"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
De nos jours, dans des pays connus, dans des situations de détresse et de misère, dans des pays en folies, rien n’est oublié dans le tamis d’actualité de l’écrivain turc « Hakan Günday ». Qu’ils s’agissent des pays démocrates, du pouvoir de l’argent, des castes tapies derrières de pieuses institutions de bienfaisance, de l’absence totale d’empathie sur la pauvreté ; celui-ci sans emphase pointe du doigt la logique des pays développés et des grandes institutions chargées de réduire ces inégalités, un procès – un pamphlet ? – devant notre absence totale d’humanité, de la négation d‘une conscience collective efficace.
Le dénominateur commun de ce roman, Zamir, un bébé qui n’aura jamais le plaisir de sourire dans le monde de sa naissance. Une bombe tombée à proximité, dans le camp de réfugiés d’al-Aman – frontière turco-syrienne – va le défigurer à jamais. Recueilli par une organisation humanitaire internationale : All for All. Il deviendra un symbole, et sera livré à la marée médiatique afin de faire rentrer des fonds grâce aux généreux dons des nantis. Déçus par le manque d’efficacité, il marque un profond regain pour l’action, et rejoint la Fondation pour la Première Paix Mondiale et sera négociateur.
Le lecteur comprendra sans peine, que moult sujets abordés, nous concernent tous. Que se soient ,le goût irrépressible de la nouveauté et de la consommation, de la culpabilité de nos pays envers le tiers-monde, de l’implications politique et militaire dans les pays en voie de développement, de l’établissement de quotas des pays « civilisés » concernant les minorités – projection livresque de l’auteur –, afin d’établir une adéquation entre homme / besoin, des décisions politiques prises sans concertation avec la base du peuple – la liberté ou la vie, nous décidons à leur place –, les paroles d’amour des religions qui s’avèrent fallacieuses, sans oublier l’utilisation des mouvements terroristes, tel le Patriot Act pour gérer les mouvements de personnes.
Ainsi, l’auteur, de sa plume acerbe et critique, attire l’attention, sans fioriture ni misérabilisme, sur le monde de l’argent, qui sous des dehors d’humanité, pousse à la guerre. D’où l’importance du droit fondamental de la vie qui surpasse de loin tous les autres droits. Alors face à ce flot de dysfonctionnement de la démocratie : le constat que le passé prédomine, raison pour laquelle notre avenir vénère la dystopie. Notre civilisation n’a plus conscience, où l’a-t-elle eu un jour, de distinguer le bien du mal, bref l’espoir nous échappe.
Une savante critique acérée de la raison mondiale.
Au début des années soixante (du moins si je me fie un tant soit peu à la chronologie des évènements …) une bombe tombe sur le camp de réfugiés d’al-Aman (à la frontière turco-syrienne) Un bébé de six jours, misérable « dommage collatéral », y laissera son minuscule visage, tandis qu’un chirurgien norvégien (le Dr Asbjörn) parviendra in extremis à lui sauver la vie. Malheureusement, il en restera défiguré pour le restant de son existence …. Ce jour-là, l’horreur sautera définitivement aux yeux du courageux médecin – qui en a pourtant – « vu d’autres » et ce dernier plongera inexorablement dans l’enfer de l’alcoolisme …
Quarante années plus tard, le 24 décembre 1999 ( je cite : « sept jours plus tard, le monde allait entrer dans un nouveau millénaire ») c’est dans la ville de Stavanger (Norvège) que l’homme sans visage va assister aux obsèques de son sauveur, qui vient de succomber à une cirrhose, à l’âge de soixante-douze ans …
Ce bébé (Zamir) né quarante ans plus tôt est celui de Zerre (quinze ans à l’époque) une jeune turque de Palaz, ville frontière située à six cents mètres du camp d’al-aman. Camp que l’adolescente prend pour l’Eldorado et où elle est bel et bien décidée à abandonner son nourrisson. Dans le but de lui offrir une chance qui permettra de changer sa destinée …
Un roman fort et très émouvant, à la construction élaborée. Un chapitre sur deux, nous découvrons l’histoire de Zerre et celle de son fils, élevé par All for All (une organisation humanitaire) puis les évènements survenus entre le 24 et le 31 décembre 1999 (cette fois, le narrateur est notre « héros » …) Après l’espoir, le respect et l’admiration que l’on peut porter aux ONG, viendra le temps de la réflexion sur leurs agissements parfois « bordeline ». Sur le manque de décence ou l’hypocrisie de certains … Sur la manipulation de ce garçon sans visage, qui va se servir de son malheur bien visible pour obtenir ce qu’il désire, au nom de la paix universelle … Un monde cruel qui va – petit à petit – faire d’une victime une sorte de « maitre-chanteur » … Pour le meilleur et pour le pire …
Beau texte sans concession. Qui semble parfois sortir de notre (triste) réalité, et à d’autres moments venir tout droit de « contes et légendes »… Qui rend hommage à toutes les femmes de la planète, qui furent, sont et seront – hélas ! – les éternelles victimes de la violence des hommes, comme de la stupidité terrestre … Dans un constant face à face conflictuel entre l’Orient et l’Occident …
Merci à Babelio et aux Éditions Gallimard, qui m’ont permis de découvrir ce roman – et de rencontrer très prochainement son auteur turc – qui ne manquera pas de nous éclairer plus avant sur le sens de son ouvrage.
« La seule chose insupportable est que rien ne soit insupportable ». Cette citation d’Arthur Rimbaud reprise par l’auteur tel un aperçu de ce qui va suivre résume à elle seule l’essentiel du comportement de Gazâ. Orphelin de mère à sa naissance, élevé et embrigadé par son père dès l’âge de 9 ans, l’intelligence de cet enfant s’exercera à ses côtés comme passeur. Dès cette extrême jeunesse, il commet son premier crime, par paresse ou inattention, peu importe. La grenouille en papier et les fantômes de Cuma, jeune Afghan, l’accompagneront …
« Si mon père n’avait pas été un assassin, je ne l’aurais pas été non plus … ». Cette assertion revient comme un leitmotiv.
Etrangement, par le prisme de chacune des quatre techniques des peintures de la Renaissance, Hakan Günday gradue les paliers de l’évolution de Gazä, le flou artistique, les contours sans réelle limite, les couleurs aux nuances entremêlées, laissant entrevoir une issue de « réhabilitation » dans la société de cet enfant-animal, ou le plongeant davantage dans la monstruosité avant de stagner dans un univers embrumé par les substances illicites.
L’auteur exprime avec une grande violence le système parfaitement établi en Turquie, « pays-pont » emprunté par les migrants clandestins Afghans, Pakistanais, Syriens … dans l’espoir de gagner un utopique paradis européen.
Gazâ et son père réceptionnaient « la marchandise qui arrivait trois fois par mois » avant de les enfermer dans « le dépôt » qui était « un puit infernal qui pouvait contenir deux cents personnes à condition qu’elles rentrent le ventre et se serrent les unes contre les autres. Il était clos par un couvercle que j’actionnais en jouant les égoutiers ».
Même s’il s’agit d’un roman, l’actualité résonne fortement, le commerce des traversées mortelles en est la triste preuve. A cela s’ajoute le phénomène de la peur agité par certains pour mieux exercer leur domination. Hakan Günday s’est emparé d’un sujet brûlant et très dérangeant. En cela, c’est une réussite en termes de communication, il faut faire savoir. Sur la méthode, ou plutôt, la manière d’exprimer cette autre guerre, la plume de l’auteur agresse, logiquement peut-être, comme les scènes qu’il décrit ? Gazâ est inhumain, dénué de tout sentiment, il aime la cruauté, il joue de son intelligence pour la mettre en œuvre, il évite à tout prix de dévoiler le moindre soupçon d’attendrissement ou de regret, et pourtant, paradoxalement … n’invite-t-il pas à la compassion ?
Dans cette façon de décrire les comportements, de transmettre les émotions, Hakan Gunday démontre un réel talent.
Toutefois, en refermant le livre, j’ai eu besoin d’un peu de recul pour affirmer mon avis. L’imagination autour de ce sujet brûlant est intéressante, mais tant de violence m’a heurtée. En revanche, j’ai beaucoup aimé la façon dont est traitée la fin de l’histoire….
Il est certes dérangeant, mais ce n’est pas une raison pour ne pas le découvrir, il fait partie des romans coup de poing.
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