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Ce roman raconte l'histoire de quatre jeunes migrants, deux hommes, deux femmes, partis chacun de leur coin d'Afrique de l'Ouest. Par hasard, au bout de leur continent, ils embarquent à bord du même bateau de fortune, quelque part sur la côte libyenne, destination l'Eldorado européen. Avec eux, des dizaines d'autres passagers, tous désespérés au point de tout préférer, même la mort, à leur vie de misère et/ou de violence.
Tous candidats au naufrage, en Méditerranée littéralement, ou un peu plus loin, symboliquement, quand leurs illusions de vie meilleure, de réussite et de fortune se seront fracassées, pour la plupart d'entre eux, sur la réalité d'un autre continent où l'on ne veut pas d'eux et d'où ils seront refoulés. A moins qu'ils n'arrivent à passer les mailles du filet, et se retrouvent alors dans la zone grise des sans-papiers qu'on refuse de régulariser mais dont, cyniquement, on n'empêche pas réellement l'utilisation/l'exploitation de la force de travail dans les circuits de l'économie parallèle.
Mais ça, Abdou, Tarik, Marie, Ramatou et les autres l'ignorent, ou ne veulent pas le savoir ni y penser, ou en sont conscients mais de toute façon ça ne peut pas être pire que chez eux. Et puis peut-être qu'avec un peu de chance...
Rêve, illusion et drame de la migration, ce court roman met la focale sur le parcours de ces migrants de "leur" côté de la Méditerranée, avec quatre exemples parmi tant d'autres, montrant les vexations, pressions, menaces, abus qui les poussent au départ, les difficultés et les horreurs du trajet, surtout pour les femmes, jusqu'en Libye, avec l'argent comme seul nerf de la guerre, comme toujours.
Quatre prénoms parmi des milliers, qui se résument pour la plupart d'entre nous à une masse d'individus innommés, rendus anonymes par leur nombre, notre habituation à ces drames quotidiens, notre indifférence.
Leurs histoires sont tristes, tragiques, ce roman l'est aussi, et sombre et désespérant. le style est fluide, parfois trop haché à mon goût, et il transmet toute l'empathie de l'auteure pour ces êtres déshumanisés. Elle rend hommage à ces esclaves modernes, aliénés par les défaillances systémiques de leurs pays d'origine et la froideur de la politique migratoire européenne. Elle rend un peu de leur dignité à ces "héros et héroïnes de notre monde contemporain que l'on dit migrant.e.s".
Cet ouvrage propose d'apporter un regard anthropologique sur la pandémie qui nous occupe depuis 18 mois. C'est-à-dire qu'il est censé analyser "les conséquences du virus sur les relations entre les personnes". Et c'est vraiment ce genre d'analyse que j'avais envie de lire, et c'est pour cela que j'ai coché ce livre lors de la dernière Masse Critique Non Fiction.
C'est peut-être un malentendu, ou peut-être que je n'ai rien compris à ce livre, en tout cas je reste sur ma faim.
Les auteurs sont deux anthropologues belges, Jacinthe Mazzocchetti écrivant par ailleurs également de la fiction (par exemple "Là où le soleil ne brûle pas", que j'ai chroniqué récemment). le livre est constitué d'une introduction et d'une conclusion, et de six chapitres (trois par auteur), dont l'articulation m'a semblé assez aléatoire. Quelques photos et poésies (écrites par J. Mazzocchetti et très touchantes) ponctuent les différentes parties.
Les trois chapitres écrits par J. Mazzocchetti sont en lien avec le vécu des gens, concrets. Dans un style littéraire, parfois poétique, elle y parle de son propre ressenti, a interrogé son entourage et cite leurs témoignages pour ensuite élargir le propos. Elle aborde la défiance croissante envers les institutions, les angoisses et les incertitudes de la crise qui ont pu faire le lit du complotisme, elle questionne la relativité des vies, celles qui valent qu'on en porte le deuil et les autres. A ce stade elle s'écarte du contexte pandémique pour parler des migrants, un de ses sujets de prédilection, évoque ceux qui sont morts en Méditerranée dans l'indifférence, et ceux qui survivent chez nous, dans la même indifférence, et revient brièvement sur le sort de toutes les catégories de personnes (encore plus) précarisées par la crise.
Les trois chapitres de P.J. Laurent sont plus abstraits, factuels et impersonnels. le premier revient sur la saga des masques et la déferlante de chiffres dont on nous abreuve depuis le début, pour constater d'une part que comparer les chiffres ne sert à rien puisque les critères de comptage des morts Covid (par exemple) varient d'un Etat à l'autre, et d'autre part, que de toute façon ces chiffres ne disent rien des arbitrages des Etats, entre économie et santé notamment. le cinquième chapitre analyse et compare ces arbitrages et les choix des Etats, allant du confinement plus ou moins strict au non-confinement, et les stratégies privilégiant l'économie ou la santé de la population.
Le troisième chapitre m'a laissée perplexe : il y est question des ripostes des Etats à la pandémie, et notamment de l'imposition du port du masque, qui marque l'avènement d'une nouvelle culture plus distanciée et qui symbolise la peur, la suspicion et la réprobation à l'égard de celui qui ne le porte pas (perso je voyais le masque plutôt comme un signe de respect vis-à-vis d'autrui, une protection collective, quelque chose qui a à voir avec la solidarité, mais passons). S'ensuivent la conclusion que, masqués, il nous reste le regard pour faire passer la communication, puis une digression sur les yeux comme organes de séduction notamment dans "les cultures où le voile a établi une barrière autour du corps de la femme". Là je n'ai pas vraiment compris le lien : la pandémie ne masque que le bas du visage, pas l'entièreté du corps, et pas que celui des femmes, et puis cherche-t-on à séduire toutes les personnes qu'on regarde, à toutes les mettre "sous l'emprise de notre regard" dans une perspective amoureuse ?
J'ajoute que j'ai failli m'étrangler dans ce chapitre en lisant que "en France, en pleine expansion de l'épidémie, le taux Ro [ndlr: le R zéro est le taux de reproduction du virus] atteint 3 (30 personnes contaminées par malade), il tombe à 0,5 durant le confinement (5 personnes), et pour maintenir le déconfinement [...] il devrait être de 0,6". Alors qu'en réalité si le taux Ro est de 3, cela signifie que chaque personne infectée (d'ailleurs pas forcément symptomatique ni malade) en contamine 3 autres (et pas 30). Bravo à l'éditeur pour avoir laissé passer une telle bourde, qui perturbe un peu la confiance qu'on pourrait avoir dans le reste des propos de l'auteur.
Bref, un ouvrage qui ne m'a pas convaincue, là où j'attendais quelque chose de plus approfondi et systématique sur "les conséquences du virus dans les relations entre personnes", sur la façon dont les personnes s'adaptent et réagissent, individuellement et collectivement, quelque chose qui fasse écho à l'image de couverture, par exemple. Mais il s'agit peut-être alors davantage de psychologie ou de sociologie. Globalement, tout cela m'a paru survolé, sans vrai liant entre les chapitres, pourtant censés "dialoguer" deux par deux.
Enfin, en plus de la bourde précitée, je ne félicite pas non plus l'éditeur (universitaire, de surcroît) pour les trop nombreuses coquilles qui émaillent le texte.
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