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J’aime l’Irlande, ses paysages extraordinaires, ses légendes, ses ciels toujours en mouvement, ses lacs et ses bords de mer époustouflants, ses matches de rugby pleins de la fureur du «fighting spirit» et ses pubs enfiévrés où, même avec une voix de fausset, on se croit obligé d’accompagner les musiciens.
Avouons-le, c’est la version qui ravit le touriste que je suis. Il y en a une autre que Le Mouchard dépeint très bien dans un style qui évoque un peu Graham Greene et Le Rocher de Brighton. Ici, la pluie ne donne pas les arcs-en-ciel de la version touristique mais simplement de la boue. De la boue, au propre (façon de parler) comme au figuré : pauvreté, nourriture infâme, maladies, alcool, bêtise et violence forment le cocktail ravageur des bas-fonds du Dublin des années vingt. Ajoutons l’organisation révolutionnaire telle qu’on la nomme dans le roman (ancêtre de l’IRA), ses hommes de mains, ses tribunaux clandestins, ses jugements aussi expéditifs que définitifs et ses chefs sûrs de détenir la seule et unique vérité, la leur, impitoyable. Et n’oublions pas la religion, présente partout, réconfort puissant mais aussi prétexte aux pires exactions.
L’histoire est vieille comme le monde et, presque miraculeusement, ne suscite pas de controverse entre catholiques et protestants, républicains et unionistes. Ici, Judas se prénomme Gypo, l’ami trahi Francis, et les trente deniers font vingt livres. « Deux faits occupaient sa cervelle : son entrevue avec Mac Phillip et son manque d’argent pour dormir ce soir… Il était en train d’examiner la devanture d’un atelier dans Dame Street, lorsque enfin il comprit le rapport existant entre les deux idées qui le hantaient… Je viens réclamer la prime de vingt livres offerte par le Syndicat des fermiers pour des renseignements concernant le nommé Francis-Joseph Mac Phillip. »
Brute colossale, écrasée de misère, isolée dans la jungle urbaine, le héros n’en est pas un. Il trahit pour payer sa place à l’asile de nuit, du moins le pense-t-il, car, sitôt l’argent en poche, il s’empresse de le dépenser. Au petit matin, quand sonne l’heure de payer le prix de la trahison, aussi démuni que la veille, il n’a plus que sa force physique et son courage. Est-ce suffisant pour se sauver ou se faire pardonner ?
Sombre, brutale et désespérée, une Irlande très loin des cartes postales comme le précise la préface : «L'Irlande, où il pleut tous les jours, est ravagée par l'alcoolisme, par la politique et par le courage de ses habitants.»
Quel coup de poing !
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