka. Des dessins travaillés, épurés, délicats. Le fond des planches est souvent orangé, bleuté, blanc. Des coloris doux qui accompagnent harmonieusement cette autobiographie de scénariste-dessinateur, dans le contexte de son pays, Israël.
Cerises sur le gâteau : l’entête de chaque chapitre est marquée par un dessin en noir en blanc représentant un paysage, une rue bordée d’arbres ou des maisons.
Deux parties bien distinctes.
Dans la première, il revient sur son parcours familial et professionnel. Le dessin, il est tombé dedans quand il était petit et c’est même une seconde nature.
« En dessinant, je suis parti sans le savoir à la recherche de moi-même. » L’influence de Brueghel, des peintures rupestres, l’importance du dessin de presse dans sa carrière, y compris quand il le pratique en direct.
L’humour est toujours présent : « Brueghel croquait ses personnages lors de kermesses et de ripailles et les mettait en scène dans ses tableaux. Dans les scènes de foule que je dessinais dans les années 1980, je croquais mes personnages dans les rues de Tel Aviv, de Jérusalem, de Londres et de New-York. (…) Certains accrochaient mes posters dans les toilettes et les connaissait par cœur, à force ! On m’appelait parfois « l’artiste des chiottes ». Ça m’amusait. »
La seconde partie est plutôt une réflexion à propos d’Israël. Et une prise de position affirmée sur ses contemporains et sur le régime de Netanyahou.
A propos de ce dernier, il dit : il s’inscrit dans l’histoire aux côtés de Trump le Vulgaire, de Poutine le Cynique, de Xi Jinping le terrible. »
On le comprend vite, c’est d’abord un laïc, respectueux du culte de chacun, la religion faisant partie de la sphère du privé. Il rejette le clivage orchestré entre arabes et palestiniens, ainsi que le fanatisme : « les orthodoxes fanatiques sont la honte et la négation du projet sioniste. »
Malgré la gravité du sujet, et l’engagement et l’indignation de l’auteur, il n’oublie pas l’humour. A propos de son grand-père Maurice, il raconte le dialogue entre ses grands –parents dans un restaurant :
« _ Maurice, c’est casher ?
_ Si c’est bon, c’est casher ! »
Je n’oublie pas la scène superbe et émouvante, pudique en même temps, lors de l’enterrement de son père : « J’ai fait graver sa caricature sur une belle pierre de Jérusalem. Il me sourit chaque fois que je lui rends visite »
Une BD riche que je vais relire car je suis persuadée d’être passée à côté de beaucoup d’éléments.
Je la conseille pour tous ceux ( et toutes celles ) qui n’apprécient pas trop habituellement le roman graphique et préfèrent l’observation, la réflexion, l’analyse et l’humour.
Merci à NetGalley et aux Éditions Dargaud de m’avoir permis de découvrir cet auteur talentueux et modeste.
https://commelaplume.blogspot.com/
Dans ce roman graphique, Michel Kichka partage son autobiographie.
Il est né en Belgique, en 1954, de parents juifs polonais et après quelques séjours d'été en kibboutz, il décide à 20 ans de faire son aliyah et part faire des études de graphisme à Jérusalem où il s'installe définitivement.
Ce roman graphique s'articule en deux parties : l'autobiographie de Michel, son étonnement à l'installation (les falafels en sauce rouge ne sont pas des boulettes belges à la sauce tomate ... ils sont extrêmement pimentés, pour ne citer qu'un exemple), son mariage, ses enfants, la vie dans un pays en guerre ... et dieu sait qu'il y a eu des guerres depuis 1974 !
La seconde partie est plus politique. Il y décrit la vie politique israëlienne et les événements marquants des 40 dernières années des bombardements par l'Irak de Saddam Hussein, à la mort d'Itzhak Rabin, aux deux intifada, et à la vague d'attentas suicide des années 2000,
Caricaturiste politique à la télévision et dans des journaux, il affiche ses sentiments de gauche pacifiste dans un pays où croisse l'intégrisme religieux et la haine des pays et populations voisins.
L'engagement de Kichka dans Cartooning for peace le fait voyager dans le monde entier prônant la paix et le rapprochement entre les peuples.
Une BD qui donne à voir l'histoire d'une vie pas comme les autres, un trait décidé, des personnages plus réels que nature ... Une belle découverte
Je connaissais cet auteur par son blog que je vous recommande vivement.
Henri Kichka a écrit « Une adolescence perdue dans la nuit des camps », récit autobiographique décrivant l’horreur de son séjour à Auschwitz, en compagnie de ses parents et de ses sœurs. Lui seul en a réchappé. Son fils, Michel, né en 1954 à Liège, ne connaît les événements qu’à travers le récit, les anecdotes et les privilèges de son père. Michel, sa sœur et son frère sont ce qu’on appelle « la deuxième génération », des milliers d’enfants qui découvrent la bêtise, la violence, la haine par transparence. Michel ayant bâti sa vie d’adulte, loin de la Belgique, en Israël, décide de raconter, en bande dessinée, sa vie dans l’ombre de cette figure tutélaire, à certains moments tellement égocentrique que cela en devient agaçant. Le père, ou plutôt un patriarche : pas croyant pour un shekel, complètement détourné de Dieu, il oblige son fils à faire sa Bar Mitsva et lui interdit d’épouser une femme goy. La relation au père, déjà difficile en temps normal, devient une source de contradictions intellectuelles et morales. Jusqu’à atteindre l’insupportable pour Charly, le petit frère de Michel, qui se suicide.
Cette bande dessinée, en noir et en blanc, teintée d’humour malgré son propos si grave, fait écho à un article paru récemment dans le Monde qui définissait la Shoah comme un traumatisme héréditaire. Dans la famille Kichka, il semble bien que ce soit le cas, même si, à certains moments, nous sommes, en tant que lecteurs, dans une incompréhension totale. Le devoir de mémoire pourrait-il ne générer qu’une fatalité morbide, sans aucun espoir de résilience ? Michel Kichka, dont je ne connaissais que les dessins politiques, ouvre la porte de l’espoir, en clôturant son récit par un autoportrait en homme volant au-dessus d’un livre ouvert. Bien entendu, nous pensons tout de suite au « Maus » d’Art Spiegelman, mais la figure paternelle est différente, ainsi que le propos. Spiegelman voulait raconter la vie dans les camps, pour comprendre le suicide de sa mère. Kichka ne parle des camps que par ricochet, à petits rebonds, d’anecdote en anecdote (celle de son professeur de dessin est très émouvante, car très juste).
Ce qui est, par contre, frappant, c’est qu’il y a réellement un courant de l’autobiographie en bande dessinée depuis quelques années. Ici, ce qui fait la différence, ce sont les racines belges de l’auteur/dessinateur, son humour noir et parfois surréalisant par son essence absurde, et son talent de caricaturiste (le visage du rabbin à la synagogue m’a bien fait rire). Le tout sert un récit touchant – quatre longs chapitres et un épilogue - absolument pas manichéen, proposant une réflexion sur la famille, sur le traumatisme, sur la condition humaine tout simplement. Nous avons parfois le sentiment de retrouver des résonances avec « Si c’est un homme » de Primo Levi.
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