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Cet ouvrage est issu d'une enquête ethnographique de grande ampleur menée au Cambodge entre 2006 et 2018, dans la province de Pursat. Celle-ci n'a quasiment jamais été étudiée, quelle que soit la période considérée, alors qu'elle a été particulièrement touchée par la violence de la révolution maoïste dirigée par Pol Pot entre 1975 et 1979, connue sous le nom de « régime khmer rouge ».
L'ouvrage propose une déconstruction complète et méthodique de l'approche occidentale médiatique du génocide perpétré par les Khmers rouges. Loin des gros titres des journaux ou du tribunal des Khmers rouges, les pensées dominantes en termes humanitaire et traumatique sont analysées pour montrer qu'elles sont essentiellement les produits d'une vision postcoloniale de la souffrance d'autrui dans laquelle le vécu et le ressenti des Cambodgiens sont inaudibles. L'autrice entend prendre en compte leur expression dans toutes ses singularités, grâce à une présence quotidienne sur le terrain et une familiarité construite sur le long terme.
Les victimes du génocide khmer rouge au Cambodge ont cette particularité presque unique au monde d'avoir disparu sans que les corps aient jamais été restitués aux familles. Le chapitre sur l'accaparement politique des corps du génocide décrit les raisons pour lesquelles ces corps sont restés jusqu'à présent des sortes de propriété d'État, en tant que preuves du génocide, notamment par l'exposition controversée de restes humains au Musée du génocide à Phnom Penh. Le chapitre suivant observe le traitement des défunts, cette fois du côté des villageois et des fidèles bouddhistes, qui représentent 90% de la population. La grande Cérémonie annuelle des défunts permet une rencontre rituelle entre vivants et défunts au cours de laquelle tous les morts, quels qu'ils soient, sont « soignés » par les vivants et invités à rejoindre le flux du cycle des renaissances.
Les « lieux puissants » comme supports de mémoire plongent les lectrices et lecteurs au coeur des pratiques animistes cambodgiennes dans lesquelles certains lieux, abritant des esprits tutélaires de territoires, sont capables de conserver les traces du passé et d'y mêler les histoires individuelles des habitants des lieux. Ces lieux de mémoire particuliers servent notamment de cadre de pensée et de pratiques à certains voisins de fosses communes, contraints de cohabiter avec des morts anonymes qu'ils ont pris en charge en instaurant un dialogue ritualisé avec eux.
Cet ouvrage offre de nombreuses pistes de réflexion sur des mécanismes originaux de réparation sociale et de restauration symbolique d'un monde brisé par plusieurs années de violence et de destruction de masse. Dans une époque marquée par la reprise de conflits sanglants de grande ampleur au niveau mondial, les pratiques cambodgiennes, largement méconnues, apportent une réflexion importante sur les capacités humaines de résilience.
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