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Dans « Cœur volé », nous faisons la connaissance de Merilee, une jeune femme de 26 ans de retour dans sa ville natale pour être aux côtés de son père mourant. A cette occasion elle se remémore ses années d’enfance dans la vaste maison familiale, sa relation froide et difficile avec sa mère, son désir incessant d’être aimée de son père, et la mystérieuse disparition de Lilac Jimson, une de ses camarades d’école. Cette sombre affaire n’a jamais cessé de la hanter, même après avoir quitté Mount Olive pour New York et avoir vécu loin des lieux de l’enlèvement et du regard de ses parents.
Merilee est le personnage central du roman. Le récit alterne entre ses souvenirs d’enfant et son ressenti de jeune femme, entre passé et présent, et l’auteure donne une grande place à ses pensées, souvent intimes et impudiques. On prend assez vite conscience de sa personnalité bancale, résultat d’une éducation lacunaire essentiellement assurée par sa mère, femme brisée ne survivant que par l’ingestion de doses massives de médicaments, et d’une vaine quête de reconnaissance et d’amour auprès d’un père distant, personnage public influent et apprécié.
En revenant dans sa ville natale, qu’elle avait quitté sans penser y remettre les pieds un jour, la jeune femme doit de nouveau composer avec ce père à la présence aussi attirante qu’écrasante et, toujours dans l’espoir d’une parole aimante de sa part, l’accompagner dans ses derniers instants et faire face aux responsabilités qui lui incombent en tant qu’héritière de sa fortune. Elle se retrouve malgré elle obligée de se replonger dans les lieux et la vie qu’elle avait laissés loin derrière elle et se confronte à cet encombrant passé en compagnie du protégé de son père, Oncle Jedah, exécuteur testamentaire à la personnalité et au physique enveloppants. Sans qu’elle comprenne vraiment pourquoi, l’homme – qui n’est en réalité pas de sa famille – se propose de l’aider à traverser cette difficile épreuve et de la conseiller pour disposer au mieux de son héritage.
Merilee, fragilisée par les circonstances, suit aveuglément cet homme au comportement si paternel qui semble pouvoir lui donner ce qu’elle a toujours désiré, de l’amour, et s’engage, sans en prendre conscience malgré les signaux et les évènements qui se succèdent, sur une pente dangereuse.
Qui est vraiment cet Oncle qui dit lui vouloir du bien? Qu’est-il réellement arrivé à Lilac Jimson? Quels secrets de famille lui reste-t-il à découvrir et à quel prix? Sortira-t-elle indemne de cette sombre période?
Ce sont toutes ces questions qui assaillent le lecteur au fil des pages et le tiennent en haleine jusqu’au bout.
« Cœur volé », bien qu’il soit qualifié de thriller, est en fait avant tout un portrait de femme et, en l’occurrence, celui d’une femme fragile physiquement et psychologiquement, sans cesse en recherche de l’amour qui pourra combler le vide qui l’habite depuis l’enfance et prête à tout pour y parvenir, y compris enchaîner les aventures sans lendemain dénuées de sentiments et placer son destin entre les mains d’un quasi inconnu aussi attirant que repoussant. En permanence sur le fil, au bord du gouffre, elle se débat avec ses souvenirs, son histoire familiale et ses tendances autodestructrices, tentant maladroitement de se défaire du poids du passé et de se construire un avenir.
Le mystère entourant la disparition de Lilac Jimson est présent tout au long du récit, mais en arrière-plan, servant à la fois de prétexte et de terreau à l’histoire de Merilee.
La plume de Lauren Kelly est brute, parfois violente, et le lecteur est dés le départ plongé dans une atmosphère lourde et oppressante, souvent malsaine, où le sexe est omniprésent dans ce qu’il a de plus glauque et dérangeant. La relation entre Merilee et Oncle Jedah est perverse à bien des niveaux et les secrets qu’il lui révèle sur sa famille donnent la nausée.
On est partagés entre une certaine compassion pour la jeune femme, la volonté d’en apprendre plus sur elle et sur ses parents, le souhait qu’elle réussisse à se reconstruire, et un profond dégoût pour cet homme qui s’invite dans sa vie avec des intentions d’abord floues puis clairement abjectes, et l’envie qu’il disparaisse du paysage aussi vite qu’il y est apparu.
C’est donc une lecture difficile et intense qui, même si elle nous donne parfois l’envie de refermer le livre et de l’oublier, sait nous attraper pour ne plus nous lâcher et nous emmène malgré nous dans les sombres et vils tréfonds de l’âme humaine.
Les amateurs du style si particulier de Joyce Carol Oates seront sûrement conquis par ce roman, les autres risquent de ne pas en garder un agréable souvenir…
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