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« Ténèbres empoisonnées »... L'expression employée dans les années 1950 pour désigner le loisir cinématographique et ses effets sur le jeune public dit bien la peur qui s'est emparée alors des spécialistes de l'enfance, qu'il s'agisse des éducateurs ou des professionnels de la justice des mineurs. En réalité, le cinéma, comme source de modernité, inquiète certains de ces spécialistes depuis longtemps, depuis son origine quasiment. Mais l'après Seconde Guerre mondiale va être marquée par une reviviscence particulièrement forte de ces peurs sociales anciennes car, au moment de la reconstruction, la jeunesse devient un sujet de préoccupation majeur, d'espoir mais aussi de crainte comme en témoignent les gros titres de la presse qui pointent sans cesse l'attention sur l'accroissement du phénomène de la délinquance juvénile. De là, il n'y a avait qu'un pas à franchir pour établir une corrélation entre l'expansion de cette forme de criminalité et le développement du cinéma, comme facteur d'influence direct ou secondaire.
Toutes les caractéristiques du cinéma alimentent alors les inquiétudes. Le fait qu'il s'agisse d'un loisir qui se goûte dans la pénombre d'une salle, parfois située dans la périphérie des grandes villes ou aux abords de quartiers mal famés, que les jeunes aiment s'y rendre en bande ou pour flirter, que les films véhiculent des modes de vie bien éloignés des conditions réelles de la vie ordinaire avec leur lot de gangsters, de rebelles et de femmes légères, qu'ils agissent sur le psychisme selon des modalités que les psychologues ne parviennent pas à expliquer, provoquant chez tous, et plus encore chez les plus jeunes, un véritable « besoin » de cinéma.
C'est au sein du secteur de l'Éducation surveillée que seront entreprises, dès 1947, les premières études dites scientifiques pour tenter de déterminer la part exacte du cinéma dans le phénomène général de la délinquance juvénile. Une grande enquête est alors lancée auprès des centres situés sur l'ensemble du territoire national, composée de deux versants, l'un sociologique et l'autre psychologique. Des ramifications se développent rapidement, au point que la question du cinéma devient une préoccupation centrale pour l'ensemble des spécialistes de la justice des mineurs. Ces travaux et ces discours constituent la matière centrale de cet ouvrage qui entend éclairer, grâce à une approche inédite, les composantes du débat sur le cinéma et la délinquance juvénile tel qu'il se posa, de la Libération aux années 1960.
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