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Un grand nombre de monographies sur Goya ont été publiées. En quoi celle-ci ferait-elle exception ? Probablement, pour une raison simple : Fred Licht, historien d’art néerlandais, a su renouveler notre regard sur le maître espagnol. Et cela à travers un texte fluide, si brillamment traduit par Michaël Gibson et Marie Grocholska…
Goya était, à sa manière, un individualiste, le contre-pied du peintre héros révolutionnaire, son contemporain, Louis David. Vivant dans une Espagne réactionnaire, bigote et réfractaire aux idées des Lumières, il ne pouvait être que déçu par l’arrivée au pouvoir de Napoléon. Remplacer un potentat par un autre n’était pas ce qu’il attendait. Lui, le peintre du Rococo espagnol, le peintre des Bourbons (Charles IV d’Espagne), le peintre des jeux bucoliques d’une jeunesse insouciante, devient au fil des années le miroir de cette société sur le déclin. Et c’est en collant au plus intime des peintures (certains des détails présentés sont très révélateurs) qu’on prend conscience que Goya peint essentiellement pour un monde nouveau en dénonçant simplement l’ancien… Il ne pouvait qu’être déçu, le pauvre ! Lui qui voit ses idéaux foulés aux pieds par les troupes napoléoniennes, lui qui voit ses amours adultères révélées au grand jour, lui qui devient sourd, lui qui n’en peut plus des superstitions de ses contemporains … et tout cela se lit dans les œuvres mêmes, les fresques de la voûte de San Antonio de Florida, des « Maja », du « Portrait de la Famille de Charles IV », des gravures des « Caprichos » (où il mélange eau-forte, aquatinte et pointe sèche), des « Pinturas negras »,etc. Goya est également à avoir humaniser le sacré : le Christ n’est qu’un gars abandonné par un monde indifférent et égoïste ; le roi n’est qu’un gros bonhomme rubicond. Ainsi Fred Licht souligne-t-il que Goya transforme le portrait de groupe (la famille de Charles IV) en une réunion ridicule dont le spectateur est exclus, tant les protagonistes sont étrangers à ce qui leur est extérieur. Ce tableau est l’anti - « Meninas », le chef-d’œuvre de Velázquez, peint en 1656.
Mais les deux moments forts sont évidemment les deux tableaux portant sur les événements de mai 1808, des œuvres si puissantes qu’elles ne peuvent laisser indifférent le spectateur. Face à tant de drame, tout s’efface : la touche, la palette chromatique, la lumière, la composition pour ne laisser d’autre choix que de prendre parti. De prendre parti contre l’insupportable. Nous sommes là loin de l’empathie compassionnelle que génère « Marat mort » de David. Goya ne laisse donc pas indifférent car, avec ses cris pré-romantiques, il prend pour héros des gens du peuple, des hommes comme lui, des révoltés (et non des révolutionnaires).
Bien sûr, il y aura bien quelques avis d’irrécupérables classiques qui déclareront tout ceci morbide, grotesque, intolérable, alors cet ouvrage tout acquis à la peinture de Goya, si richement illustré, si amplement documenté, n’est définitivement pas pour eux.
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