Alexandre rend hommage à ce frère, qui l’a terrifié durant toute son enfance. « (…) Je trouvais ça incroyable qu’une chose aussi belle, sauvage et incontrôlable puisse sortir de sa tête"
Alexandre rend hommage à ce frère, qui l’a terrifié durant toute son enfance. « (…) Je trouvais ça incroyable qu’une chose aussi belle, sauvage et incontrôlable puisse sortir de sa tête"
Moi et mon frère, bourreau et martyr
Il aura fallu plusieurs romans à Alexandre Feraga avant de se sentir prêt à raconter son histoire et celle de son frère mort en Afghanistan. Un frère qui l’a longtemps martyrisé avant d’être happé par les intégristes musulmans. Un récit âpre, violent, sans concessions.
Ce roman s’ouvre sur une scène forte, celle d’un rapt. Un homme fait monter ses quatre enfants sur un bateau à destination de la France. Nous sommes en 1975 et, en vertu de la politique de regroupement familial, il peut rejoindre ses parents qui ont émigré vers la France. Mais il laisse Khadija, la mère des enfants, derrière lui. Un plan machiavélique conçu par Zina, sa mère soucieuse de le voir auprès d’elle.
En France, il ne va pas tarder à trouver une épouse qui succombe à «ses boucles brunes, son visage rond, sa bonhomie affichée en public, ses longs cils et sa manière de fumer ses cigarettes». Elle est non seulement prête à accueillir sa progéniture, ayant elle-même déjà un enfant, mais aussi à agrandir la famille recomposée. Le narrateur naît en avril 1979: «L’homme qui a arraché quatre enfants à leur mère est mon père. Je suis né de sa fuite quatre ans plus tard, en France. Comme si faire quatre orphelins ne suffisait pas. Cet homme a récidivé sur un autre continent, dans un décor différent. À l’heure de ma naissance, il ne se montre pas plus concerné par ma venue que par l’éducation des quatre enfants dérobés. En ce matin d’avril, je suis une péripétie de plus.» Une péripétie qui ne va pas tarder à sentir qu’il n’est pas le bienvenu dans la fratrie. Ses trois demi-frères, menés par Samir, l’aîné, vont lui faire sentir par des coups et agressions, des violences physiques et morales quasi quotidiennes. Pour y échapper, il va chercher des cachettes et finir par trouver un placard qu’il pourra investir avec une lampe frontale et un livre. «Je peuplais le placard de centaures, de licornes, de dragons, de toutes les créatures fantastiques que mes premières lectures avaient mis à ma disposition. Il me suffisait de les convoquer pour qu'elles accourent et dansent sur les parois sombres de mon refuge. Des personnages comme Huckelberry Finn, Nils Holgerson ou Jim Hawkins venaient à ma rescousse. Ils étaient mes frères véritables, pas une ligne de leurs aventures ne me trahissait jamais.» Ce sont ses compagnons d’infortune qui vont lui permettre de résister. Quand dans les pires situations, il peut faire appel à son imaginaire et à ses héros.
Mais la situation familiale ne s’améliore pas, bien au contraire. Son père se noie dans le jeu, l’alcool et les dettes, si bien qu’il lui faut quitter leur maison de Montsoult pour la petite villa de Méru dans l’Oise que lui ont laissé ses parents, retournés vivre en Algérie. «Je garde de ce jour un fort sentiment d’injustice. J'abandonnais des amitiés qui m’avaient aidé à supporter la fureur de Samir et les dysfonctionnements du père. Sans eux, je ne savais pas comment j'allais pouvoir affronter la suite de la débâcle. Une image ne m'a pas quitté: mes sœurs côte à côte sur le trottoir nous faisant des signes de la main. Elles étaient en larmes, des sacs de vêtements bourrés à la hâte encerclaient leurs chevilles. Elles avaient fini par se taire, la voix coupée par la cruauté. Pendant que nous les abandonnions, les jumelles, elles, se tenaient par les épaules. »
Pendant ce temps, Kadhija dépérit. Elle a cessé de croire au retour de son homme et celle de revoir jamais ses enfants.
Sans pouvoir y répondre, l’auteur pose la question des traumatismes qui conduisent à des destins diamétralement opposés. Comment les deux frères ont-ils pu basculer chacun dans la délinquance, la violence et l’intégrisme pour l’un et dans l’écoute et l’ouverture aux autres – Alexandre va s’occuper d’enfants handicapés – pour le second? Peut-être que leur rapport à ce père défaillant éclaire un peu cette interrogation.
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L’histoire de cette famille recomposée et déstructurée est un roman passionnant sans que le sujet soit centré sur ce frère. Selon moi, le narrateur a trop de colère, de haine à écouler pour que le frère serve de fil conducteur à cette histoire. Du coup on navigue entre les différents personnages de cette famille, qui n’en est pas une, sans approfondir complètement le caractère du frère dont le titre est tiré.
L’écriture est superbe cependant et tous les éléments de nombreux romans sont là mais ce livre part dans toutes les directions sans en prendre définitivement une.
Merci à la fondation Orange de m’avoir permis de découvrir ce livre.
1975. Un père algérien arrache ses quatre enfants en bas âge à leur propre mère pour venir s'installer en banlieue parisienne.
«Des quatre enfants escamotés, il n'y a que Samir qui continue de croire à l'enchantement de ce départ. Depuis qu'ils ont embarqué, sa petite main n'a pas lâché le revers du pantalon paternel.»
1979. Naissance de l'auteur et narrateur, Alexandre Feraga, de ce même père algérien et d'une mère française.
Ce frère impossible c’est Samir, son demi-frère qui n’aura jamais accepté la naissance de ce petit Alexandre et subi, comme toute la fratrie, les défaillances notoires et toxiques d’un père dépassé, addict à l’alcool et aux jeux et désespérément violent.
Dans l'enfance, Samir sera le bourreau non-stop d’Alexandre, victime qui exhume aujourd’hui les plaies et fardeaux d’hier pour tenter de comprendre.
C’est immédiat, flagrant, poignant, Alexandre Feraga ausculte sa mémoire intime avec la douceur de lui-même enfant, poétique et martyrisé. On fait sienne sa famille, on partage ses rêves, ses rencontres littéraires, sa farouche survie qui l’anime.
Sa destinée ne finit pas dans les camps d’entraînement djihadiste en Afghanistan comme Samir, Alexandre sera homme, père et écrivain.
Qu’en est-il de leurs sœurs jumelles, du petit frère ? Qu’est devenue Khadija la mère des quatre petits escamotés ? Samir avant la disparition fatale réussit à la retrouver dans une scène reconstituée, d’une émotion rare.
Ce livre est un hommage à la résilience qui parfois permet à tout un chacun de se construire quoi qu’il arrive, en-deçà des blessures et des traumas, des violences et des drames.
C’est un livre pourtant lumineux et on le referme à regret car c’est un honneur et dérisoirement une chance d’avoir rencontré cette famille-là. Bienvenue Alexandre et feu-Samir dans mes appartements mentaux !
Lu dans le cadre du Prix Orange du Livre 2023. Merci à la Fondation Orange et aux Éditions Flammarion de m’avoir permis de découvrir cet auteur.
C’est un drame qui lance le roman : les enfants de Khadidja sont ravis à leur mère et acheminés vers la France avec leur père, pour être accueillis par Zina la grand mère. Ils sont jeunes, mais pas suffisamment pour que cette rupture ne laisse pas de traces. Samir ne s’en remettra jamais, vouant une haine féroce pour le demi-frère que sa belle mère mettra au monde quelques années plus tard. Objet de tourments permanents, c’est lui qui conte cette histoire.
Le père qui a laissé ce rapt se faire par l’entremise de sa machiavélique mère est une enveloppe vide, un personnage centré sur les paradis artificiels que l’alcool ou les jeux peuvent lui procurer. L’existence des enfants au mieux l’indiffère, au pire le conduit à des accès de violence inimaginables.
Que peut-il advenir de jeunes enfants qui ont grandi sur un tel socle ?
Il semble que le narrateur s’en soit plutôt bien sorti; on ne saura rien des jumelles mais pour Samir, la voie est toute tracée…
Roman noir, autobiographique, qui met en évidence les caprices du destin, qui à partir d’une situation donnée peut déboucher suer le pire ou le meilleur.
Les scènes sont empreintes de violence, parfois à la limite du supportable d’autant que’on se demande si l’on a atteint le fond ou si pire est encore possible.
Témoignage percutant de ce que la douleur peut entrainer chez les hommes, le roman est poignant. Si le dénouement, attendu, est terrible, il est aussi un soulagement.
256 pages Flammarion 11 janvier 2023
Sélection prix orange 2023
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