"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Auguste Salzmann, en 1855, a cette formule définitive : " Les photographies ne sont plus des récits, mais bien des faits doués d'une brutalité concluante.
" Un explorateur de l'Ouest américain, William Henry Jackson, confirme : " L'importance de la photographie vient de ce qu'elle a l'importance d'un fait ". C'est un constat, un témoignage irréfutable, qui va beaucoup plus loin que le dessin, toujours à la merci de la maladresse de l'artiste, ou de son imagination. On dispose désormais d'un véritable premier état, sans interprétation, immédiat. Prise de vue, prise de vie, le temps est fixé, en mémoire.
Une présence physique a impressionné une plaque sensible, s'y est incorporée et y subsiste. Alors qu'il ne reste rien de l'homme photographié, pas même une poussière d'os, son regard continue de nous interroger d'outre-tombe, d'outre-monde. Toute la première génération des anthropologues interprète à distance les matériaux réunis par les voyageurs, missionnaires, négociants, officiers coloniaux, au contact direct des populations exotiques.
Dans un premier temps, l'anthropologue est essentiellement un compilateur, un homme de cabinet, qui compare entre elles les informations dont il dispose, de sources diverses, plus ou moins sûres, concernant les ethnies qu'il se propose d'étudier. Précisément, le photographe lui apporte le document de première main, brut, on serait tenté de dire tout chaud encore de son empreinte et de la vie qui l'anime.
On peut, bien sûr, ironiser sur cette collecte d'autant plus dérisoire qu'elle vise à l'ubiquité, au définitif, et consiste surtout à épingler des hommes sur papier comme des papillons. Toujours est-il que la photographie ne s'embarrasse pas de détours. Elle fait irruption, précise, abondante, incontestable. Elle bouscule l'influence encore vive du retour d'Égypte, le rêve créole autour de Paul et Virginie ou l'impératrice Joséphine, le romantisme du Voyage en Amérique ou des Orientales.
Du coup, l'exotisme n'est plus ce qu'il était et on peut reprocher à la photographie cette vérité qu'elle impose, quand la peinture exalte tant encore harem et sérail, esclaves noirs et chevaux arabes, cèdres du Liban ou palmiers des isles, couchers de soleil flamboyants, et le désert et la mer toujours recommencés. Exotisme pas mort, mais modifié dans la mesure même où la photographie en étend l'aire et en révèle des éléments nouveaux, inconnus, étranges, qui ont pour eux l'atout d'être des faits, des preuves.
Elle opère au moment précis où l'Europe se charge de la responsabilité de l'ensemble du monde colonial. Les Européens d'Amérique n'ont-ils pas montré l'exemple en se dotant de tout un continent ?
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