"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Mon frère a passé une grande partie de sa vie à rêver. Dans son univers ouvrier et pauvre où la violence sociale se manifestait souvent par la manière dont elle limitait les désirs, lui imaginait qu'il deviendrait un artisan mondialement connu, qu'il voyagerait, qu'il ferait fortune, qu'il réparerait des cathédrales, que son père, qui avait disparu, reviendrait et l'aimerait.
Ses rêves se sont heurtés à son monde et il n'a pu en réaliser aucun.
Il voulait fuir sa vie plus que tout mais personne ne lui avait appris à fuir et tout ce qu'il était, sa brutalité, son comportement avec les femmes et avec les autres, le condamnait ; il ne lui restait que les jeux de hasard et l'alcool pour oublier.
À trente-huit ans, après des années d'échecs et de dépression, il a été retrouvé mort sur le sol de son petit studio.
Ce livre est l'histoire d'un effondrement.
É. L.
Édouard Louis est écrivain. Il est l'auteur de plusieurs livres autobiographiques qui ont été traduits dans plus de trente langues.
Me reviennent les paroles du choeur dans l’« Antigone » d’Anouilh : « Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme !… Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir ; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, … , à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit... » J’ai repensé à ces mots en lisant ce portrait du frère, alcoolique, mort à 38 ans.
Lui aussi pris comme un rat.
Ce texte m’a bouleversée.
J’ai entendu la voix de l’auteur, ses mots justes, précis, posés, exacts, à la recherche de la vérité, une vérité dont il a pensé un jour qu’il la connaissait, lui, peut-être même qu’au début du livre, il y croyait encore à cette vérité qui explique tout. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il s’était trompé sur pas mal de choses. Jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il ne savait pas.
Parler d’un frère mort, un frère qu’on n’a pas aimé, raconter comment il ne s’en est pas sorti, comment avec toute la violence qu’il subissait depuis l’enfance, l’indifférence, les rires moqueurs, l’absence d’amour, de reconnaissance, d’encouragement, il ne pouvait pas s’en sortir. Une tragédie. Terrible. Une tragédie des temps modernes. « Mon frère vivait dans la terreur que ma vie ne ressemble à la sienne. » Une famille où la mère se tait et où le père rabaisse constamment le gamin. On lui dit qu’il ne vaut rien. Qu’il se suicide, c’est son problème ! « La violence circulait entre nos corps, comme un flux, comme un courant électrique. » Un gamin qui se débat, qui cherche une porte de sortie, qui revient régulièrement chez ses parents pour dire qu’il a peut-être trouvé un boulot. Mais personne n’y croit. On lui ricane au nez. Alors il tente autre chose. Mais toutes ses tentatives échouent. Parce que, dans une tragédie, on a beau se débattre, on ne s’en sort pas. Cela s’appelle l’Injustice. Et les mots de l’auteur, comme un choeur qui se lamente : « et je suis tellement triste, tellement triste » me font pleurer.
« L’effondrement » est un livre somptueux, comme peut être somptueuse une tragédie dans sa pureté, sa force, le désastre qu’elle porte en elle dès les premières lignes. Le déterminisme social comme une malédiction, une infortune, une calamité qui ne lâche jamais prise, toujours rattrape, plane au-dessus de la tête comme les Érynies, riant de voir que l’abîme se rapproche. Pas la peine d’essayer de fuir. Comme dans les sables mouvants, plus l’on bouge, plus l’on s’enfonce. Alors, il faut se taire et rester à sa place. Mais le frère avait des rêves plus grands que lui.
Et la prise de conscience de l’auteur qu’il n’y a peut-être pas qu’une seule explication. Que la sociologie n’est pas suffisante, qu’il y a peut-être d’autres réponses, ailleurs. Et ces mots qui concluent l’oeuvre : « Encore une chose que je ne savais pas » et qui résonnent en nous comme les mots d’un enfant.
« L’effondrement » est un livre terrible et sublime.
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Dans ce nouveau roman où il poursuit l’étude de sa famille dysfonctionnelle, Édouard Louis parle de son frère, rongé par l’alcool et mort à 38 ans. Transporté à l’hôpital après avoir été trouvé inconscient chez lui, les médecins annoncèrent qu’« il n’y avait plus d’espoir. Cet effondrement était celui de trop. »
Édouard Louis mène sa narration comme une enquête en énumérant les faits.
A travers la courte vie de ce demi-frère violent et grossier qui avait été abandonné par son père et humilié par son beau-père, l’auteur analyse les mécanismes sociaux qui mènent à une destinée tragique. Il fait appel à la psychanalyse, la sociologie et la philosophie pour tenter de comprendre cette mort qui s’apparente à un suicide. A travers cette disparition, il s’interroge aussi sur sa propre vie, et sur cette famille dysfonctionnelle qui a pu, par son abandon, provoquer un tel drame.
Très tôt tombé dans la délinquance, ce frère jamais nommé par son nom, veut être le grand frère d’Édouard Louis avant de le repousser par homophobie.
Quant à l’auteur, nulle affection ne le liait à ce frère encombrant et instable. Pourtant, les femmes l’aimaient, le trouvaient gentil et attentionné jusqu’à ce que la violence à cause de l’addiction à l’alcool le rende invivable. A cause de son comportement, il est rejeté et se sent humilié tout en rêvant à une vie meilleure qu’il ne saura jamais atteindre.
« Toute sa vie mon frère a été chassé. Toute sa vie mon frère a eu des comportements qui l’ont conduit à être chassé ».
Même si le narrateur cherche quelques excuses à ce frère qui « rêvait trop grand », il n’y a pas beaucoup d’empathie de sa part.
« Je n’ai rien ressenti à l’annonce de la mort de mon frère ; ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisir. J’ai reçu la nouvelle comme on recevrait des informations sur le temps qu’il fait dehors… »
La scène où Édouard Louis refuse de payer l’enterrement est terrible.
J’ai été gênée par la froideur et la distanciation de l’auteur que l’on retrouve dans son style
L’effondrement est un roman minimaliste avec beaucoup de redites. Malgré un sujet grave, il ne m’a pas vraiment convaincue.
« Je n'ai rien ressenti à l'annonce de la mort de mon frère ». L'incipit du dernier livre d'Édouard Louis rappelle celui de « L'Étranger » de Camus par son laconisme et sa froideur.
C'est sa mère avec laquelle il a renoué (cf. « Combats et métamorphoses d'une femme » et « Monique s'évade ») qui l'informe que son aîné, avec lequel il ne partage pas le même père, a été retrouvé inconscient dans son appartement.
Son foie et ses reins, rongés par l'alcool, avaient cessé de fonctionner.
« Techniquement mort », il est artificiellement maintenu en vie avant que la famille, en l'occurrence la mère, ne prenne une décision.
Il avait trente-huit ans. Édouard ne l'avait pas revu depuis près de dix ans. Parce qu'il ne supportait plus son homophobie, sa violence, son alcoolisme...
Pourquoi et comment en est-il arrivé à mourir au mitan de sa vie ? C'est ce que l'auteur de « Changer : méthode » va tenter de saisir.
La principale clé de compréhension se trouve dans la psychologie. Le frère avait des rêves trop grands pour lui : ouvrir la plus grande boucherie du monde, restaurer Notre-Dame, devenir un riche propriétaire immobilier...
À chaque fois, il se confrontait à la réalité qu'il prenait en pleine face et échouait. Contrairement à ceux de son milieu qui limitaient leurs aspirations – avoir un pavillon, une nouvelle voiture, une télévision plus grande -, ses espérances étaient inatteignables.
Et c'est cette frustration qui le rendait si triste, voire dépressif, et qui l'a conduit à se détruire constate Édouard Louis qui livre ici une véritable enquête sur son frère en interrogeant les femmes qui ont partagé son existence. Toutes assurent qu'il était le plus gentil des hommes, sauf quand il buvait. Là, il devenait extrêmement violent et insultant. Et plus le temps passait, plus il s'alcoolisait.
Ce qui est passionnant dans « L'Effondrement », c'est le glissement de focale de la sociologie, en tout cas celle qui explique tout par le poids des déterminismes sociaux, vers la psychanalyse et la psychiatrie dans lesquelles le narrateur s'est plongé pour tente de mieux pénétrer la complexité de son frère, le manque d'amour parental dont il a souffert, l'image de raté qu'il renvoyait à ses proches et la « Blessure » qui l'empêchait de profiter simplement des petits plaisirs de la vie.
Avec « L'Effondrement », Édouard Louis signe le dernier opus du cycle familial auquel il s'est quasi exclusivement consacré depuis la publication d'« En finir avec Eddy Bellegueule » il y a dix ans.
C'est peut-être le plus sombre parce qu'il pose la question de la culpabilité d'un garçon qui aurait pu aider son frère (« Qu'est-ce que j'aurais pu faire pour lui et que je n'ai pas fait ? » s'interroge-t-il).
EXTRAIT
- Mon frère était malade de ses rêves.
http://papivore.net/litterature-francophone/leffondrement-edouard-louis-seuil/
Édouard Louis, encore, un nouveau roman ! Je rechigne à de nouveau me plonger dans cette écriture si particulière. Mais, encore pour L’effondrement, la magie de cette écriture de soi et du quotidien opère dès les premières pages.
Qui est-il ce grand frère décrit par toutes les femmes, y compris la mère d’Édouard, comme un gentil, un doux même sachant écouter. Lui qui noyé dans l’alcool et la drogue dès l’adolescence devient lorsqu’il est saoul un type malsain, violent et infréquentable.
Édouard Louis convoque Ariès, Joan Didion avec L’année de la pensée magique, Freud et Julia Kristeva pour enquêter en relevant des faits pour mieux les analyser. À partir des mots Blessure, Disparition, écrits ainsi, avec majuscule, il part sur la trace de ce frère dont la violence souvent lui faisait peur et dont la grossièreté le gênait. Face à lui, pas ou peu d’affectation, Édouard Louis le reconnaît.
Seulement, ce demi-frère, dont on ne saura jamais le prénom, s‘est suicidé et il devient essentiel pour l’écrivain de comprendre et d’expliquer la portée d’un tel acte, mais aussi de cerner la violence qui l’envahisse lorsque l’alcool le domine.
Abandonné par son propre père biologique, ce demi-frère n’a pas retrouvé auprès de son beau-père, nouvel ami de sa mère, la chaleur qui aurait pu combler cette faille. Car ce sont de véritables violences subies par son beau-père. Édouard Louis les a, lui aussi, subis mais il semble avoir oublié leur intensité (plusieurs témoins, dont sa propre mère en témoigne). Dans d’autres livres, il détaille le dénigrement né par rapport à son homosexualité.
Mais à la lecture de ces nouvelles pages, le lecteur comprend combien cette famille était dysfonctionnelle. Car, ce sont des sévices psychologiques d’abaissement, de dénigrement moraux et physiques indirects que les enfants subissaient, sans que leur mère puisse les protéger. Sévices que le demi-frère a reproduits avec les femmes avec qui il vivait.
Seulement, Édouard Louis, comme à son habitude, cherche des explications dans le déterminisme social de son milieu. Cette fois-ci, les trouvera-t-il ? Voici, certainement, la grande évolution du propos de l’écrivain …
Comme pour une enquête, Edouard Louis analyse les faits et les situations afin de comprendre pourquoi son grand frère s’est suicidé si jeune. Un écrit d’une grande sensibilité qui rompt quelque peu avec ses précédents écrits.
Chronique Illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/10/13/leffondrement-edouard-louis/
Je vais l acheter ,car son histoire a beaucoup toucher ,de se mauvais frère ,u parcours si triste d en arriver là, es circonstances n on pas favoriser son parcours ,très touchant ,u auteur à découvrir est un bon livre aussi
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