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Deuxième aventure du commissaire Kléber Bouvier déjà rencontré dans Les communiants de Rouen. En relisant ce que j'avais écrit du premier tome, je m'aperçois avec grande joie que Gilles Delabie change la construction de son roman, non que le premier fût mauvais, bien au contraire, mais de cette manière, on n'a pas l'impression de lire le même livre. Et il est bon ce polar, excellent même. D'abord l'intrigue est suffisamment alambiquée pour tenir la route jusqu'aux ultimes lignes, pour nous embarquer sur de mauvaises pistes, des mauvaises intuitions. Ensuite, une belle part est faite aux personnages, Kléber Bouvier en particulier, mais aussi Gustave Malet, le père du défunt, un très riche propriétaire terrien qui a bâti sa fortune pendant la guerre.
Peu d'humour dans ce roman, une ou deux saillies de-ci de-là :
"Péqueri s'empressa de prendre le chargement et monta les marches quatre à quatre.
- Tu parles d'une flèche ! Ils sont tous comme ça les nouveaux cette année ? ironisa Marini.
- Non, lui il est exceptionnel, il a un an d'avance..." (p.40)
Non, le ton est lourd, l'ambiance noire et glauque, le froid extrême de l'hiver 54 (celui de l'appel de l'Abbé Pierre qui l'a rendu célèbre) n'allège pas l'ensemble, au contraire. Le commissaire Bouvier se débat dans cette enquête dont il ne voit pas l'issue, il faut dire que dans la campagne du pays de Caux, les têtes sont dures et les gens taiseux (et on dit des Bretons, les Normands n'ont pas l'air en reste). Chacun sait une bribe -ou plusieurs- mais personne ne dit rien par peur des représailles de l'homme fort du canton, Gustave Malet qui est un type odieux (et le terme est faible). Bouvier patauge et sa vie personnelle n'est pas idyllique non plus, partagé qu'il est entre Clémence sa femme et Suzanne sa maîtresse. C'est aussi le moment ou surgit du passé un homme, Leperron, ancien milicien qui, pendant la guerre, a tout fait pour emprisonner Kléber et Clémence qui étaient dans la Résistance. Des révélations sur ses pratiques déstabilisent le couple Bouvier qui n'a pas particulièrement besoin de ça.
Un polar social et historique, drôlement bien fichu, bien écrit ce qui rajoute au plaisir de le lire, maîtrisé de bout en bout qui fourmille de considérations politiques, historiques, sociales, philosophiques : "Il existe un état supérieur à tout sentiment, dévorant les rêves, les envies, les joies, les peines, les êtres tout entier, un état tout puissant, invincible : la honte. Lorsqu'elle nous traque, on a beau user de subterfuges, brosser son âmes à l'eau bénite, la camoufler sous l'alcool, la jeter en pâture à la folie, la claquemurer dans l'oubli, elle finit toujours par nous anéantir, à l'aide d'une corde, d'une balle ou d'un précipice..." (p. 162). Un polar qui ne peut laisser indifférent, qui ne fait pas dans l'anecdotique, mais dans le lourd. Faites connaissance avec Kléber Bouvier, vous ne le regretterez pas, et même si je puis me permettre un conseil, comme il n'en est qu'à deux enquêtes, commencez par la première -Les communiants de Rouen- et continuez avec celle-ci, La part du mal ; n'hésitez pas, vous ne prenez qu'un risque, celui de vouloir le suivre dans ses autres aventures.
En plus, le livre est en format poche, comme toujours chez Ravet-Anceau, pratique donc sur la plage ou dans les transports en commun pour ceux qui ont déjà repris le travail.
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