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Elle, 20 ans, qui a fait un mariage arrangé à la demande de son père pour qu'elle soit à l'abri du besoin, s'installe avec son mari sur l'île de Lyra, au large de l'état de Géorgie, en 1941; ils sont accompagnés par Gabriel, qu'Elle fait passer pour son cousin mais qui est le grand amour auquel elle aurait dû renoncer en se mariant. Nous sommes en 1997, Elle est atteinte de ce qui s'apparente à la maladie d'Alzheimer, son mari, qui était persuadé faire fortune en découvrant de précieuses pierres bleues au fond de l'océan, est ruiné, Gabriel s'est noyé il y a fort longtemps.
Le roman est bâti sur une alternance entre le présent dont Elle s'absente de plus en plus souvent et le passé qui ramène à sa mémoire des souvenirs qui se mélangent au présent, qui apparaissent par bribes, sans chronologie. L'auteure rend très bien la confusion mentale dans laquelle se perd Elle à cause de la maladie. Elle nous transmet et nous fait ressentir cette confusion comme si nous étions Elle; il faut d'ailleurs, en permanence, au lecteur/trice un peu de temps pour savoir si on est dans le présent ou le passé, on découvre les personnes qui l'entourent au fur et à mesure qu'Elle les reconnaît. En me lisant, on pourrait penser qu'on est perdu dans le labyrinthe des souvenirs du personnage mais pas du tout; Hannah Lilith Assadi a réussi le tour de force de nous faire rentrer dans la tête d'une vieille femme atteinte de la maladie d'Alzheimer sans jamais être totalement désorientés comme l'est Elle.
Ce personnage féminin, qui n'a aimé, dans sa vie, qu'un homme qui n'était pas son mari, auquel elle pense et elle s'adresse des dizaines d'années après sa mort, qui se laisse envahir par le passé face à un présent qui lui échappe est très touchant et émouvant. Le roman est empreint de la nostalgie, de la mélancolie du temps et d'une époque passés, des proches disparus mais qui ne nous quittent jamais.
Les descriptions de l'île, qui existe mais sous le nom d'île de Cumberland, sont grandioses, en accord avec la couverture du roman que je trouve magnifique, où ciel et terre se confondent, parsemés de lucioles qui rendent le tableau féérique. L'océan est un personnage à part entière qui a marqué la vie de Elle : il lui a pris son seul amour, il a ruiné son mari, elle rêve de s'y perdre, il a fait fantasmer tous les habitants de l'île, persuadés qu'il cachait en son sein des pierres précieuses bleues qui les rendraient riches. Il reste un insondable mystère qui fascine, attire, fait peur et nous survivra.
#LesÉtoilesdeLyra #NetGalleyFrance
Pour ce nouveau titre des Éditions La Croisée, nous retournons aux Etats-Unis, sur une île qui existe réellement, mais qui apparaît ici sous un nom créé par l'auteure nord-américaine, Hannah Lillith Assadi, dont c'est le premier roman. Elle nous emmène au sud de la Géorgie, sur l'île de Lyra, un double fictif de l'île de Cumberland, avec sa zone naturelle protégée, sa petite ville, ses quelques habitations privées, son océan caeruléum, ses constellations ancrées dans un ciel azur. Une île dominée et exploitée par une famille d'exploitants miniers, les premiers colons de l'île, la famille Clarke qui l'occupe toujours ici et là. Le récit se passe à travers la maîtresse de l'un des domaines, Elle Rainier, épouse de Simon, atteinte probablement d'une forme de démence qui lui fait perdre pied ainsi que la mémoire : le passé se confond allègrement avec le présent dans la tête de la femme septuagénaire.
Elle est la femme de Simon, mais c'est avant tout Gabriel qui compte pour elle, c'est son nom qui vient avant tout chose, au réveil comme au début de ce printemps, d'une année que l'auteure a découpée en saisons. Tout débute le 13 mai 1997, sur l'île, avec laquelle elle cohabite depuis plus de cinquante ans, dans une immense demeure qui la surplombe. Une arrivée à trois, Simon, Gabrielle et Elle, un trio intrigant, qui ne manque de soulever des interrogations. À travers le voile de sa mémoire défaillante, mêlant avec confusion un passé qui ne devient plus si lointain, un présent qui s'éloigne de plus en plus, Elle va raconter l'histoire de sa vie, les événements qui l'ont amenée dans ce coin de nature isolé, aux richesses naturelles aussi indénombrables qu'inaccessibles, comme cette année présente.
Si, avec Simon, issu d'une famille richissime, le mariage était arrangé avant même que Elle ne fasse sa connaissance, c'est vers l'exact opposé de Simon que la préférence de Elle se tourne, un amour de jeunesse, qu'elle a entretenu, en cachette, parce que, sans métier, sans activité fixe, sans foyer, sans famille, Gabriel est l'un de ces saltimbanques qui ne savent ou ne peuvent pas se fixer. C'est un amour illicite, illégal, qu'elle amène avec elle sur l'île avec un Simon, qui possède également son lot de mystères. Et L'île de Lyra possède les siens, à commencer par ses trésors enfouis dans les sous-sols marins, des diamants de bleu céruléen, aux étoiles qui ponctuent ses cieux, à l'image de la constellation Lyre dont elle porte le nom.
Le récit, par sa forme, est très surprenant du fait qu'il fond présent et passé en une seule temporalité, rendant aux souvenirs qui affluent ponctuellement à la surface de la conscience de Elle une intensité vivace, comme si le poids des années ne pesait en rien. Réciproquement, le présent est ponctué de ces trous de mémoire, qui détache Elle de la réalité, creusant ce décalage dans lequel elle semble évoluer constamment entre vivants et morts, dans son propre monde. Son monde dont l'onirisme naît du décor merveilleux de l'île, enveloppée dans cette brume de mélancolie voluptueuse, et qui accompagne ce passé spectral.
L'esprit même du roman possède des effluves d'encaustique, qui n'est pas sans rappeler ces romans de la guerre de sécession - la Seconde Guerre mondiale rode ici en arrière-plan et hante les esprits de tous - habité par une famille Rainier, une famille Clarke ancien propriétaires, colonialistes ayant chassé les indigènes insulaires. Il détient aussi une sorte de poésie qui se révèle dans les descriptions sur le mystère insaisissable de l'île, celui du caeruleum, de la beauté de ses éléments, et de cette douce mélancolie qui perdure jusqu'aux derniers jours de l'an 1997 grâce au disque rayé de cette mémoire cyanosée.
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