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Embarquer avec Hubert-Félix, grâce à la plume très originale d’Emmanuel Glais, a été, pour moi, une aventure peu ordinaire.
D’une écriture un peu déjantée, ce livre au titre assez énigmatique : Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction, m’a fait partager les doutes, les recherches, les rencontres, les angoisses et surtout les réflexions très pertinentes de ce jeune homme.
Il vit à Montfort-sur-Meu, en Bretagne, ou plutôt en « Bertègne » car le lipogramme choisi par l’auteur est de se priver de la première lettre de l’alphabet, le A, peut-être aussi de ne pas réussir à l’écrire... Pour ceux qui l’ignorent, comme moi, cette commune existe bel et bien. Montfort-sur-Meu (35160) se situe à moins de trente kilomètres à l’ouest de Rennes.
Après l’ennui à l’école, ce garçon âgé maintenant de vingt-deux ans, s’est lancé dans la collecte de déchets électroniques. Pour cela, il frappe aux portes des gens et nous gratifie de remarques, d’observations pleines d’humour sur ce qu’il constate.
En fait, notre homme a un problème avec la lettre A, comme il l’avoue un peu avant la fin, au moment de la réintroduction. En disciple de Georges Pérec, il tente de se priver de cette voyelle et, je l’avoue, y réussit fort bien, n’hésitant pas à employer des mots anglais, parle de « Bertègne profonde », des « bus McRon », de « consomuteurs », des pneus « Goudieur », d’un ciné « big enough », des « Froncès » ou encore de « monotonentreprise »… Emmanuel Glais fait preuve de beaucoup d’inventivité et d’originalité.
Au cours de son récit, l’auteur jette un regard assez désabusé sur notre monde, veut se battre pour l’écologie mais son constat est d’une lucidité extrême. En quelques pages, Hubert-Félix fait partager son mal-être, son envie de réussir peut-être avec les bitcoins ou en inventant un épluche-oignons, pourquoi pas ?
Que ce soit avec Sybel, Jennifer ou Léa, ses relations féminines ne sont guère réussies car cet homme a un irrépressible besoin d’être seul. Il fuit aussi les retrouvailles forcées ou spontanées entre potes, prétexte à s’alcooliser pour oublier un quotidien guère réjouissant.
Quasi-Lipogramme en A minor ou La réintroduction a été, pour moi, une lecture étonnante, réjouissante parfois, jamais trépidante, une découverte permise par Emmanuel Glais lui-même que je remercie.
Ce jeune auteur a du talent, sort des sentiers battus et je ne peux que l’encourager à persévérer.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
Ecrire un lipogramme, quelle que soit la voyelle désignée de l’exclusion, est une sacrée épreuve. Une contrainte, telle que celle de Georges Perec dans la Disparition, qui avait décidé de se passer des E. Et de la contrainte naît parfois le génie créatif !
Emmanuel Glais a donc choisi de se passer des A. Il faut donc tenir le défi, en contournant les mots tabous, par leur synonyme en argot, parfois en anglais ou à l’aide d’une expression métaphorique. Se passer de certains temps de conjugaison, d’articles définis féminins, et d’un bon nombre d’adverbes. De quoi s’arracher les cheveux par poignées!
C’est aussi une épreuve pour le lecteur, car derrière l’artifice se crée alors un jeu, puisque les formules de substitution n’ont pas toujours une allure naturelle, et il est inéluctable de remplacer mentalement les guiboles par les jambes. Ce qui constitue un aspect ludique, mais nuit à la fluidité du récit, haché par les interruptions cogitatives.
Je ne sais pas dans quel état d’esprit un auteur de lipogramme sort de son texte, tout d’un coup libéré des chaines qu’il s’était imposé ou encore inhibé par le poids de l’auto-censure. Pour la lectrice que je suis, la réintroduction a été aussi l’occasion de m’arrêter sur les mots peu à peu réhabilités (avec prudence, comme lors de la réintroduction de substances antagoniques chez les allergiques).
Au terme de la lecture, et à quelques jours de distance, j’ai un peu de mal à me souvenir du sujet du roman, j’ai juste en mémoire les lieux évoqués, puisqu’ils me sont familiers!
Merci à l’auteur et bravo pour la performance.
Suis-je un peu plus érudit, éveillé, capable de pensées altruistes après la lecture de ce livre ? Je savais ce qu’était un lipogramme et, à la lecture, à l’instar de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, le lecteur, même non averti, s’en rend vite compte, le « a » est manquant durant quasi tout le monologue de l’auteur. Il réapparaît, tardivement et brutalement en fin de livre. La réintroduction sera tout sauf un accouchement sans douleur. Ce n’est donc pas dans cette figure stylistique du lipogramme que je dois trouver mon enrichissement.
Dans le vocabulaire, peut-être ? Cette histoire de seulement quelques 100 pages est truffée de mots étonnants que le pauvre dictionnaire de ma liseuse ne reconnaît pas. Et là, l’auteur fait fort, très fort. Il puise à toutes les sources, le vieux français, les langues maghrébines, latines, le japonais, le truculent françois populaire, le verlan et le rap. Très souvent, il place ses mots peu usités en littérature à bon escient, au point que la recherche de sens en devient un jeu, un enrichissement culturel mais aussi, un frein à une lecture coulée et fluide de l’histoire.
Et l’histoire est complexe. Le personnage créé par l’auteur est un être torturé, charriant des tonnes de fragments d’idées à hue et à dia, écartelé par ses envies qui restent à l’état de rêve et ne deviennent pas, ou si peu, projets. Comme si, avec flegme, nonchalance et fainéantise, l’auteur se tournait les pouces et ne portait aucune solution entrevue à son terme. L’auteur, Emmanuel Glais, dirait en une courte phrase : « Comme s’il bouinait sans cesse. » Même avec un sens prodigieux du raccourci, Il en ressort un texte dur, âcre, pessimiste, nombriliste et inopérant face au rêve fou du héros qui lui fait dire :
« Help, Seigneur, prenez pitié. Je veux forcer l’espoir. Que mon bouquin devienne best-seller, bible, ultime référence. Que ce soit le dernier. »
La vitesse de l’oralité donne le ton au récit. Plus que l’oralité, c’est la pensée jaillissante qui, avant même d’être dite, est bousculée par la suivante qui éructe dans le même sens ou à l’opposé et s’impose en attendant d’être à son tour infirmée ou non par une nouvelle production tout aussi explosive. Il en résulte un texte craché par une plume au service d’un quidam dont les pensées se succèdent à un rythme fou qui ne donne pas le temps de classer, de poser et d’agencer la réflexion. Tout est embryonnaire, les contacts sociaux, voire asociaux du héros, ses idées de métier, ses rêves de gloire, ses amours. Seuls ses emmerdes semblent fiables dans le temps. Le tout est servi à la louche, avec un regard du personnage faussé, abruti par le discours ambiant populiste sur l’Etat, l’Union, la valeur du travail, de l’argent. Tout est noir, pessimiste, triste et sans prise d’altitude.
Etant, vous l’aurez compris, moins intéressé par le fond, cette quête de gloire et d’édition, thème battu et rabattu dans le monde littéraire, je me suis pris au jeu de vouloir comprendre toutes les expressions et cela a enrichi mon vocabulaire. Gageons, moi qui n’ai pas le verbe mondain, qu’en Société, je pourrai attirer l’attention en plaçant ci et là quelques bons mots qui réjouiront les gens prêts à s’encanailler verbalement, énerveront sans doute ceux qui ne comprendront rien et amuseront ceux qui y verront de ma part l’envie de brilloter davantage et de parader sur un champ lexical à paillettes pour camoufler mon peu de choses à dire.
En résumé, ce livre est un bel exercice de style sur le lipogramme, il enrichit notre vocabulaire de mots inusités et, finalement, peu utiles mais il prouve une connaissance de fond ou une recherche sérieuse de l’auteur quant à l’élargissement de son champ lexical. A mon tour, je me suis pris au jeu de cet élargissement sémantique et m’en suis amusé. Le fond, un regard amère -voire peut-être lucide - sur le monde est un domaine largement labouré en littérature. On est tous un peu pareil à Hubert-Félix, le personnage central (l’auteur ?) mais ce thème et cette vision du monde ont déjà été, à mes yeux, plus subtilement développés par d’autre. Je ne me suis pas senti nourri à suffisance et l’écriture hachée et dynamique que renforce le lipogramme ne m’a pas convaincue. Je n’ai pas eu envie de m’arrêter et de me poser des questions sur le fond, trop occupé et amusé peut-être par mes recherches sur la forme. Suis-je, pour partie, passer à côté ? Probablement. Que cela ne vous décourage pas à tenter l’aventure. Vous y trouverez la nourriture qui vous convient, je vous le souhaite sans appréhension.
Merci à l’auteur, Emmanuel Blais qui, en confiance, m’a permis de découvrir sa production et de partager mon avis.
Quasi-lipogramme en A minor, ou La réintroduction, Emmanuel Glais, Ed. Maïa, 2020....,
Hubert-Félix, jeune Breton hésite sur son avenir. Il veut entreprendre, gagner de l'argent. Natif de Pontivy, il vit à quleques kilomètres, à Montfort-sur-Meu, petite localité dans laquelle l'esprit d'entreprise ne peut pas être aisément assouvi. Un peu misanthrope, un peu râleur, un peu pessimiste, il livre ses pensées et ses doutes.
Le lipogramme est une figure de style qui consiste à produire un texte d'où est exclue au moins une lettre. L'exemple le plus connu -de moi- et pas le plus aisé à lire est La disparition de Georges Perec, sans la lettre e. Emmanuel Glais s'y essaie sans la lettre a. Néanmoins, il prévient dès le titre, c'est un quasi lipogramme, donc avec apparition possible de la lettre interdite, mais ça, je n'en dirai rien.
Pour ce qui est de ce roman, je l'ai beaucoup aimé, même si par moments, la mauvaise humeur, l'agacement et les diatribes de Hubert-Félix contre l'Europe, l'écologie, le travail, la routine, l'abrutissement du métro-boulot-dodo, la politique m'ont un peu gavé. Je comprends ses hésitations, ses interrogations, ses craintes et ses doutes, son inaction pour ne pas faire comme tout le monde, ses tergiversations, ... C'est le jeu et le but du roman que de montrer un jeune homme qui ne sait pas comment avancer, qui ne veut pas reproduire le modèle des aînés, mais ses envolées sont parfois un peu pompeuses et irritantes, un peu comme celles d'un ado qui sait tout sur tout et qui, même quand il ne sait rien un avis. Finalement, je peux dire que le portrait du jeune homme est parfaitement réussi, Emmanuel Glais a su décrire même l'irritation des autres face à Hubert-Félix. Il provoque et parfois touche lorsqu'il aborde un sujet sensible. Pas mal de réflexions sensées, de celles dont on se dit qu'elles sont frappées au coin du bon sens.
J'ai beaucoup aimé le texte., je pensais qu'avec un lettre en moins et pas n'importe laquelle, il serait plus nébuleux. Or, que nenni ! On y trouve des passages très bons et même excellents :
"Noël. Son lot d'hypocrisies. Le ventre plein, le nez poudré de truffes, les Européens, qui le reste du temps ne font rien ni pour leurs droits ni pour les désespérés, refont le monde." (p. 31)
"Ce qui est sûr, c'est que je suis né vieux, grincheux et cynique. Comprenez donc mon empressement de rester jeune -entre guillemets- je veux dire mon désir de vieillir moins vite, pour mourir moins vieux que prévu. En quelques mots, voici mon credo :
Être vieux jeu.
Vivre lentement.
Refuser le progrès.
Honnir le présent." (p. 72)
Mais ce livre n'est pas qu'une suite d'avis, d'emportements, de colères, il est un vrai roman sur le passage à l'âge adulte -que je n'aime pas cette expression, disons à une forme de responsabilisation. Hubert-Félix (hommage à Thiéfaine ?), s'il est parfois énervant est un vrai jeune homme de son époque qui offre de multitudes opportunités mais aussi un fort prix à payer. Le monde actuel nécessite une reconstruction, un changement radical. Avoir vingt ans, c'est se poser des questions sur son avenir c'est désormais également se poser des questions sur l'avenir du monde, de la planète.
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