Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Que reste-t-il de notre identité profonde dans l’exil ou l’oppression ?
Cette rentrée littéraire d’hiver soulève ces questionnements et y met en lumière des problématiques traitées au travers de nombreux prismes. Pour se plonger dans cette thématique passionnante, voici une sélection de cinq romans à découvrir en ce début d'année 2024.
 |
Les liens du sang sont-ils si importants dans la définition d’un père ? C’est par cette interrogation générale que Léa Chauvel-Lévy lance son lecteur dans Une demande folle (éditions JC Lattès, à parzâitre le 7 février 2024). Alors que le père de la narratrice lui annonce brutalement qu’il ne sait pas s’il est réellement son géniteur, ce dernier souhaite en avoir le cœur net en faisant un test de paternité. Le doute lui est insupportable et lui impose régulièrement des accès de violence. Le duo père-fille aux émotions contrariées prend le chemin de Lausanne, en Suisse, ravivant aux marges des yeux de l’héroïne une multitude de traumas. Qui est-elle ? Quelle place occupe-t-elle dans la vie des hommes ? Des années plus tard, tandis qu’elle est devenue mère à son tour, la question de la filiation lui revient. Débute alors une enquête multiculturelle autour de ce test toujours illégal en France. A travers de nombreux regards et plusieurs décennies, l’autrice et commissaire d’exposition livre un récit plus intime que le premier, inspiré de sa propre vie et que l’on pourrait résumer par l’une de ses citations : « C’est l’amour même dans les habits de violence », car cette brutalité s’offre au lecteur de bien des façons dans un gant de velours. |
 |
Cette même recherche d’identité emmènera la narratrice éponyme de Raphaëlle Red dans un road-trip captivant à travers le Togo. Depuis toujours, Adikou doit « cocher une case » en définissant son origine, en mettant un motsur la couleur de sa peau, blanche, noire, « fifty-fifty » … A New York, le syndrome de l’imposteur la percute au cœur des mouvements afro-américains. En Afrique, le goût puissant du piment la renvoie à une adaptation génétique partielle, malgré le sang togolais qui coule dans ses veines. Elle ne parle pas non plus la langue éwé. En se posant la question de l’héritage qui lui est laissé et une impossibilité à trouver sa place, Adikou part à la recherche de son père et de cette famille togolaise dont elle ne sait rien, si ce n’est un patronyme. Dans la chaleur bétonnée du trafic, l’agitation des villes et le frottement des claquettes au sol, Adikou (éditions Grasset, à paraître le 10 janvier 2024), premier roman de l’écrivaine, offre au lecteur une fresque inespérée. Ce Togo, toujours fragilisé par les vestiges coloniaux qui s’immiscent dans chaque interstice, est le théâtre d’un exil initiatique pour se comprendre enfin. |
 |
Chez les peuples autochtones comme ailleurs, la problématique identitaire s’imprègne dans l’histoire des territoires et l’oppression constante d’un peuple sur un autre. La Femme grenouille (éditions du Seuil, à paraître le 16 février 2024), premier roman du jeune poète et activiste Niillas Holmberg, est un voyage au cœur de l’un des endroits les plus reculés de la Finlande. Ellé est une brillante artiste reconnue dans le pays comme cheffe de file du mouvement ITE, forme apparentée à l’art brut. Fascinée par la figure du batracien et particulièrement de la grenouille, l’animal s’esquisse souvent dans les tableaux de la jeune femme. Cependant, après la mort de sa grand-mère, Ellé décide de couper avec cet art occidental et moderne pour se tourner vers l’artisanat traditionnel du peuple same et ses propres origines. Imperturbable, elle prend la route de la toundra sans son matériel à dessin, là où les températures avoisinent les -10 degrés, afin de débuter une vie en autarcie. Son compagnon, un Finlandais du Sud du pays, tentera de l’aider à comprendre l’essence même de l’opposition qui existe en elle. Niillas Holmberg propose une très belle virée historique, sociale et engagée dans un pays désaccordé par les rapports de force et la quête identitaire de tout un peuple qui voit sa culture se faner. |
 |
Andoun fait partie des personnages que l’on ne risque pas d’oublier après avoir refermé Et, refleurir (éditions Philippe Rey, à paraître le 1er février 2024), le roman de la poétesse et conférencière Kiyémis. Modèle de courage et d’espérance, l’héroïne travaille dans les champs de son village natal, Nyokon, depuis son plus jeune âge. Son père espère pour elle un autre destin en l’envoyant à Douala pour débuter l’école. A son arrivée, elle a pour obligation d’emprunter un nom européen, de parler français et de s’initier au culte chrétien tout en s’occupant de la maisonnée de sa sœur et de son époux violent. Loin des cours de mathématiques, Andoun évolue à côté de ses rêves de petite fille, tous avortés par la présence française sur le territoire et le pouvoir des hommes. De multiples événements la pousseront à quitter ce pays qui l’a vu naître pour la France où les tours d’immeubles épieront ce corps qui dépérit. Tout n’est cependant pas perdu quand les aspirations d’une femme vont plus loin qu’un pan de béton. Kiyémis signe un roman sans ambages, aux confins de l’enfance et de ce que l’on en garde à l’âge adulte. Un parcours d’une puissance hors normes au centre duquel l’identité profonde est sans cesse chahutée. |
 |
Pour conclure cette sélection, impossible de ne pas évoquer Deux grands hommes et demi (éditions JC Lattès, à paraître le 10 janvier 2024) de Diadié Dembelé. Manthia et Toko sont tous les deux originaires du même village malien et se sont rencontrés à cinq ans dans les champs d’arachide. Des difficultés économiques poussent les deux compères à quitter cette vie de cultivateur pour une autre, à Bamako, dès leur majorité. Tous deux avancent avec des aspirations différentes qui les rassembleront pourtant dans un énième départ, cette fois pour la France suite aux troubles que connaît la capitale en 1991. S’immisce alors la question de l’intégration, ce que l’on prend avec soi, ce que l’on laisse de sa vie d’avant et la façon dont on imagine le futur. Depuis un centre de rétention administrative, Manthia raconte leur histoire. Derrière l’intrigue de Diadié Dembelé réside un exercice poétique et fictionnel pourtant bien ancré dans le réel. Une voix pour en raconter beaucoup d’autres dont on se délecte dans la rage à certains moments, dans l’impuissance à d’autres, et surtout dans l’émotion. |
Marie Jouvin
C est un sujet que j aimerais approfondir encore plus ,le duo père et fille je l ai eu avec pon papa perdu beaucoup trop jeune mais on était très fusionne tous les deux ,par son travail on était séparés mais on s écrivais de belles lettres et notre retour était génial, on avais une complicité exceptionnelle, la vie m'a laisser des bons moments de bonheur mais trop court ,et inoubliable le duo père et fille
J aimerais bien le lire ,mes souvenirs m apporteront un peu de rêve perdue
Encore une très belle selection est un choix de lire très intéressant, mon choix est fait à nouveau ,à lire prochainement bien sure
Je viens de lire Deux hommes et demi de Diadié Dembélé : Superbe !
Merci Marie pour cette très intéressante sélection sur un sujet à la fois important et délicat.. J'envisage d'en lire certains.
Très très intéressants cette sélection, à découvrir avec plaisir
Merci pour ces informations qui vont m'être utiles: je suis dans un comité de lecture du Prix des racines et des mots: littérature de l'exil et quête d'identité; ce prix aura 10 ans en 2024.
Bonsoir
Merci beaucoup pour cet article
Et cette sélection !