Liens du sang, quête de soi ou des origines, oppression et émancipation : des romans puissants venus du monde entier
Liens du sang, quête de soi ou des origines, oppression et émancipation : des romans puissants venus du monde entier
Manthia parle, et parle encore. Au traducteur qui doit compléter son dossier pour le juge. Car Manthia le malien est en centre de rétention après avoir été arrêté avec de nombreux autres sans papiers à Paris, dans les années 1990.
Il vivait dans un petit village qu'il a dû quitter pour aller à Bamako tenter de gagner assez d'argent pour aider ses parents et faire vivre sa toute jeune femme. Contraint au départ, il ne peut rester à la capitale que des troubles politiques rend incertaine.
C'est donc en France qu'il arrive, avec Toko, son ami du village forcé à l'exil lui aussi
L'arrivée au pays de cocagne est violente et difficile. Les promesses de vie meilleure s'avèrent des fables racontées pour rassurer ceux restés au pays et qui attendent l'argent que doivent leur envoyer les émigrés. Pas de papier, pas de travail, pas de logement. Mais des galères, des dettes à vie pour rembourser le passage, les aides, les parents voleurs et profiteurs de ces hommes qui ne parlent pas la langue et vivent dans la plus grande précarité.
Avec sa langue imagée et vivante, Diadié Dembélé fait raconter par Manthia l'enfance, la jeunesse, le village, les contraintes liées à la famille et aux obligations de soutien que cela implique. Mais aussi les galères rencontrées par tous ceux qui ont un jour quitté le pays pour se fracasser sur la barrière de la langue, de la loi, de la justice, d'un pays pas toujours prêt à les accueillir malgré toute la bonne volonté dont ils peuvent faire preuve.
Manthia raconte son histoire à un interprète. Il commence son récit par sa famille, son village au Mali. On sent le poids des traditions familiales. Il ne peut faire ses propres choix, obligé de subir la colère de son père et de travailler dans les champs. Mais quand une invasion de criquets détruit la récolte, Manthia doit partir à la ville, à Bamako pour travailler et nourrir sa famille. Mais là encore, il ne décide de rien. C’est son oncle qui organise tout. Il ne dispose pas de son salaire qui va directement à ses parents. Son ami d’enfance, Toko, le rejoint. Ils ne se quittent plus à partir de ce moment-là.
En 1991, des troubles politiques et sociaux obligent Manthia à partir plus loin pour gagner sa vie. Son oncle prépare son départ, les papiers, le billet d’avion. Avec un visa de touriste, il arrive à Paris chez un membre de sa famille, Samba, le fils de son oncle. Il vit dans un foyer avec d’autres africains sans-papiers. Il effectue des missions d’intérim sur des chantiers. Là aussi son salaire ne lui est pas versé directement mais sur le compte de Samba qui ne lui reverse qu’une petite partie, le reste servant à rembourser son oncle, payer sa place dans le foyer, etc. Manthia attend désespérément une réponse à son dossier de régularisation pour sa situation en France. Contrairement à Toko, il s’impatiente, se rebelle. Il veut être libre, s’intégrer en suivant des cours de français.
A qui Manthia raconte-t-il sa vie et dans quel but ? On le découvre au fur et à mesure de la lecture du roman. L’amitié entre les deux jeunes Maliens n’est pas toujours simple mais révèle finalement une belle fraternité et solidarité. Le courage et la détermination animent ces deux jeunes hommes, l’espoir aussi.
Ce roman retrace l’histoire des sans-papiers occupant l’église Saint-Bernard à Paris en 1996. Evénement qu’on a ensuite nommé « mouvement des sans-papiers ». On ne peut qu’être touché par le récit de Manthia, dont la vie reflète certainement des témoignages entendus par l’auteur.
J’aurais aimé encore rester un peu avec Manthia et savoir ce qu’il advient après ce douloureux exil. C’est bien là le signe d’un personnage attachant. J’avais beaucoup aimé la langue et l’écriture du premier roman de Diadié Dembélé. Je retrouve avec plaisir sa plume dans ce second roman. J’ai eu l’impression par moment d’entendre un griot me raconter une histoire. Il y a de nombreuses expressions africaines. La langue maniée par l’auteur est belle et vivante. Un roman malheureusement toujours d’actualité, 20 après les faits décrits.
« Un homme sur les routes est un homme sans patrie »
Diadié Dembelé – Prix littéraire de la Vocation 2022 – replonge dans l’histoire du Mali avec ce nouveau roman qui est un tour de force sur l’échelle des belles lettres. Le jeune romancier déploie un éventail de mots, d’expressions, de métaphores, de poésie à en faire tourner la tête : c’est beau, subtil, vivant et d’autant plus une gageure que le sujet est grave : l’exil et cette foutue intégration qui veut à la fois tout dire et ne rien dire.
Manthia et Toko sont nés dans un même village au Mali. Leurs vies sont différentes, leurs caractères distincts mais ils se considèrent comme deux frères. Manthia est sous la coupe de son père et travaille sans interruption, une vie de labeur dans cette campagne malienne. Toko vient l’aider de temps en temps. La famille de Manthia a été riche, puissante mais tout est parti de Charybde en Scylla et Manthia, pour pouvoir aider ses parents, doit partir chez un oncle à Bamako où le rejoint Toko. Un oncle qui exploite, des troubles politiques font que Manthia va partir beaucoup plus loin, en France. Toko partira aussi mais séparément. Les deux prennent alors une trajectoire bien différente. Toko s’intègre, obtient des papiers. Manthia s’enfonce chaque jour un peu plus, refuse l’exploitation de ses pairs et des Européens. Depuis le centre de rétention administrative, Manthia raconte à son traducteur sa, déjà, longue histoire et pourquoi il a atterri dans ce centre. Car la tradition orale est un socle en Afrique.
Un roman bouleversant, entre violence et amitié, amour et désamour, espoir et résignation. Avec une parfaite maîtrise de la langue - puisée dans le berceau de l'humanité - le romancier relate avec une incroyable authenticité les us et coutumes maliennes sans fioritures aucune. À coups de plume, il fait exploser le choc des civilisations, les règles et injonctions claniques et le miroir aux alouettes du continent européen.
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De leur village du Mali où ils vivent en famille, Manthia et Toko sont « deux grands hommes et demi », ni ados ni adultes. Leur origine sociale un peu différente, le père du premier commerçant en faillite et Toko ancré dans une « famille enracinée dans la terre », n’est pas un frein à leur amitié. Leur point commun est de vivre sur cette terre appauvrie par la sécheresse ou par les invasions d’insectes qui détruisent les pauvres récoltes.
De leur village à la banlieue parisienne, ils passent par Bamako. C’est en 1991, l’année du soulèvement contre le régime politique deTraoré. L’aventure continue avec l’aide des « cookseurs » qui se chargent évidemment de toutes les démarches pour obtenir un visa... ils s’envolent pour la France. Devant être hébergés par le cousin de Manthia à Paris, un brin d’espoir les accompagne.
Leur galère, Manthia la raconte à son avocat par l’intermédiaire d’un traducteur. Qu’il semble difficile d’imaginer les étapes d’embûches perpétuelles auxquelles sont confrontés deux jeunes, ayant déjà subi un régime patriarcal absent d’affection, d’ailleurs à l’origine de leur exil. Que d’obstacles à lever avant de pouvoir seulement parler d’intégration : dissimuler les différences physiques, les pratiques sociales et culturelles, la barrière de la langue, l’exploitation et le non-respect dans le travail… sans même parler de la sensibilité de chacun, des fragilités personnelles ! Toutes ces choses, s’il elles ne sont pas ainsi dénommées, sont exprimées dans l’entretien de Manthia avec l’homme de droit.
Sous une plume que j’ai perçue comme imprégnée des aspérités de deux jeunesses fracassées, je referme cet opus avec un sentiment de colère et d’injustice. A l’heure où je rédige ce commentaire, le Conseil Constitutionnel vient de juger les termes d’une loi qui aurait pu concerner directement Manthia et Toko et leurs frères d’infortune…
Je suis reconnaissante envers Diadé Dembélé et ces autres écrivains, reconnaissante envers la littérature qui donne à lire romans ou récits qui racontent d’autres vies que les nôtres, nous lecteurs souvent confortablement installés.
Merci à Babelio et aux éditions Lattès.
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