"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
«– Il faut lui trouver un nom avant qu’elle ne commence…
Un prénom de femme prostituée contient souvent un y à l’intérieur, le "y" c’est la suggestion, l’ouverture, la brèche, l’embrasure, le rêve doré, Debby, Marylin, Myriam, ou bien le prénom se termine en a, le a suggérant aussi la féminité, la douceur, la rondeur : ils ont le choix. Lola, Sonia, Vanessa, Fiona, Rita, Carolina, il suffit de rajouter un "a" à la dernière consonne.
— Natacha, elle peut s’appeler Natacha, ça sonne bien, hein?
Immédiatement, j’ai accepté ce prénom, ça sonnait russe, sexy et fourré. Tout a commencé à l’âge de 18 ans, par cette annonce lue dans la presse locale, à Charleroi, en Belgique tout près de la frontière française "hôtesse de bar, bien payée" ». Oui, tout commence comme ça dans ce récit qui retrace le parcours d’une prostituée.
Natacha accepte ce boulot simple et bien payé. Elle met alors le doigt dans un engrenage qui va petit à petit la broyer. Car ses collègues ne se contentent pas d’être entraineuses, elles montent avec leurs clients au premier étage. Au bout de quelques jours, elle s’est «sentie un peu mise de côté, un peu ridicule». «Toutes les autres filles montaient en riant. Pourquoi rester, pourquoi ne pas monter? Je tâtonne, palpe dans mon enfance, dans mes souvenirs. Aucune barrière, aucune limite qui ne m’interdise de passer à l’acte. Rien qui ne me dise stop, aucune aspérité, aucune bordure, c’est ouvert, c’est mouvant peut-être, mais c’est ouvert.»
Natacha ne se rend pas compte qu’ici, Aux Sirènes bleues, sa vie vient de basculer. Ce qui ressemble à la liberté totale, pour elle qui gagne en une journée le mois de salaire d’une personne «normale» est un piège qui déjà s’est refermé. Désormais elle est une pute, ou encore une « agenouillée, attoucheuse, bifteck et camelote, couillère, essoreuse, épongeuse de vague à l’âme, gagneuse, grue gonzesse, goualeuse, gourgandine, hotu, lorette (pour une jeune prostituée), louve, magneuse, michetonneuse, môme, omnibus, pouffiasse, ribaude, trotteuse.» Un métier qu’elle va exercer durant des années, d’abord en Belgique puis en France, lorsqu’un «sauveur» décide de la sortir de sa condition et l’emmène à Paris. C’est là, à deux pas du Ritz, qu’elle va établir ses quartiers et alpaguer une clientèle qu’elle a
vite fait de catégoriser et de noter : «je les comparais à des crustacés et fruits de mer avec les crevettes, les huîtres, les homards, les crabes, les éponges et les étoiles de mer. Je vous liasse découvrir à quoi correspondent ces différents profils. Car si le plus vieux métier du monde est dégradant, il est aussi le révélateur de la misère sexuelle qui règne en France. Les hommes ont en effet d’abord besoin d’une psychologue, d’une personne qui les écoute, qui puisse tour à tour sauver leur couple ou leur éviter de faire une grosse bêtise. Ce n’est que bien après que viennent les rôles de nymphomane, maman, gouvernante, servante et autre fantasmes.
La force du récit tient d'abord à cette façon de poser les mots justes, à cette narration sous forme de témoignage, de ce que Hugo appellerait des «choses vues», sans pathos et sans jugement. On trouvera toutefois un peu d’ironie, voire d’humour. Ainsi lorsque la narratrice nous explique avec quelle naïveté les hommes veulent croire qu’elle «écarte les cuisses par ce qu’elle aime ça». Quelques vérités qu’il est essentiel de répéter, d’asséner à ceux qui justement s’imaginent au lieu de comprendre, voire de savoir.
Peut-être qu'un homme aura eu lecture différente de ce récit qu'un homme, peut-être qu'un jeune verra différemment cette histoire qu'une personne plus mûre, peut-être qu'une chômeuse jugera autrement cette confession qu'une cadre supérieure... Mais après tout qu'importe, le but est ici, comme le rappelle le slogan choisi pour cette collection Orties «Ça guérit parce que ça pique».
https://urlz.fr/bgOS
Natacha est prostituée, à cinquante ans elle accuse pas moins de trente ans de métier. Elle raconte ici son parcours haut en couleur et le ressenti de toutes ces années passées à chevauchée d'hommes sans espèce d'arrière-pensée...
Avec ce récit, on va au-delà des stéréotypes, des tabous, de l'interdit, des secrets. Natacha se livre à cœur ouvert et en toute transparence sur ses rapports sexuels monnayés avec les hommes ; de ses débuts comme hôtesse de bar à l'acquisition de son pouvoir d'indépendance et de liberté.
Elle entretient un rapport ambigu et indissociable entre le sexe et l'argent. Elle nous décrit les artifices, la mise en scène, le jeu de dupe dans ses moindres détails. Elle laisse entrevoir le désir, le plaisir, tandis qu'elle travaille le détachement, l'oubli et qu'elle dénonce le rejet, le dégoût. On est touché par cette voix qui s'exprime audacieuse et pétrie de poésie.
C'est un texte impudique, sarcastique qui raconte l'exigence des corps, la détresse humaine. Les étapes se succèdent, remplissent, détruisent, nourrissent autant qu'elles affament dans un engrenage maîtrisé. Le voile est levé comme un étendard pour un affranchissement volontaire, puissant, affirmé.
L'écriture est directe, franche, fleurie, libérée. On goûte à des saveurs douces-amères, on affiche les frottements tortueux, cachés.
Anne Calife nous offre un roman transparent, généreux pour que nous soyons plus maître qu'esclaves de nos illusions.
C'est combien ? Et si c'était un rapport sublime d'inversion...
Plusieurs livres ont été écrits sur le sujet, mais celui-ci sort de la norme.
Conte d’asphalte
Que le titre est bien choisi !
Le conte est omniprésent dans cette descente sur l’asphalte, parmi les SDF
Anne Calife a passé un an parmi ces abandonnés à la rue et a sorti de cette expérience ce superbe roman.
Portant un regard humain sur ces êtres que la majorité feint d’ignorer, elle a partagé leur vie, leur solitude, le froid, la faim.
Le mélange des personnages de contes aux personnages réels allège un tant soit peu la souffrance et fait de ce livre un conte poignant dans lequel on se plonge, partageant le quotidien de la rue.
Une fois le livre refermé, on aimerait continuer à savoir ce que sont devenus tous ces gens.
Une chose est sûre, le regard sur tous ces êtres que l’on croise au détour des rues ne peut que se transformer en « compassion » au sens propre du terme : souffrir avec.
Cinquième roman d’Anne Calife que j’ai lis, et ce n’est pas celui que j’ai préféré.
Pourquoi ?
Parce que je n’ai pratiquement pas d’odorat et que ce roman est un hymne aux odeurs. Je n’ai donc pas pu apprécier l’importance des odeurs chez la narratrice
Parce que l’intrigue manque de consistance. Trop d’à peu près. Par exemple la naissance de la passion entre l’infirmière carcérale et Yvan le prisonnier n’est pas assez exploitée. On est surpris de la voir si vite renoncer à son mari pour vivre avec lui. L’univers de la prison est trop ou pas assez décrit. Et la fin semble un peu bâclée.
Parce qu’il y a quelques incohérences. Exemples
Le mari, hospitalisé depuis un moment, corrige ses copies
C’est l’infirmière qui est chargée d’annoncer la mort d’un détenu à sa veuve.
La date de l’enterrement est déjà fixée. Après l’école ( ?)
Yvan fait une tentative d’évasion alors que peu de temps après il est libre
Mais tout cela n’empêche pas la beauté de certaines phrases et la réussite dans la traduction de la sensualité qui émane de cette histoire.
Et puis, il faut bien l’avouer j’ai une tendresse toute particulière pour Anne Calife, alors, je lui pardonne tout.
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