"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Beyrouth, 30 ans après la fin de la guerre civile et quelques mois avant la catastrophe du port d’août 2020. Nous suivons les pérégrinations de Samar un jeune auteur de bandes dessinées qui entame un nouveau projet. Il peine à trouver l'inspiration et est tout sauf serein. Homosexuel, il fait des cauchemars : régulièrement un homme apparaît dans ses rêves, le menace, le traite d'anormal ; quand il est à sa table à dessin, il est sans cesse interrompu par des SMS émanant d'une application de rencontre. Avec ses amis, il déambule dans les rues de Beyrouth militant contre la corruption et pour que les LGBTQA+ soient acceptés ; il assiste aussi à des spectacles queer undergound…
C’est le premier roman graphique de Joseph Kai en solo. Il était auparavant membre du collectif « Samandal » (distingué par le prix de la BD alternative au FIBD en 2019). Il fait preuve de courage dans cette autofiction où Samar -prénom épicène- montre sa quête identitaire et artistique en dépit d’un pays rigoriste. A travers Joseph/Samar sont posés des questionnements qui animent universellement toutes les jeunes (et moins jeunes) générations : la guerre, le racisme, l’homophobie, la question de l’identité, la lutte contre la corruption et la pollution.
Le dessinateur libanais met en scène son héros dès la couverture en véritable « penseur » de Rodin dans une pose ambiguë presque féminine. Il est assis sur un vieux pneu dans une décharge qui peut symboliser sa ville au propre comme au figuré et constitue une allusion à la pollution et à la catastrophe écologique de 2020. Kai utilise également une palette de couleurs « arc en ciel » vives et tranchées qui sied bien au propos tout en surprenant le lecteur. Il arrive ainsi à faire ressentir le poids des traditions et la menace du danger dans des scènes oniriques où le rouge orangé symbolise le danger et les tons bleus l’immobilisme. Les frontières ne sont jamais nettes entre les séquences réalistes et oniriques, entre le présent et le temps du souvenir et nous somme ainsi plongés dans la psyché et l’inquiétude du personnage …. Pour renforcer l’aspect « parabole » de la destinée de Samar, Kai adopte pour son roman graphique le titre du film documentaire « The Disquiet » d’Ali Cherri (représenté dans l’album lors de la visite au musée) sur les conditions géologiques du Liban et ses trois failles principales.
Un premier roman qu’on aurait donc envie d’aimer et d’apprécier tant les thèmes abordés sont essentiels. Et pourtant il est peut-être trop ambitieux car comme le dit le proverbe « qui trop embrasse, mal étreint ». Il aurait gagné à être resserré pour soutenir la tension dramatique et à ne pas s’éparpiller dans des scènes annexes trop longues ou trop appuyées (les tentatives de drague du héros ou l’épisode du queer show) même si graphiquement il fait déjà preuve d’une grande maitrise et de subtilité.
2050, 30 ans après la guerre civile qui a suivi l'exposition de 2020 à Beyrouth.
Samar nous plonge dans sa vie, dans ses rêves, dans ses angoisses. Lui l'enfant queer devenu artiste qui a grandi dans ce chaos.
Comment vivre dans ces conditions de répression alors que sa communauté est ostracisée ?
"Je me demande comment auraient été nos corps et nos sentiments sans la menace et la peur, j'aurais voulu me connaître sans " c'est ce que l'on peut lire en quatrième de couverture de ce livre. Si on ajoute à ça le titre "L'Intranquille" le ton est donné. Et l'auteur ne se limite pas à ce titre et à ce texte, tout dans cette BD nous plonge dans cette intranquillité, cette angoisse, cette peur. On a à chaque page, chaque instant et dans chaque bulle ce ressenti. C'est fort c'est intense, oppressant et si réel même s'il ne s'agit que d'une fiction qui se déroule 30 ans après 2020.
Cette lecture m'a bousculé, bouleversé, renversé, j'ai ressenti le mal-être au fond de moi. Une lecture qui ne peut pas laisser insensible. Si vous n'avez pas peur de sentiments, alors allez-y. C'est très fort et très sensible.
Cette BD fait partie des 31 albums sélectionnés pour le 3e Prix BD @lecteurs_com
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