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Pour découvrir le cadavre exquis avec Gilda Piersanti, c'est ici !

Les lecteurs prennent la plume avec Gilda Piersanti

Pour découvrir le cadavre exquis avec Gilda Piersanti, c'est ici !

Comme chaque année nous sommes partenaires du festival Quais du Polar qui s’est tenu à Lyon du vendredi 29 au 31 mars. Nous vous proposons à cette occasion de prendre la plume pour un cadavre exquis avec Gilda Piersanti.

 

Née en Italie et parisienne d’adoption, Gilda Piersanti, romancière et scénariste, est l’auteure du thriller Illusion tragique, prix des lecteurs Quais du polar/20 minutes 2018.

Elle a également publié la série de romans policiers Les Saisons meurtrières, huit enquêtes romaines de l’inspectrice Mariella De Luca, traduits à l’étranger et adaptés à la télévision.

Son nouveau thriller, Un amour parfait, est paru en librairie le 7 mars.

 

Vous avez été très nombreux à candidater pour participer à ce Défi d'écriture avec Gilda Piersanti, et nous vous en remercions. Il n’a pas été facile de vous départager. 

Nous avons sélectionné 9 talentueux lecteurs qui vont, du 2 au 16 avril 2019, à tour de rôle et selon un ordre de passage précis, continuer l'histoire initiée par Gilda Piersanti.

C'est parti pour 14 jours de suspense intense !  

 

Laissez-vous emporter par l'écriture de Gilda, découvrez le début de l'histoire et chaque jour suivez nos auteurs en herbe !

 

 D’UNE MORT A L’AUTRE

 

— Elle est morte ? demanda le jeune homme en s'accrochant à un espoir impossible.

— Elle est morte, répondit le commandant Lebrun.

Il s'affaissa sur la chaise et cacha la tête dans ses bras.

Sans rien toucher, Grâce Lebrun approcha de la victime en évitant de penser qu'elle l’avait connue vivante. Pauline avait le cou tranché par deux vilaines blessures, mais ses yeux étaient fermés ; le sang coagulé qui couvrait le sol était à peine plus foncé que sa robe. Elle observa le cadavre de près : la première blessure coupait net la base du cou, l'autre y dessinait un « V » assez profond.

 

Cette scène de crime lui rappelait quelque chose qu’elle n’arrivait pas à définir, c'était comme si une connexion se refusait à ses pensées. Pourquoi ? C'était à cause de Vincent ? Elle était certaine de son innocence, ce garçon ne saurait pas mentir. Pour le moment, elle lui faisait confiance. Ne l'avait-elle pas accompagné sur sa moto jusqu'à l'appartement de sa petite amie égorgée ?

 

Que croyait-elle remarquer qu'elle n'arrivait pas à reconnaître dans cette scène ? Elle avait déjà vécu une situation similaire, elle en était sûre, même si elle ne se souvenait ni où ni quand. Grâce regarda une photo, fixée comme beaucoup d'autres avec une punaise sur le mur recouvert de liège, devant un banc qui servait pour les repas. C'était Pauline en maillot de bain, remontant les marches d'une piscine. À cause du tirage, ses yeux avaient la couleur des pommes vertes. De toute façon, c'était une fille trop belle pour Vincent.

 

Sur l'évier étaient posés une salade et un paquet de charcuterie. En s'approchant de la porte-fenêtre qui ouvrait sur un balcon assez large pour accueillir une petite table et deux chaises en osier, Grâce découvrit la vue sur le bassin de La Villette. Dans l'obscurité, les réverbères lançaient dans l'eau un tremblement de lumières. Les rares voitures qui surgissaient dans la rue, plus loin, à de longs intervalles, semblaient ralenties dans leur course. Avant d'appeler le commissariat, Grâce alla inspecter la chambre à coucher. Un tailleur noir était jeté sur un petit fauteuil rose. Une chemise de soie blanche au décolleté profond était accrochée à la poignée d'un placard à la porte grand-ouverte. Pauline n'était pas une fille très ordonnée. Elle jeta un œil dans le placard et découvrit une garde-robe impressionnante. Dans une petite armoire à côté, restée elle aussi grand-ouverte, elle compta au moins trente-cinq paires de chaussures. Un luxe pour la petite employée d'une agence de voyages !

 

Elle était en train de s'abandonner à des impressions trop personnelles sur la victime parce qu'elle la connaissait et connaissait son petit ami, qui risquait de devenir le suspect numéro un. Elle inspecta le petit tapis, puis regarda sous le lit, mais n'y trouva que des moutons de poussière. Elle vérifia chaque centimètre en utilisant la lampe de son portable, un scintillement attira son attention. Elle se glissa complètement sous le lit et se porta à la hauteur de l'objet qui brillait dans le noir : c’était une grosse alliance. Une alliance d'homme. Pauvre Vincent, il devait ignorer beaucoup de choses de la vie de Pauline !

 

© Gilda Piersanti

 

Cette tragédie ne s’était sans doute pas nouée entre deux individus, mais au moins trois. Restait encore à savoir à qui pouvait bien appartenir cette alliance...

Elle prit toutes les dispositions nécessaires pour récupérer cet indice probable et le mettre sous scellé en toute discrétion.

Vincent était toujours prostré, abattu par cette macabre découverte. Au regard des entailles, Pauline avait certainement dû souffrir. L’horreur et la mort venaient de balayer tous leurs projets communs.

 

Grâce profita de ces instants de flottement avant l’arrivée de ses collègues et du médecin légiste pour observer de plus près les photos accrochées au mur. Pauline à cheval, Pauline en bord de mer, Pauline et le coucher de soleil, Pauline en robe de soirée, Pauline à Prague, Pauline à Nîmes... des dizaines de photos de la si jolie Pauline, mais très peu de Vincent. Le jeune homme devait lui vouer une incroyable admiration, et ce pêle-mêle ne faisait que confirmer le sentiment de déséquilibre et d’emprise qui émanait de leur relation.

 

Grâce était à présent emplie de doutes et de questionnements. À qui appartenait l’alliance trouvée sous le lit ? Qui pouvait en vouloir à Pauline au point de la tuer ? Le tueur était-il seul dans cette sombre histoire ou avait-il agi pour le compte d’un commanditaire ? Comment expliquer la présence d’articles de luxe si nombreux dans la garde-robe de Pauline ? Pourquoi Vincent avait-il tenu à ce qu’elle l’accompagne ce soir chez lui ? En fin de compte, lequel des deux amants avait le plus de choses à cacher à l’autre ?

 

Encore sous le coup de l’émotion, elle notait dans un petit carnet toutes les questions qui l’assaillaient, en espérant leur trouver rapidement des réponses sensées, une fois ses esprits retrouvés.

 

Sur une scène de crime, les premières minutes sont fondamentales. Elle se devait de garder son sang-froid pour observer le moindre détail susceptible de l’éclairer dans sa quête de vérité, tout en veillant à ce que ses évolutions d’une pièce à l’autre ne polluent aucunement la scène du crime avant le gel des lieux. Surtout, elle ne devait pas se laisser influencer par sa proximité avec la victime et son petit-ami. Certes, elle les avait vus grandir dans le quartier, puis se mettre en couple, mais en de telles circonstances, l’un et l’autre n’étaient que deux des parties impliquées dans un meurtre. Aucun doute possible, Pauline avait été agressée avec nul autre objectif que celui de la tuer. Rien n’avait été renversé ni brisé, rien ne pouvait laisser croire à un cambriolage qui aurait mal tourné.

 

Grâce appela sur la ligne directe du commissaire Mazet et lui exposa les faits en gardant pour elle, pour le moment, l’éventualité d’une relation extra-conjugale entretenue par l’un ou l’autre des amants, avant de retourner aux côtés de Vincent pour prévenir toute tentative de dissimulation de preuves et tenter d’en savoir plus sur le déroulé des derniers jours. Sa respiration restait saccadée et les larmes semblaient s’accumuler dans son corps sans parvenir à se frayer un chemin jusqu’à ses yeux. Comment l’imaginer coupable un seul instant au vu de son désarroi actuel ?

 

© Maryline Pinton

 

Grâce vint s’assoir face à Vincent, livide, qui lui jeta un regard de noyé, un désespoir mêlé d’autre chose... De la peur ? Elle frissonna, le salon semblait glacial. Comme s’il lisait dans ses pensées, le jeune homme se leva en annonçant qu’il avait besoin d’un thé bien chaud.

 

- Vincent, nous sommes sur une scène de crime, je dois te demander de ne pas bouger d’ici, désolée. Avant que mon équipe n’arrive, je voudrais te poser quelques questions, si tu te sens capable d’y répondre. Ou préfères-tu faire cela au poste ?

 

À ces mots, Vincent sursauta, semblant encore plus nerveux qu’auparavant.

 

- Au poste ? Je suis suspect, c’est ça ? J’ai bossé toute la journée, on pourra te le confirmer, puis je t’ai retrouvée pour boire un verre. Je n’avais pas réussi à joindre Pauline de la journée, j’étais inquiet. Je l’ai même appelée plusieurs fois devant toi car elle devait nous retrouver au Café Bonnie. Grâce, tu ne penses quand même pas que j’aurais pu commettre une horreur pareille ? Tu sais que j’aime Pauline comme un fou. Ce soir, si on voulait te voir tous les deux, c’était pour t’annoncer qu’après plusieurs demandes, elle avait enfin accepter de m’épou...

 

Vincent se mit à sangloter, littéralement effondré sur la table du salon. Désemparée, Grâce avait envie de le serrer dans ses bras, retenue malgré tout par un réflexe professionnel lui recommandant de préserver tout indice, y compris sur la personne qui, en effet, pouvait être un suspect idéal. Elle se contenta de s’agenouiller devant lui en prenant ses mains, froides et tremblantes, entre les siennes.

 

- Je suis tellement triste pour toi, pour vous deux. Regarde-moi, Vincent. Je te promets de trouver qui a fait ça. Pauline était mon amie, je l’aimais tendrement. J’aurai son assassin, tu m’entends ? Reprends-toi, j’ai vraiment besoin de savoir quand l’as-tu vue pour la dernière fois ? On va te poser mille questions, je veux avoir ta version maintenant, au calme, pour que tu n’oublies rien et que tu ne sois pas troublé par ce tout ce qui va suivre. Tu me dis n’avoir pas parlé à Pauline de la journée. Est-ce habituel ?

 

- Non ! Elle râle car je l’appelle sans arrêt. J’ai besoin d’entendre sa voix, ou au moins de lui envoyer des sms. Je... comment vais-je vivre sans elle ? ajouta-t-il, la voix éraillée par l’émotion.

- Donc vous vous êtes quittés ce matin et tu n’as plus eu de ses nouvelles ?

 

- En fait, je ne l’ai vue qu’hier en fin de journée, à la sortie de son bureau, en coup de vent. On a pris un café car elle devait aller à une soirée organisée par sa boîte. Un gros contrat signé avec un tour operator italien. Tu sais bien, elle ne parlait plus que de ce projet... j’ai oublié le nom... Son agence a traversé une zone de turbulences, comme elle disait, mais cette signature allait sauver leurs emplois, et en créer d’autres. Ils devaient tous emménager dans des locaux plus grands, plus chics, elle était enthousiaste. Son patron, Olivier Lebel, la conviait aux réunions, lui déléguait plus de responsabilités, elle se sentait enfin reconnue.

Bref, les Italiens, la direction, toute l’agence célébraient ce tournant important hier. Pauline m’avait prévenu que la fête finirait sûrement tard, alors j’en ai profité pour aller voir ma mère. J’ai dormi chez elle. Ce matin, j’ai eu Pauline vers 10 heures, je l’ai réveillée d’ailleurs ; la soirée avait été arrosée. Elle semblait avoir une sacrée gueule de bois et a été très brève. Elle devait me rappeler plus tard. Je ne lui ai jamais reparlé après ce coup de fil.

 

Un lourd silence s’installa, rompu brutalement par la sonnerie de l’interphone.

 

© Isabelle Serve

 

 

"La brigade scientifique débarquait avec son responsable en tête, Christophe Parmentier, un type haut en couleur, désagréable en tout point mais d'une incroyable efficacité. Il salua brièvement le commandant Lebrun et s'engagea dans l'appartement suivi de ses techniciens. Après un rapide coup d'oeil à la scène de crime, il ordonna à ses sbires de commencer les batteries d'analyses pour retrouver des indices. Elle en profita pour remettre la bague qu'elle avait trouvé à Parmentier qui la remisa dans une des valises sans dire un mot.

 

"Quel sale type" pensait intérieurement Grâce mais elle devait continuer à se concentrer sur son enquête. Quelque chose la titillait mais elle n'arrivait pas à savoir quoi.

Vincent restait prostré, complètement hagard, ne réalisant toujours pas la triste vérité.

 

Elle en profita pour appeler son collègue de la criminelle, le commandant Pouillot qui l'épaulait régulièrement sur d'autres enquêtes.

"-Salut, Pouillot, je te dérange?

-Non, je suis au tribunal pour un témoignage, qu'est ce qui t'arrive?

-J'ai un meurtre avec une blessure en V, ça te parle?

-Non, mais je peux me rencarder ou faire des recherches sur notre base de données dès que j'en ai fini ici.

-Je veux bien parce que ça me dit quelque chose mais je n'arrive pas à m'en rappeler.

-Tu penses à un tueur en série avec le même mode opératoire?

-Peut-être, je ne sais pas, si tu peux vérifier, ça m'avancera.

-Pas de soucis, je te rappelle"

 

Elle souriait intérieurement en pensant à Pouillot, un flic atypique que sa hiérarchie abhorrait mais qui avait résolu un tas d'affaires, là où d'autres s'étaient cassé les dents.

 

Elle reprit ses notes pour voir si elle devait poser d'autres questions à Vincent quand Parmentier l'interpella.

"-Personne n'a souillé la scène de crime avant notre arrivée? 

-Non,pourquoi?

-J'ai de belles empreintes là et un cheveu qui n'appartient pas à la victime.

-Parfait, bon boulot, continuez.

-On s'y attelle, commandant."

 

Elle retourna auprès de Vincent pour essayer d'avoir d'autres informations qui pourrait l'aider dans son enquête.

Elle ne comprenait toujours pas pourquoi le meurtrier avait choisi Pauline, une employée d'agence de voyages sans histoires.

Un rôdeur? Un éconduit? Il n'y avait pas eu de violences sexuelles à priori d'après les premières constations du médecin mais il faudrait attendre l'autopsie pour confirmer.

 

"-Vincent, je sais que tu n'as pas la tête à ça mais j'ai d'autres questions à te poser. C'est important si tu veux que l'enquête avance vite. Est-ce que Pauline te semblait stressée ces derniers temps?

-Non ,son boulot l'accaparait comme je te l'ai dit.... attends, je me rappelle qu'elle m'a parlé d'un truc il y a quelques jours ,elle se sentait épiée comme si quelqu'un la suivait.

Mais elle a fini par mettre ça sur le compte du boulot qui devait la rendre paranoïaque.

- Précises un peu

- C'est tout, ce n'était juste qu'une impression, elle ne s'en est pas formalisée. Tu la connais, elle n'était pas du genre à s'affoler.

-Elle t'en a fait une description?

-Non, rien."

 

Si elle était réellement suivie, dans quel but et pourquoi? s'interrogeait Grâce. Décidément, elle ne comprenait pas et n'arrivait toujours pas à imaginer Vincent en meurtrier.

 

Son téléphone vibra, c'était Pouillot qui la rappelait.

"-Déjà, t'as fini au tribunal?

-Non, mais j'ai appelé un pote qui m'a dit qu'ils avaient eu un meurtre d'une femme dans le quartier latin avec la même marque en V. Tu peux l'appeler pour en savoir plus, je t'envoie son numéro par sms. Salut"

 

© Bagus35

 

 

Quand Grâce Lebrun revint vers la chambre, le corps de la victime avait été placé dans une housse plastifiée. Sur le sol, les traces de sang dessinaient de sombres et funèbres tâches.

Les techniciens avaient enlevé combinaison, surchaussures, gants et masque. Leur travail terminé, il n’y avait plus qu’à attendre le résultat des analyses.

Il était une heure du matin, ils avaient bien bossé.

 

Grâce leur adressa un salut distrait lorsqu’ils quittèrent l’appartement. Elle aurait pu rentrer chez elle pour prendre un peu de repos mais son esprit tournait à plein régime et elle se voyait mal abandonner Vincent. Lui non plus n’avait pas sommeil et il refusait de quitter l’appartement de Pauline

 

                — Si on se préparait un petit café avec quelque chose à grignoter ? proposa-t-elle d’une voix faussement désinvolte.

 

Un peu groggy, le jeune homme accepta. Il avait le même air fatigué que la salade qui se flétrissait sur l’évier.

 

Impatiente, elle consulta son portable, espérant une réponse à son sms. Toujours rien. Le pote de Pouillot devait dormir. De toute façon, le meurtrier en série, elle n’y croyait pas vraiment. On trouvait ça dans les séries télé, pas dans la vraie vie. Non, cette blessure en « V » l’intriguait. un « V » comme Vincent.

Lorsqu’elle releva la tête, elle aperçut les épaules du jeune homme secouées de sanglots. Il fixait le tableau de liège délesté des photos de Pauline, souvenirs heureux devenus pièces à conviction. Elle ne put s’empêcher de penser que si c’était lui le meurtrier, il était un sacré bon comédien.

 

Coupable ? Innocent ? Agacée, Grâce secoua la tête et sa queue de cheval fouetta l’air comme pour balayer ces pensées absurdes qui se bousculaient dans sa tête. Elle n’aimait pas cette enquête concernant deux amis, cela la déstabilisait et il lui semblait que son flair incisif était en train de s’émousser. Et toujours cette sensation d’une similitude mais rien ne remontait à la surface.

                — Bon et ce caoua ?  

 

Elle ouvrit les placards à la recherche du caf, trouva des biscuits apéritifs. Avec la charcuterie, ça ferait l’affaire.

 

Quelques notes stridentes retentirent soudain et Grâce s’éloigna pour répondre au commissaire Mazet. Elle lui résuma la situation. Qu’il envoie des hommes à l’agence de voyage dès son ouverture pour en apprendre plus sur cette soirée organisée par la boite. Qui sait si le meurtrier ne s’y trouvait pas.

Une fois qu’elle eut raccroché, elle repensa à l’alliance. Difficile de passer la bague au doigt de tous les hommes mariés présents à la fête pour en retrouver le propriétaire !

 

Il y avait aussi ce sentiment de Pauline d’être épiée. Devait-elle le prendre au sérieux ou bien Vincent cherchait-il à faire diversion ? Peut-être n’avait-il pas tout dit. Elle reniflait le crime passionnel, à cause de l’alliance et la passion folle qu’elle avait vu dans ses yeux. Pauline aimait plaire, sa garde-robe en témoignait, et Grâce ne pouvait l’imaginer vivre sagement au côté d’un seul homme.

 

Le café était prêt. Elle farfouilla dans un tiroir à la recherche d’un couteau pour ouvrir le sachet de charcuterie. Brusquement, une vision s’imposa à elle, celle de Pauline préparant des sushis. Elle était si fière de son Sashimi, ce couteau japonais dont elle se servait pour découper le poisson cru. Il devait être rangé quelque part.

 

Sous l’œil ahuri de Vincent, Grâce se précipita sur les tiroirs qu’elle ouvrit frénétiquement.  

 

© Régine B

 

 

Affairée à ouvrir un à un les tiroirs pour en examiner fébrilement leur contenu, Grâce ne remarqua pas l'infime courant d'air dans ses cheveux. Mais, elle perçut dans son dos, comme un faible soupir. Réalisant alors l'étrangeté du bruit, elle se retourna brusquement. Le temps d'entrevoir Vincent s'écrouler lourdement sur le carrelage, les mains enserrant sa tête. Elle balbutia « Mais qu'est-ce qu.. », avisant alors deux silhouettes massives et sombres fondre sur elle sans pouvoir réagir. Mille tambours résonnèrent alors en son esprit soudainement embrouillé. Son instinct de survie dépassant douleur et stupeur lui permit encore d'entendre «  fouille,retrouve l'anneau je m'occ », avant de sombrer au ralenti dans un univers ouaté. Puis ce fut le silence et la nuit.

 

Huit heures, le lendemain matin, au Central, le commissaire Mazet, le front soudain plissé raccroche le combiné. Le temps de digérer l'information ou plutôt l'ordre venu de plus haut, il tente de joindre Grâce sur son portable sans succès. Fébrile, il appelle le standard :

 

- C'est Mazet, ameutez tout le taf, réunion extraordinaire dans 5 mn au pigeonnier. Je veux Parmentier et Pouillot et la légiste. Rappelez Lebrun, qu'elle rapplique ici illico. Ah sortez moi aussi une convoc pour un certain Vincent Magard, Grâce vous donnera ses coordonnées, elle est sur l'affaire Pauline Valette.

Oubliant son café qui de toute façon ne l'aurait pas calmé, il quitte son bureau et se retrouve alors nez à nez avec Parmentier.

- Salut Chef, c'est quoi l'urgence ? J'allais justement sortir questionner Olivier Lebel qui m'attend à son agence.

 

Mazet toussote et saisit le commandant par l'épaule pour l’entraîner dans son bureau. Aussitôt la porte claquée, ne lâchant pas son regard, il murmure la voix rauque :

 

- Christophe, y a une alerte rouge pour l'affaire Vallette mais tu gardes ça pour toi.

- C'est quoi le problème ? On n'a rien de consistant sur cette Pauline

- Attends, je viens d'avoir un coup de fil de la DGSE qui est sous pression. Le ministère l'a contactée. C'est chaud crois moi...

Soudain, la porte s'ouvre manquant de les heurter :

 

- Chef la voisine de la petite Valette vient d'appeler elle est complètement hystérique. Elle dit qu'à une heure du matin y avait du grabuge sur son palier. Elle n'a pas osé sortir de chez elle. La minuterie est cassée, mais elle a entrevu dans son œilleton deux ombres qui traînaient quelque chose. Elle a sonné ce matin chez la petite Valette en vain !

A cinquante kilomètres du commissariat, dans la tranquille ville de Rieux, Madeleine Jourdan verse un arabica épais dans la tasse que lui tend son fils Jean.

- T'as fait quoi cette nuit Jeannot, t'es encore sorti avec ton pote le ferrailleur ? T'es rentré à pas d'heure et t'as garé le fourgon dans le hangar ! Je t'ai dit que tu dois pas baisser le volet métallique la nuit ça fait un boucan d'enfer. Pense aux voisins bon sang !

- Pardon m'an c'est qu'on a tout notre matos de musique, on a répété trop tard pour le ramener chez lui. On préfère le savoir à l'abri que dans la rue.

 

- Ouais ouais, j'aime pas que tu traînes avec lui, il a le regard mauvais il bosse pas mais se pavane comme un riche

- Dis pas ça ! C'est mon pote. Il connaît du beau monde. D'ailleurs il m'a trouvé un job. On va déménager toute une agence de voyage. J'me change et je repars décharger le matériel chez lui.

- Attends fils c'est quoi ces taches sur ta parka toute neuve ?

A quelques pas de là, enroulés dans des couvertures de déménagement, les corps toujours inconscients de Grâce et Vincent gisent à même le chassis.

 

© Régine Berlinski

 

 

Pietro Lombardi passa la porte du luxueux hôtel parisien où il séjournait dans le 1er arrondissement. Il portait avec élégance son costume en toile de laine bleu qu'il réservait pour les grandes occasions. Il descendit les quelques marches qui le séparaient de sa Maserati 3200 GT et rejoignit bientôt son chauffeur qui l’attendait déjà, la portière grand ouverte. La signature du contrat avec l’agence de voyage ne représentait pour lui, outre l’aspect financier, que l’opportunité d’enrichir sa prestigieuse collection. Les mondanités de la veille n’avaient fait que lui rappeler combien ses congénères pouvaient être fades et prêts à sombrer dans l'ivresse à la moindre occasion. Il fit signe à son chauffeur de démarrer. Le bruit du moteur sembla le satisfaire et son regard se posa sur les quais de Seine et les monuments parisiens. Tandis qu’ils remontaient les Champs Elysée jusqu’à l’avenue Matignon, monsieur Lombardi savourait l’instant, ses pensées divaguaient, il ne se rendit pas compte que le véhicule s'était arrêté, que déjà son chauffeur l’invitait à descendre.

 

Alberto Russo, en plus d’être le chauffeur de monsieur Lombardi depuis près de sept ans était aussi son homme à tout faire, il le libérait de contraintes telle que la gestion du déménagement de l’agence de voyage dans de nouveaux locaux, de ce fait il pouvait dire qu'il commençait à bien connaître l'homme d'affaires et comprenait désormais le trouble qui l’accaparait lors de chacune de ses rencontres avec Germain Duval, le célèbre horloger.

 

Duval accueillit chaleureusement Lombardi et l’entraina à l'arrière de l’atelier, lieu qu'il ne partageait qu'avec ses clients d'exception. Là, sur une table de travail au milieu des brucelles et des tournevis se trouvait l’horloge. Elle ne mesurait pas plus de dix-huit centimètres de hauteur pour une largeur de quinze. Les éléments du mécanisme, ressorts, rouages restaient visibles et les aiguilles sculptées devaient représenter de nombreuses heures de travail. Les chiffres romains d’un bleu lapis lazuli attiraient l’œil au premier regard. L’horloger n’avait pas menti, une merveille était née de ses mains. Une fois qu'il eut livré les secrets de la mise en action du mécanisme, monsieur Duval invita son hôte à repasser à l'avant de l'atelier. Il finissait d'emballer précautionneusement l'objet lorsque qu'Alberto les rejoint. Un imperceptible frisson l'envahi à la vue des chiffres étincelants, I, II, III, IV, V …

 

Une fois dans la rue, Lombardi signifia à son chauffeur de le raccompagner à son hôtel et Alberto fut soulager d'apprendre que l'on n'aurait pas besoin de lui jusqu'au lendemain matin. D'autres affaires en cours nécessitaient toute son attention, il devait s'assurer que ses consignes avaient été suivies à la lettre et que tout s'était passé comme il l'avait prévu.

 

A l'autre bout de la ville, une voiture de police, toute sirène hurlante, roulait à vive allure en direction du quartier de la Villette. Pouillot au volant, accompagné de Mazet et Parmentier relatait le coup de fils de Grâce et sa demande de recherche d'un crime ayant été commis avec une blessure en V. Un pote l'avait rancardé sur une histoire similaire et devait la rappeler. Il n'en savait pas plus. Mazet frappa du poing sur le tableau de bord et lâcha, «Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, nom d'un chien ! »

 

©GWEN L.S

 

 

"Durant le trajet, Mazet et Parmentier se relayèrent pour appeler le téléphone de Grâce Lebrun et à chaque fois ils tombèrent sur la messagerie.

 

Quand la voiture de police s'arrêta devant l'immeuble de Pauline Valette, quelques personnes se regroupèrent pour savoir ce qu'il se passait.

 

Ignorant la foule, les trois policiers se dirigèrent rapidement vers l'appartement, la voisine les attendait sur le palier. Elle réitéra le récit qu'elle avait fait au téléphone et fut priée par Parmentier de se retirer chez elle et de venir dans la journée faire sa déposition au Poste de Police.

 

A l'aide d'un passe, Pouillot n'eut aucun mal à ouvrir la porte d'entrée. Les trois hommes se ruèrent dans l'appartement espérant trouver leur collègue mais les pièces étaient vides et à part quelques tiroirs de la cuisine que l'on avait fouillés, il n'y avait rien qui indiquait que quelque chose de funeste se soit  déroulé ici et s'il n'y avait pas le témoignage de la voisine, il n'y aurait pas eu matière à s'inquiéter.

 

Lebrun ne répondait toujours pas au téléphone et cela ne lui ressemblait guère, surtout quand elle était sur une affaire en attente d'éléments importants pour lui permettre de la faire avancer.

 

Parmentier appela son service et demanda, toute histoire cessante de lui dire où le téléphone du Commandant Lebrun bornait. Il demanda également d'envoyer rapidement une équipe faire de nouveaux prélèvements dans l'appartement de Pauline Valette.

 

Quand il raccrocha, il comprit que Mazet et Pouillot étaient eux aussi très inquiets quand au sort de leur collègue d'autant qu'on venait de lui apprendre que Vincent Magard était lui aussi introuvable. Que venaient faire les deux hommes, vus par la voisine, chez Pauline ? Ils se rappelèrent qu’elle leur avait dit qu’ils trainaient quelque chose, ils se rendirent à l’appartement d’à côté, chez Germaine Blanc qui leur confirma que cela pouvait effectivement être assez grand pour contenir un être humain et qu’ils avaient fait deux fois le voyage avec à chaque fois un colis de la même taille.

 

L'instinct des trois policiers leur disait qu'il était arrivé quelque chose de grave. Mais que s’était-il donc passé ici ? Qu’était-il arrivé au Commandant Lebrun ? Etait-elle dans l’appartement ? Avec Vincent Magard ? Qui avait-il dans ces sacs que trainaient les deux individus vus par Germaine Blanc ? Ils pensaient tous les trois à la même chose. Il n'était pourtant pas l'heure de se lamenter aussi ils retournèrent passer le logement au peigne fin. Rien, rien, pas le moindre petit indice visible à l'œil nu à se mettre sous la dent, quand Pouillot poussa un petit cri qui attira l'attention de ses collègues. Il venait de trouver un morceau de tissus accroché au montant de la porte, un tout petit morceau de tissus épais qui lui rappelait une couverture. Il prit dans sa poche, un sachet à indice qu'il avait toujours sur lui et délicatement il y déposa sa trouvaille. Parmentier lui tapa sur l'épaule, il avait peut-être là, le début de quelque chose."

 

© Mireille BERNARD

 

 

Le commandant Lebrun ouvre les yeux. Elle est couchée sur un matelas. Ses mains et ses pieds sont attachés. Elle ne comprend pas où elle est. Elle a la nausée. Il fait froid et sombre. 

Une cave ? 

 

Elle entend quelqu'un geindre, elle se tourne sur le côté.

Elle entend du bruit. 

Quelqu’un ouvre une porte et allume la lumière.

Deux hommes, vêtus de noir, cagoulés. Ils portent chacun un fusil d'assaut.

 

L'un deux dit :

-Vous faites partie des dommages collatéraux. 

Ricanement de l'autre. 

 

Dans sa tête Lebrun le surnomme immédiatement Hyène. 

-Vous savez combien ça coûte d'enlever un officier de police ? 

-Vous fermez votre gueule d'officier de police à la con et on s'entendra bien. Si vous l'ouvrez encore... 

 

Il montre quelque chose avec son fusil.

C'est là qu'elle voit que la personne qui gémissait tout à l'heure, c'est Vincent. Il est allongé lui aussi sur un matelas. Il n'est pas attaché. Par contre il a la main droite enveloppé dans un bandage. Il y a du sang sur son pull.

Elle comprend parfaitement le message. Par contre elle ne comprend pas, comment elle et Vincent se retrouvent dans cette situation.

 

Hyène se met à parler dans une langue étrangère.

Peut-être du Serbe pense-t-elle. 

Elle se dit que si c'est la mafia Serbe ils sont vraiment mal barrés. 

 

L'Intello, c'est comme ça qu'elle a surnommé le premier type se rapproche d'elle. 

- C'est ce qu'on fait aux balances dit-il en montrant de nouveau Vincent. 

Il a mis la main dans le sac. Il n'a pas respecté les termes du contrat. Il devait faire une livraison. Il n'a pas fait la livraison.

 

Lebrun se demande pourquoi l'intello lui raconte tout ça. Et de quelle livraison il s'agit. 

Elle commence à s'affoler. Il le voit.

Hyène ricane. 

L'intello s'assoit à califourchon sur elle. 

Elle se débat comme elle peut. 

Elle essaie de lui donner un coup avec ses mains attachées. 

Sans succès. 

Quand elle voit le couteau il est beaucoup trop tard. 

 

 

Il essuie son couteau sur son pantalon.

Il se relève, dit à Slobodan de brûler le corps dans la chaudière.

Il n'a aucun état d'âme. Aucun remords d'avoir égorgé un flic.

Comme il l'a dit, elle faisait partie des dommages collatéraux.

 

Il se dirige vers Vincent

Il lui file un coup de pied.

Pas de réaction. 

 

Le petit salopard n'a pas intérêt de leur claquer entre les mains. Il leur a fait perdre beaucoup de fric. Il aimerait bien récupérer une partie de ce fric ou une partie de la livraison. 

Il lui met deux claques.

Réaction. Un grognement. 

Il peut commencer l'interrogatoire.

 

De son côté Slobodan a tiré le matelas hors de la cave et se dirige vers la chaudière pour éliminer toute trace du Commandant Lebrun. Ils ont trouvé son portefeuille avec sa carte de flic. Il les mettra au feu aussi. 

 

Il aurait bien aimé s'amuser un peu avec elle. Il aime bien s'amuser avec les filles. Surtout quand elles sont attachées. Bâillonnées. Et qu'elles gigotent. Il aime beaucoup quand elles gigotent. 

 

Il a un début d'érection. Il faut qu'il se calme. Il a du travail à faire. Et puis c'est quand même pas son style de violer un cadavre. Il a des principes. 

 

© Kryan Soler

 

 

Au commissariat central, c’est l’effervescence !

Parmentier confie le morceau de tissu à son équipe avec priorité absolue donnée à cette affaire ; il veut des résultats dans l’heure.

Pouillot rameute ses troupes, passe quelques coups de fil à ses indics, collectant des renseignements valant leur pesant d’or.

Et lorsqu’en début d’après-midi tout le monde est réuni sous l’égide du commissaire Mazet, chacun pressent que l’enquête va faire un bond en avant.

 

 

L’alliance tout d’abord, a révélé grâce à sa traditionnelle gravure l’identité de son propriétaire. Il s’agit d’un certain Pietro Lombardi, riche homme d’affaires italien bénéficiant d’un statut diplomatique mais soupçonné d’être un parrain de la mafia. Il est en outre, grand collectionneur d’horlogerie et ne recule devant rien pour obtenir les pièces rares attisant sa convoitise. Amateur de jolies filles, il charge régulièrement son homme de main, Alberto Rosso de lui fournir des call-girls dont il sait s’assurer le silence.

 

 

Par ailleurs, les investigations sur Vincent Magard font ressurgir un passé un peu trouble de musicien raté et les témoignages de leur entourage confirme que le jeune homme est totalement subjugué par Pauline, la victime ; il ferait n’importe quoi pour elle. Il apparait également qu’il traine parfois avec un ferrailleur et son acolyte Jean Jourdan, eux aussi musicos sans grand talent. Les trois compères subsistent en effectuant çà et là, des petits déménagements et ils auraient été contactés par Olivier Lebel sur recommandation d’Alberto Rosso pour le transfert dans les nouveaux locaux de l’agence de voyage. Coïncidence ?

Sûrement non, car le morceau de tissu rapidement analysé provient justement d’une de ces couvertures de protection utilisées par les entreprises de déménagement.

 

 

L’interrogatoire d’Olivier Lebel a dévoilé la double vie de Pauline, sage employée le jour, call-girl à ses heures ! Olivier fermait les yeux car il avait un faible pour la petite et espérait bien que sa mansuétude lui attirerait les faveurs de la belle.

 

 

Enfin le légiste confirme que les blessures en V relevées sur Pauline et sur la victime du Quartier Latin ont été occasionnées par la même arme, un poinçon acéré originaire de Serbie.

 

 

Et pour confirmer cette piste, la Scientifique expose ses résultats : le cheveu et les empreintes relevés sur la scène du crime sont ceux d’un ressortissant serbe fiché et activement recherché dans le cadre d’enquêtes sur divers meurtres et viols dans la région. Hélas, jusqu’à aujourd’hui, l’individu est toujours passé entre les mailles du filet !

 

 

« Voilà, résume Mazet, info de dernière minute, le portable de Lebrun a borné pour la dernière fois aux alentours de Rieux ; le pote de Magard, le ferrailleur, squatte là-bas une vieille chaudronnerie abandonnée alors foncez ! Ces mecs sont mouillés jusqu’au cou dans cette affaire j’en suis sûr ! Ils sont notre fil conducteur et ils nous mèneront à leur chef, mais là tout de suite, il faut retrouver le commandant et vite ! Ça urge les gars ! Je sais pas dans quel merdier elle s’est fourré mais ça sent pas bon ! »

 

© giammattei

 

 

Le silence à l'autre bout du fil lui annonça la mauvaise nouvelle. Grâce Lebrun avait une bonne raison de ne pas l'avoir appelé, le vendredi précédent, rompant ainsi une habitude installée depuis cinq ans. Ils prenaient toujours un apéritif ensemble, en fin de semaine, et Grâce essayait d'accorder les extravagances horaires de son métier avec ce rituel auquel il tenait. Il leur arrivait parfois de prendre l’apéro à neuf heures du soir parce qu'elle avait été retenue par son enquête, un événement inattendu ou un nouveau suspect. Le Dr Quinet l'attendait sans impatience, dans le cabinet où il l'avait rencontrée la toute première fois, à l'ombre d'une lampe majestueuse, posée sur un bureau de palissandre. L'immense abat-jour noir découpait un cercle de lumière sous lequel restait ouvert le livre dont il interrompait la lecture pour accueillir Grâce. Le livre était toujours là, mais ce n'était pas le même. C'étaient des ouvrages scientifiques, le Dr Quinet était un ophtalmologue de renom, internationalement connu pour ses travaux sur les maladies de la rétine. Quand Grâce l'avait consulté pour un simple problème de lentilles de contact, il ignorait sa profession de commandant de police judiciaire. Il n’avait vu que ses cheveux blonds ondulés, quand elle était entrée dans son cabinet, qui était aussi son domicile, place des Victoires.

 

 

Au-delà de la baie vitrée de ce deuxième étage à la façade courbe, accompagnant la géométrie de la place, le Dr Quinet vit s'avancer la figure de Louis XIV sur son cheval. Quelque chose de l’émotion qui l’avait saisi en examinant Grâce pour la première fois lui était resté collé à la pupille ; elle avait centré son œil sur l'ophtalmoscope et abandonné son regard avec confiance à l'obscurité de celui d'un autre. Le Dr Quinet avait su alors que cette femme qui le regardait de l'autre côté du tunnel voyait bien au-delà de la conformation et de l'épaisseur de sa rétine. Ce fut ainsi que naquit entre eux ce lien profond qu'ils décidèrent ensemble d'appeler « amitié ».

 

 

Quand il avait lu le nom du commandant Grâce Lebrun dans la rubrique des faits divers, le Dr Quinet s’était senti comme s’il venait de perdre sa fille. Elle était morte assassinée, il n’avait plus personne à aimer sur Terre. Une histoire de réseaux de prostitution, de drogue, de petite délinquance mêlée à la grande, de petits criminels qui avaient mis leurs pieds sur les plates-bandes de la mafia serbe, il n’avait rien compris au récit du journaliste.

 

Le Dr Quinet ressentit une douleur vive à la poitrine, se porta en titubant près de la vitre, fixa le cheval de Louis XIV, puis s’écroula sur le sol de marbre en croyant caresser les cheveux blonds de celle qui l’avait à jamais quitté.

 

©Gilda Piersanti

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