"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Lecture pour le Grand prix des Lectrices Elle - catégorie Non fiction
Ce mois-ci, les jurées du groupe n°2 nous ont choisi cet essai de plus de 400 pages et je vous avouerai que j'ai eu du mal...
Le sujet est hyper intéressant mais c'était vraiment plein de longueurs pour moi et je suis pas fan des biographies ! Vraiment, c'est un genre que je ne lis jamais et ça ne me passionne pas trop.
L'autrice Anna Funder, passionnée par les œuvres de George Orwell a réalisé qu'il y avait une grande absente dans ses biographies : sa femme. Et pourtant, elle a joué un rôle essentiel dans sa carrière d'écrivain !
On va donc retracer la vie de George, en mettant en lumière la place d'Eileen, son épouse. Ce que j'ai préféré, finalement, c'est quand l'autrice nous montre comment Orwell (et la plupart de ses biographes plus tard) élude la présence de sa femme dans ses textes, l'évinçant totalement de passages entiers de sa vie. Alors est-ce dû à un machisme ordinaire ou cela découle-t-il de la culpabilité de son mauvais comportement à son égard ? On ne le saura jamais.
Toujours est-il que l'auteur de 1984 (que, soit dit en passant, je n'ai jamais réussi à lire en entier) n'est pas présenté sous son meilleur jour dans cet ouvrage : tromperies, tentatives de viols, abandon de sa femme malade... Pas très sympathique le bonhomme. Et ça ne m'a pas vraiment aidé à apprécier ma lecture ! Sa femme est décrite, quant à elle, comme bienveillante, intelligente, courageuse... Et on se demande un peu ce qu'elle a fait toute sa vie avec Orwell... Mais bon, autre époque, autres moeurs !
Lu dans le cadre du Grand Prix de Elle
« Derrière chaque grand homme se trouve une grande femme » Cette citation illustre parfaitement le livre d’Anna Funder. Eric Blair serait-il devenu George Orwell sans sa première femme Eileen O’Shaughessy ? Jusqu’à sa mort, elle s’est épuisée physiquement et moralement à s’occuper de son mari. Non seulement elle faisait seule les taches ménagères dans un environnement hostile et dans une grande précarité financière, mais elle relisait ses écrits, les corrigeait, les tapait à la machine et bien souvent lui soufflait ses idées. Jolie, enjouée, intelligente elle a sacrifié sa carrière à son mari. Elle a été ignorée par les six biographes d’Orwell et par son mari lui-même qui reprend à son compte des actions d’Eileen et parle très rarement d’elle disant «ma femme» mais sans jamais mentionner son nom.
L’image d’Orwell en prend un sacré coup dans ce livre qui nous dépeint un homme égoïste et infidèle. Dès la mort d’Eileen, il se lance à la recherche d’une seconde épouse qui s’occupera du matériel, relira ses textes, les tapera….
Au fil des chapitres, l’autrice incorpore des réflexions personnelles sur la condition féminine dans la société actuelle. Elle nous démontre que les choses ont peu changées et que la société patriarcale reste bien présente de nos jours. Même lorsque l’égalité règne au sein du couple, comme c’est son cas, les femmes continuent à se sacrifier afin que tout fonctionne au mieux, assurant une grande partie des tâches ménagères, le quotidien des enfants et le bien-être de tous.
Ce livre est un véritable coup de coeur.
Dans une librairie d’occasion, Anna Funder tombe sur un extrait dans lequel Orwell, le grand, le célèbre, le brillant, le très décent George Orwell, se lamente sur les femmes, “incorrigiblement sales et désordonnées” et dotées d’une “sexualité terrible et dévorante.” Il n’en faut pas plus à Anna, bien embêtée de tomber sur un tel morceau de misogynie chez cet écrivain qu’elle aime tant, pour se mettre à l’ouvrage.
Elle décortique ses textes, comme "Hommage à la Catalogne", "La Ferme des animaux" ou encore "1984", mais aussi les sept principales biographies existantes, écrites par des hommes très érudits, mais qui ont tous minimisé l’importance de l’épouse de George Orwell dans sa vie et dans son œuvre. Elle rencontre également les témoins de l’époque ou leurs enfants, elle arpente les lieux qu’a connus le couple - de la campagne anglaise profonde à la guerre civile espagnole -, mais surtout elle récupère des lettres, découvertes en 2005, écrites par Eileen Orwell à sa meilleure amie.
Grâce à un travail de recherche extrêmement méticuleux, une analyse comparative des écrits de l’un et de l’autre et la reconstitution d’une fiction inclusive la plus proche possible de la vérité, Anna ratrappe dans ce document tout ce qu’ont omis la postérité, les biographes et Orwell lui-même : le travail rendu invisible de cette femme remarquable, qui a renoncé à ses études de littérature et de psychologie ainsi qu’à sa carrière pour s’installer avec son mari dans un cottage miteux et s’occuper sans rechigner du ménage, des poules, des chèvres, des latrines, des revenus du foyer, des adultères du bonhomme, de sa santé de tuberculeux, des passeports clandestins en Espagne, autant que des manuscrits de son mari, qu’elle tape à la machine, qu’elle annote et qu’elle corrige. Anna s’aventure alors à imaginer le désarroi d’Eileen. “Il n'y a pas vraiment de mots pour exprimer cela. Elle contemple les pages de son livre, son écriture à elle est partout dans les marges. Elle se trouve au cœur de ce manuscrit, mais d'une manière que personne ne verra jamais, tel un échafaudage, ou une colonne vertébrale, quelque chose qui disparaît, qu'on recouvre à la fin.”
Le récit va au-delà du devoir de réparation envers cette besogneuse. Il englobe également le quotidien d’épouse et de mère de l’autrice, et dénonce plus largement la condition féminine. “Retrouver Eileen m’a permis de révéler comment le pouvoir s’exerce sur les femmes : comment une épouse se fait d'abord enterrer sous les corvées domestiques, puis par l’Histoire.” Comment fait-on disparaître une femme ? En oubliant par exemple son poème à elle, dans lequel elle imaginait un futur dystopique, conçu avant sa rencontre avec George, intitulé : “1984”.
Anna Funder admire plus que tout George Orwell, mais après avoir lu toutes ses biographies, elle se rend compte qu’il n’est nulle part question de sa femme, or , il y a une femme derrière ce grand géni, elle s’appelle Eileen O’Shaughnessy. Eileen a purement et simplement été effacée de la vie d’Orwell.
L’autrice, s’appuyant sur la correspondance de cette dernière puis sur les « approximations » et les omissions méthodiques qu’elle a appris à identifier dans les multiples biographies d’Orwell, va enquêter et sortir de l’ombre où le patriarcat l’a cantonnée cette femme d’une extrême intelligence sans laquelle George Orwell ne serait certainement pas l’auteur reconnu qu’il est encore de nos jours.
Eric Arthur Blair dont le nom de plume est George Orwell est né le 25 juin 1903 en Inde d’un père fonctionnaire de l'administration des Indes chargé de la Régie de l'opium, Richard Wellesley Blair, et d’une mère, Ida Mabel Limouzin née en Angleterre qui a vécu en Birmanie, où son père, Francis Limouzin, était un natif de la région de Bordeaux, et a prospéré dans le négoce. Il a deux sœurs, Marjorie et Avril. Sa famille fait partie de la moyenne bourgeoisie britannique mais ne pourra lui offrir d’études universitaires.
Eileen O’Shaughnessy est issue d’une famille anglo-irlandaise plus ancrée dans la classe moyenne supérieure qu’Orwell. Elle obtient une bourse à Oxford où elle a étudié la littérature anglaise. Elle a un frère, Laurence, chirurgien thoracique.
En 1936 Eileen rencontre Eric chez l’amie d’une amie. C’est un homme dégingandé, mal habillé, maladif, aux mouvements mal cordonnés qui a du mal à s’exprimer qui « cherche » une femme pour s’occuper de lui et il décide, après cette rapide rencontre, que ce sera elle. Il lui fait donc sa demande en lui disant qu’il n’est pas un bon parti, en effet il n’est pas loin d’être fauché, mais il n’y a pas que cela... Quant à Eileen, elle a confié à son amie Lydia que passé trente ans, elle épouserait le premier homme qui lui ferait sa demande. Et ce fût Eric Blair. Voici donc les bases sur lesquelles repose cette union.
Alors fiancé à Eileen, il entretient une relation avec une autre femme et en courtise assidûment une troisième qui se refuse à lui. Par son mariage, Eileen renonce à son diplôme et à sa carrière. Comme Eric l’a déjà tenté avec d’autres femmes, il isole Eileen de sa famille et de ses amies en emménageant à Wallington dans un cottage sans eau courante ni électricité ni gaz avec les toilettes au fond du jardin. C’est Eileen qui seule assumera la charge du foyer et les multiples taches ménagères.
Lors d’un séjour à Marrakech pour soigner sa tuberculose, il dit à Eileen désirer coucher avec une des jeune filles qui gravitent autour d’eux. Pour parer à cette nouvelle humiliation, Eileen fait comme si cela ne comptait pas mais agissant ainsi c’est aussi comme si ELLE ne comptait pas. Alors qu’en 1945 elle est très malade et qu’ils doivent passer devant un juge pour finaliser leur projet d’adoption du petit Richard, Eric se sauve en France afin d’être témoin de la retraite des allemands de Paris et de l’avancée alliée. Eileen décèdera seule à l’hôpital. Eric n’aura de cesse de retrouver une femme .
Après la lecture édifiante de cette extraordinaire biographie très documentée qui se lit comme un roman et qu’il est impossible de résumer en quelques lignes, une question s’impose : Que doit-on penser du chef d’œuvre quand nous apprenons que son auteur est un être répugnant ? Est-on prêt à l’accepter ?
Personnellement j’ai une passion pour « La ferme des animaux ». Sachant maintenant que c’est pour une grande part l’œuvre d’Eileen, je suis reconnaissante à Anna Funder de mettre enfin sous le feu des projecteurs cette femme exceptionnelle qui alla jusqu’à s’effacer pour son « grand homme », avant de l’être définitivement par le patriarcat.
Lu dans le cadre du « Grand Prix des Lectrices ELLE 2025 ». Je remercie les Editions Héloïse d’Ormesson pour cet envoi.
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