Le Club des Explorateurs permet à deux lecteurs de lire un même titre et de confronter ainsi leur point de vue.
Le Club des Explorateurs permet à deux lecteurs de lire un même titre et de confronter ainsi leur point de vue.
93 pages. Il n'y en a pas une de trop, il n'en manque pas une.
Banlieue madrilène, Tomás douze ans, décide d'écrire tout ce qui s'est passé ce samedi d'août au cours duquel son ami Lucas est mort.
Il n'aime pas écrire et s'il le fait, c'est parce qu'il sent que pour se débarrasser de ce qu'il a enfouit, la meilleure chose à faire c'est noircir du papier, faire de belles lignes afin de trier les souvenirs de cet événement perturbant.
Avec l'image obsédante des baskets du pendu qui semblent le regarder, qui le fixe sans le lâcher, ce presque adolescent parle au lecteur à la première personne. Sa voix est sans filtre, naturelle et franche comme celle d'un enfant.
Isabel Alba construit un récit intensément littéraire, utilisant un langage parlé, dans lequel la dureté du récit contraste avec la naïveté du style avec lequel il est exprimé.
Une histoire dont la fin surprend par son imprévisibilité, choque par l'ambiguïté morale des personnages. La vérité insensée apparaît au détour d'une page et ça vous file une grande claque dans la gueule.
Traduit par Michelle Ortuno
Isabel Alba livre ici un roman qui se lit d’un souffle, entraînant son lecteur dans une spirale infernale de violence qui rythme la vie de cette cité madrilène. Nous voilà témoins d’un récit cru, sans concession à la rapidité presque oppressante qui dérange et qui glace d’effroi. L’auteur maîtrise l’art de la concision et nous met face à ce que le jeune narrateur a à nous dire. Nous l’écoutons malgré tout, pour l’alléger de ce choc qu’il n’aurait jamais voulu subir. Au-delà du drame, c’est aussi le portrait d’une société en perdition que l’on dépeint pour forcer à voir ce que chaque jour on cache.
Nous voilà les éponges d’un récit dans lequel la langue et l’écriture sont un peu le miroir de la rue: torturées, abîmées, malmenées par cette pauvreté propre à ces endroits qu’on a isolés pour mieux les abandonner. Les mots griffent, accrochent, écorchent et vous conduisent vers les dernières pages qui nous sonnent, comme les victimes d’un uppercut.
Chronique complète: https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2016/09/11/baby-spot-isabel-alba/
C’est ce que l’on appelle un roman percutant. Tu sais, quand tu lis les dernières lignes bouche bée, quand tu fermes le livre un peu secoué(e).
Baby Spot, c’est l’histoire d’un gamin qui vit en banlieue de Madrid et qui, tel un funambule, avance sur la ligne qui sépare le Bien du Mal. Il trébuche, il se reprend, et l’on ne sait pas de quel côté il finira.
Élevé par sa mère, qui a été quittée lorsqu’elle est tombée enceinte, et par son beau-père qui les cogne, Tomás grandit comme il le peut et côtoie des voyous. Mais quand Lucas, le plus sage de ses amis, est retrouvé pendu à une poutre d’un chantier abandonné, la jeune vie de Tomás bascule. Il raconte, écrit et tente de dénouer ce qu’il s’est passé ce jour-là. L’écriture est rapide, rythmée et familière, elle dévoile dans l’urgence une situation qu’il faut à tout prix démêler. Tomás veut comprendre, veut nous faire comprendre. Il écrit pour décrire la situation et son entourage. Par là-même, ses pensées mélangées et troubles s’entrecroisent, se perdent, se couchent sur le papier, comme pour que lui-même se rende compte d’une réalité bien difficile à accepter.
Se dévoilent alors des enfances troublées, des personnages-bandits – comme le terrible Zurdo qui est arrêté ce jour-là-, mais aussi des naïvetés qui se font la malle.
« Et donc, quand on passe près du chantier et que Martín donne des coups de pied dans les canettes ou qu’il se met à parler sans pouvoir s’arrêter, moi, je ressens une angoisse terrible et les images me reviennent en tête – et je n’aime pas du tout qu’elles reviennent, parce qu’elles restent là-dedans, dans mon crâne, même si j’ouvre de grands yeux et que j’essaie de penser à autre chose – ; c’est que, sans le vouloir, je vois Lucas dans sa caisse, et je pense qu’il doit se sentir bien seul là, tout en bas, surtout qu’il y fait noir, et lui c’était un sacré trouillard. Alors j’ai un nœud dans la gorge, et on dirait que je m’étouffe, et je sens que je vais claquer moi aussi, comme Lucas. »
À cheval entre la réalité et la fiction, Tomás traverse les événements comme dans un film, mais parfois ses souvenirs le ramènent brusquement dans sa vie réelle. Difficile de faire le tri dans son esprit quand l’on a douze ans…
Le fil de l’intrigue se tend et nous bouscule, nous les spectateurs, les lecteurs, et tout cela ne nous laisse pas indifférents. Le récit nous abandonne à bout de souffle. Il percute et nous envoie face à un dénouement qui nous laisse pantois.
L’enfance et son insouciance prennent définitivement fin dans cette banlieue madrilène et laissent place à une dure réalité à laquelle Tomás va devoir se confronter.
« Avec les films c’est plus facile, parce que quand les images t’envahissent et que t’arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n’est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C’est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier. »
Je remercie vivement Dominique de Lecteurs.com pour cette lecture dans le cadre du Club des Explorateurs.
Mon avis sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2016/12/31/lecture-baby-spot-disabel-alba/
Dans une banlieue tout à fait sordide de Madrid, en bordure d’un périphérique, frontière entre deux mondes, il y a ceux qui réussissent et les autres. Les jeunes trainent leurs guêtres dans les ruines d’un quartier jamais terminé par l’entreprise de construction, quand les appartements eux ont été vendus depuis longtemps. Témoins de la vie sordide des petits voyous et des trafics en tout genre, des violences sur les femmes, elles qui disent toujours non et se débattent même quand elles sont d’accord comme chacun le sait bien, des coups portés à la mère quand elle veut s’exprimer, du père qui traine au café, ivre, du matin au soir car il est au chômage. Les enfants trainent, et Lucas est un peu leur souffre-douleur, il les accompagne partout, mais il est bien plus sage, car lui, c’est sur, sa mère l’aime vraiment et s’en occupe comme elle peut.
Et Tom raconte, raconte dans une logorrhée sans fin, sans trop de points ni de virgules tant le récit presse et veut sortir, ce qu’il a vu ce jour d’août, le jour où Lucas est mort dans le chantier, le jour où le flic pourri a arrêté le caïd du quartier, Le Zurdo, le frère de Martin, celui que jusqu’alors Tom admirait tant. Le jour où tout a basculé, comme ça, pour rien, comme dans un film, parce qu’on ne sait pas « pourquoi » finalement tout bascule.
Et les mots sortent, en langage parlé, qui disent la vie au jour le jour, les pères sans emploi, les femmes abandonnées quand elles tombent enceintes, les violences faites aux femmes et le porno à la télé ou dans la chambre des parents à la cloison si fine qu’on entend tout. Qui disent aussi la tyrannie entre gamins, les petits caïds en prison, et l’innocence d’un gamin de 12 ans qui aime tant sa petit sœur Diana et sombre en même temps dans une cruauté et une violence indicibles. Quel roman étonnant, bouleversant, cru parfois, mêlant cruauté et enfance, de cette enfance qui sur le fil du rasoir ne sait pas encore de quel côté elle va tomber, le bon ou le mauvais ? Voilà un livre d’à peine 90 pages qui se lit d’une traite et qui vous laisse un peu pantois, sonné.
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