"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Vingt-quatre courtes nouvelles dans ce recueil intitulé Limite vide, suivies, d'un texte un peu plus long, La femme du 16.
Vingt-cinq textes donc, dans lesquels Léo Betti présente des personnages, des gens normaux, de ceux que l'on peut croiser quotidiennement : un pompiste, des clochards, des jeunes gens, des gens moins jeunes, des hétérosexuels, des homosexuels... bref, ceux qui font la société.
Ils ont tous ou presque tous en commun une certaine solitude, des amours contrariées, des envies ou des désirs avortés, morts avant même d'être plus que de simples pensées ou rêves. Autant dire que l'on est loin de la bagatelle et que les histoires de Léo Betti sont noires, sombres, vouées à une mélancolie certaine dans le meilleur des cas.
Tout cela pourrait détourner certains lecteurs qui auraient tort, car l'écriture de l'auteur est très belle, poétique parfois, directe, crue. La phrase en exergue du recueil est tirée d'une livre de Richard Bohringer et la première nouvelle, L'ami, est très bohringerienne, un hommage avec déjà le prénom d'un des deux personnages, Paulo et dans l'écriture également. "On piquait des trucs dans les Monoprix souvent, du saumon fumé, ce genre de trucs, des trucs chers, des trucs qu'on pouvait pas se payer. Puis on se faisait des apéros de bourges avec les trucs du Monoprix. C'est même pas vraiment volé, les deux tiers de la bouffe partent à la benne dans ce genre d'enseignes. C'est plutôt de la récup' anticipée. C'est ça qu'on se disait avec Paulo." (p.12/13)
Puis dans les nouvelles qui suivent, tout en gardant l'esprit, Léo Betti adopte un style plus cru, plus direct. Phrases courtes, voire nominales. Du rapide, de l'oralisé. Du sexe. Du cru. Du brut. Du brutal. Pas du violent dans l'écriture -rien n'est insurmontable à lire- mais du violent dans les situations, dans les vies des personnages : vies brisées par la violence des parents, physique ou orale, par un compagnon, par un abandon, celui d 'une femme, d'un homme, d'un enfant... Les gens que Léo Betti décrit vivent, douloureusement certes, mais ils vivent, dans un monde qui leur est hostile. Anonymement, loin des yeux des passants, de nos yeux. Volontairement parce qu'ils révèlent en nous ce que nous n'avons pas envie de voir. Ou involontairement, parce que nous avons tous nos soucis, nos préoccupations, nos difficultés...
C’était il y a plus d’un an. Du roman de Léo Betti, "Rampants des villes", je disais "C'est triste, c'est noir, oui, mais voilà, je ne l'ai pas lâché." Aujourd’hui, la dernière page de son nouvel ouvrage "Limite vide" tournée, je pourrais écrire exactement la même chose. Tel Pierre Soulages, ses toiles, il peint ses personnages à l’outre-noir.
Noir, c’est noir en effet, et même au-delà, et ça dégouline. Pourtant, il m’est difficile de m’en détacher. Quel pouvoir détient cet auteur pour m’entraîner au fond de ce gouffre dénué de toute lumière. "Limite vide" est une galerie de portraits tristes, hommes ou femmes, qui ne se connaissent pas, ne risquent pas même de se croiser un jour mais portent en eux un même désespoir. Que ce soit celle qui vend des culottes dans un centre commercial et se sent mal aimée de son frère car "Lui il fait des études, doctorat en lettres classiques" ou encore celui parti à la guerre à dix-huit ans et qui n’a jamais retrouvé Marie, son amoureuse, parce qu’il s’est réveillé jambe coupée et visage anéanti. Ou bien encore François et son "secret d’ordinateur", Dimitri qu’il retrouve chaque soir par écran interposé.
Elles sont toutes glauques et l’une d’elles, "Cinéma" plus horrible encore que les autres, à ne certes pas mettre devant tous les yeux… Mais il y a quelque chose, cette impression d’empathie de l’auteur pour les petits, les "sans dents" selon une expression rapportée en son temps, qui me fascine. Peut-être parce que, moi aussi, j’ai un faible pour ceux qu’on ne voit, ni n’entend.
Particulier, triste, noir et même parfois vulgaire, trash, gore. On pourrait dire : trop, c’est trop. Certes, mais au fond, Léo Betti donne une voix à ceux qui n’en ont pas et pour cette raison, je lui tire mon chapeau.
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Très court roman. Noir, dur, sans concession. Brut. Tout le monde est égratigné, les pauvres, les riches, les filles, les garçons, les beaux, les moches... Le Nord. Béziers? Tous pareils. Partout les mêmes losers. Les mêmes rampants des villes. Les gens abrutis par le travail. Pressés. Pressurisés. Les villes moches. Les zones industrielles ou commerciales. Toutes les mêmes, dans toutes les villes. Société de consommation.
Il et tellement fort ce bouquin, que je ne peux m'empêcher d'écrire quelques lignes à la manière de Léo Betti. Sèches, brutes, nominales voire uninominales. Courtes, rapides, dures et parfois violentes. Et d'autres plus longues tout aussi fortes : "La vie immobile ressemble à la mort, pourtant c'est plus vivant que la vie qui s'agite. L'immobile, c'est la beauté de la vie du dedans. L'agitation, c'est les dernières convulsions de la mort du dedans." (p.21) Des paragraphes durs comme lorsque le narrateur parle de la violence du père qui masque une affirmation de sa virilité : "Lui, si peu certain de son masculin. Lui, qui en faisait des caisses pour être un homme. [...] Lui qui a tout écrabouillé des fruits de sa semence. Pour se sentir mieux peut-être. [...] Il a peut-être conservé nos couilles dans du formol. Un jour, il faudra retourner les chercher." (p.54)
Il est question du déterminisme social et de la difficulté de sortir de sa condition : si l'on n'y parvient pas on est un loser, si l'on y parvient on est un parvenu. Et lorsqu'on n'a pas l'argent, les bonnes relations, le charisme, tout foire et l'on reste un rampant des villes, car aucun nanti ne viendra tirer la ficelle pour élever un pauvre. La théorie du ruissellement n'est qu'une théorie.
Un roman que l'on peut qualifier d'initiatique, un jeune homme qui part loin de chez lui tenter de trouver qui il est vraiment, tenter de faire mentir le destin. C'est fort, violent, dur, noir et marquant, par cette écriture sèche, à l'os. Beaucoup s'y essaient, rares sont ceux qui réussissent à être justes, sincères et à prendre aux tripes. Léo Betti est l'un de ceux-là.
La curiosité est-elle un vilain défaut ? Je n’ai pas vraiment la réponse à cette question après avoir terminé le roman de Léo Betti, "Rampants des villes", publié par les Editions du Basson, basée à Charleroi. C’est l’éditeur qui m’en a proposé la lecture via un courrier électronique. Je ne connaissais pas cette maison, pas davantage l’auteur...
J’avoue avoir eu du mal à me déterminer. J’avais accepté de recevoir un livre, j’avais choisi de le lire, jusqu’au bout. Allais-je, ou non, en écrire une chronique, en donner un avis ? Son écriture ne me ressemble absolument pas. J’aime les belles phrases, les mots choisis, une langue châtiée, élégante, bien travaillée. Celle utilisée dans le récit est à l’opposé. Un flot de mots, souvent vulgaires, grossiers, comme jetés à la gueule – oh ! Pardon, je voulais dire à la figure ou mieux au visage – des lectrices et lecteurs. Tout est noir, aussi noir que la couverture du livre. Tout est triste, lugubre comme la vie du héros venu à Béziers suivre une formation. "Ici c’est moche. Des jours et des jours et c’est de plus en plus moche. Les bâtiments sont gris, crasseux."
Le héros est un pauvre garçon, originaire du Nord, battu par son père, mal aimé par sa mère, sans amis. Sans amis jusqu’au jour où X l’aborde, jusqu’au jour où X devient son ami, son seul ami. Oui mais X est un peu, beaucoup, "cet ami qui vous veut du bien". C’est lui qui décide, parle, commande et notre héros suit car il n’a rien à dire, proposer, décider. Et les jours passent, tristes et noirs entre alcool, substances illicites, sorties, humiliations diverses.
C’est triste, c’est noir, oui, mais voilà, je ne l’ai pas lâché. J’ai continué jusqu’au bout, malgré les scènes à la limite de la pornographie, malgré le manque total d’optimisme ou d’espoir, malgré la peur, l’horreur qui parfois s’en dégagent. Je ne l’ai pas lâché parce que l’écriture, celle qui ne me ressemble pas, violente, noire, lugubre, saccadée, épurée, parce que les phrases courtes, souvent commencées sans être terminées, donnent à cette histoire une force hors du commun.
Une histoire forte, un genre de roman initiatique, une parole donnée aux plus faibles, une impression de justesse, d’évidence… je ne sais trop si j’ai aimé… mais je l’ai trouvé d’une extrême puissance.
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