"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le drame Ouïghour...J'étais là quand les premières grandes manifestations ont été réprimées dans le sang. C'était en 1996, il y a 25 ans. Je débutais alors dans le journalisme.À l'époque, le monde entier ne se sentait pas concerné par cette minorité turcophone de Chine. J'étais là aussi quand les Chinois ont commencé à stériliser de force les femmes Ouïghoures. Et puis, j'ai vu les camps de prisonniers se dresser dans le désert et la mise en place de ce qui deviendrait un génocide culturel. Alors, j'ai promis à ces Ouïghours de ne pas les laisser mourir dans le silence et l'indifférence. J'y suis retourné encore et encore. Avec cette question qui reste coincée au fond de la gorge : jusqu'où peut aller un journaliste pour se rendre utile ?Éric Darbré, un journaliste reporter français, a passé vingt-cinq années à enquêter dans la province du Xinjiang au Nord-Ouest de la Chine. Il a vu naître la contestation Ouïghoure, ce peuple musulman d'origine turque contre la Chine, la montée en puissance de la répression, les violences, les camps, les morts jusqu'au désastre actuel.Ce récit est l'histoire d'un combat journalistique pour donner une voix et un visage à un peuple écrasé par un régime autoritaire. Il offre aussi une réflexion sur les conséquences du travail de reporter : met-on en danger les témoins que l'on cite ? Comment ne pas décevoir leurs espoirs ? Comment se prépare un reportage ? Quels obstacles faut-il vaincre pour le réaliser puis le vendre à une rédaction ?
Comment sensibiliser l’opinion publique, quand on est un journaliste engagé, de l’oppression d’une population, dont tout le monde se fiche ou presque ? Comment alerter l’opinion internationale qu’un « génocide se déroule sous nos yeux, lentement mais sûrement. »
C’est le pari d’Eric Darbré et de son complice illustrateur Eliot Franques, avec cette BD pédagogique, facile à lire, mais surtout pas simpliste. Particulièrement bien documentée par une expérience terrain significative (depuis 1996), que l’auteur nous propose de suivre.
Bien sûr, on sait vaguement qu’il s’agit d’une minorité opprimée et que c’est situé à l’extrême ouest de la Chine, dans la province du Xinjiang (3 fois la France) mais nos connaissances sont vite limitées.
Qui sont-ils ?
L’ethnie majoritaire chinoise, ce sont les Hans. Comme les Tibétains, les Ouïghours sont une minorité ( 11 millions de personnes) : « Ils sont musulmans, écrivent avec l’alphabet arabe, parlent une langue turcophone et ne se considèrent pas du tout chinois. Pékin en a conscience et envoie des millions de colons hans pour siniser la région. »
La population est installée en Chine depuis plus d’un millénaire, colonisée par les chinois au 18ème siècle. Elle se révolte fréquemment et en paie le prix fort surtout depuis 2014. Une date phare (l’équivalent du 11 septembre aux USA) : le 3 janvier 2014. Un attentat dans la gare de Kunming, au sud-ouest de la Chine. Aussitôt, le gouvernement chinois l’attribue aux Ouïghours.
Xi Jinping, alors au pouvoir depuis moins d’un an, déclare : « nous allons lutter sans aucune pitié contre le terrorisme, l’infiltration et le séparatisme. Je donne l’ordre de rafler toux ceux qui doivent l’être. »
Depuis, on estime à plus d’un million, les Ouïghours détenus en camps de concentration, sans compter les viols, les tortures, les avortements forcés, les condamnations à mort. Pékin explique qu’il s’agit d’un « combat légitime contre les terroristes. »
Eric Darbré choisit d’emmener le lecteur dans ses différents reportages dans le Xinjiang. Enquêtes dangereuses et difficile dans une région où tout est cadenassé par la police omniprésente, par la corruption (« c’est si facile de corrompre quelqu’un quand on a le ventre vide »). Difficile aussi de ramener des témoignages directs : «comme ceux des paysans Ouïghours expropriés et réduits à l’état de quasi- servage ». Une femme qu’il a réussi à interroger, explique : « Cette terre ne nous appartient plus. Elle a été donnée aux chinois maintenant. Si je ne ramasse pas plusieurs kilos de coton par jour, je suis punie. »
Il faut comprendre aussi que la province du Xinjiang était autonome jusqu’en 1950. Une situation vécue par les grands-parents et toujours présente dans la mémoire des Ouïghours.
Étonnamment, « on y trouve les plus grands gisements de pétrole, de gaz, de charbon et d’uranium du pays. Il y a aussi à foison du cuivre, du plomb, du zinc, de l’or, de l’argent… (…) Sans oublier des terres agricoles fantastiques : premier producteur de tomates, deuxième pour le coton… Bref, cette région c’est un peu la caverne d’Ali Baba. Un trésor unique. Et ça, Pékin ne le sait que trop bien. »
Eric Darbré nous sensibilise aussi quant à notre responsabilité concernant les produits Ouïghours exportés à un prix de misère. Comme le coton utilisé pour son exceptionnelle qualité par la haute couture. Comme les tomates servies en sauce et en produits dérivés, par la marque Chalkis.
A compter de 2020, seulement, les instances et médias internationaux s’intéressent à la crise Ouïghour. Car c’est également un enjeu géo- politique : « les Ouïghours devenaient un enjeu stratégique international. Et potentiellement, un atout pour affaiblir la Chine qui se muait en géant économique et politique. »
Le graphisme est dépouillé, en harmonie totale avec le texte. Très riche, diversifié et colorisé selon les situations. Un talent particulier pour rendre compte des scènes dramatiques, esquissées et renforcées par les couleurs rouges ou sombres. Également pour la représentation des populations (je pense notamment aux pages 80 / 81 et 112/113).
Ce docu graphique nous permet de comprendre en profondeur la crise Ouïghour avec tous ses enjeux. Il nous grandit en ouvrant notre connaissance mais aussi notre cœur, à une population en souffrance et en menace de mort.
Une véritable réussite !
https://commelaplume.blogspot.com/
Merci pour ce roman graphique très intéressant.
J’ai compris beaucoup mieux ce qui se passe avec le peuple Ouïghours.
À mettre dans toutes les mains !!
Pour parler des Ouïghours, Eric Darbré propose de raconter une partie de sa vie, celle qui l'a amené à s'intéresser à ce peuple et à ce coin de Chine, et qui l'a ensuite amené à ne pas lâcher, à toujours tenter de faire parler de ce peuple dans les médias. En vain souvent, sauf quelques articles et reportages ici ou là, mais les Ouïghours, entre la fin des années 90 et la fin des années 2010, ça ne fait pas vendre. Ils se font massacrer, siniser par les autorités chinoises, sont envoyés dans des camps, ramassent, tels les esclaves, le coton pour les industries chinoises en étant payé un minimum même pas vital. C'est cela que raconte Eric Darbré, ainsi que l'histoire du peuple Ouïghour, turcophone, musulman qui a eu son indépendance entre 1944 et 1949, une monnaie, un président avant que Mao ne réintègre le pays dans la Chine communiste.
Le combat des Ouïghours n'a pas cessé, malgré les risques de mort et enfin, quelques pays ont parlé de génocide, mais la Chine n'entend pas céder ce territoire riche, et le génocide continue.
Roman graphique indispensable pour comprendre le drame que vivent les Ouïghours, raconté par un journaliste qui connaît son sujet depuis vingt-cinq ans et dessiné par Eliot Franques. On ne sort pas de cet album aussi léger qu'on a pu y entrer.
Voilà voilà...
Aucune attirance pour cet album, dont je trouve la couverture plutôt hideuse, agressive, et un peu confuse. Ce rouge "alerte" est vraiment trop criard.
Mais, je suis un ignare ... Et je n'ai qu'une vague représentation des maltraitances apportées à ce peuple Ouïghour, dont j'ai tant de fois entendu le nom écorché en Yoghourt (y compris par Bernard Kouchner, alors Ministre des Affaires Étrangères, sic), et c'est l'occasion de combler mes lacunes en géopolitique.
De prime abord, j'ai l'impression d'un reportage dans la Revue Dessinée, les couleurs de l'intérieur sont plus douces, le récit plutôt fluide, le dessin s'efface devant le propos et ne prend pas trop de place. La couverture était un mauvais indicateur...
Et j'en apprend finalement beaucoup sur ce peuple d'origine turque, de religion musulmane, plutôt pacifique en tous cas désorganisé face aux oppressions, habitant pourtant depuis des siècles dans le Nord Ouest de la Chine. Comme avec les Tibétains - mieux connus grâce au Dalaï-Lama - le régime chinois commet des exactions sur les Ouïghours (tortures, viols, emprisonnements dans des camps et j'en passe...). Et malheureusement, la place stratégique de la Chine dans l'économie mondiale ne laisse que peu de place à la contestation internationale.
Tout juste l'intérêt des services secrets occidentaux et US pour des motifs qui ne sont pas réellement humanitaires (beaucoup de ressources naturelles sur ces terres) ...
Pour aider à la prise de conscience de ce qui se passe en Chine, il faut vraiment passer cette couverture, tourner les pages, et se laisser faire, super instructif.
Merci à Éric Dabré pour son investissement pour la cause, et à Lecteurs.com qui, au travers de sa sélection Prix BD 2023, m'ont mieux sensibilisé sur mes contemporains...
Dans la même sélection, sur un thème voisin, possibilité de lire aussi "Les enfants du rêve chinois" de Luxi, dont la couverture, tout aussi rouge, n'est décidément pas plus attrayante.
https://www.lecteurs.com/livre/les-enfants-du-reve-chinois/6001892
Par ses enquêtes et reportages durant 1/4 de siècle Eric Dabré a mobilisé toutes ses énergies de reporter pour informer, renseigner, donner à comprendre le drame Ouïghour.
Le résumé de présentation (ci-dessus) illustre parfaitement ce que Eric Dabré nous développe dans cette BD très facile d'accès pour les lecteurs de tous horizons.
Ce livre documentaire porte à la fois sur la situation des Ouighours (oppression, camps, empêchements d'enfanter, etc.) et du témoignage de sa pratique de reporter.
C'est un livre témoignage utile à la compréhension du monde d'aujourd'hui et de l'écrasement des minorités (ethniques, religieuses, ...).
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