"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Février 1932. Jacques-Marie Bauer, libraire spécialisé en ouvrages de bibliophilie, s'embarque à Marseille sur le Georges Philippar, un paquebot flambant neuf en route vers le Japon. Nouant des liens avec les autres passagers - le commandant Pressagny et sa petite-fille, l'assureur Hercule Martin, le pianiste russe Sokolowski, ou encore la séduisante Anaïs Modet-Delacourt -, il demeure mystérieux sur le motif de son voyage. Lorsque entrent en scène des Allemands, des camps ennemis se forment au sein de cette petite société cosmopolite : l'ascension d'Hitler divise l'assemblée. Aux sombres rumeurs du monde fait écho, sur le bateau, une suite d'avaries techniques inquiétantes...À travers l'histoire épique et dramatique de cette croisière pendant laquelle le grand reporter Albert Londres trouva la mort, c'est le naufrage de l'Europe que Pierre Assouline retrace en un tableau saisissant.
Considéré à son lancement comme un fleuron de la navigation moderne, le paquebot Georges Philippar n’en coula pas moins après un incendie survenu au large d’Eden, alors qu’en mai 1932, il s’en retournait de sa croisière inaugurale à destination du Japon. Quarante-neuf passagers y laissèrent la vie, dont le journaliste Albert Londres. Pierre Assouline nous embarque dans ce tragique voyage, aux côtés d’un personnage fictif, Jacques-Marie Bauer, libraire spécialisé en livres anciens, toutefois très discret sur le véritable motif de son déplacement.
Dès l’embarquement à Marseille, commence une série d’incidents techniques qui font gloser les passagers, chacun ayant clairement à l’esprit la série noire du Titanic, du Lusitania, du Britannic et du Fontainebleau. Mais, de même que l’Europe vogue alors au-devant d’une catastrophe dont on pressent de plus en plus sûrement les inquiétants contours en refusant d’y croire encore, la petite société enfermée dans son huis clos flottant choisit de se rasséréner en n’écoutant que les ronronnantes réassurances du personnel de bord et en se pelotonnant dans le confortable raffinement d’une première classe qu’elle voudrait croire à l’abri de toute menace.
Tuant le temps à « bastinguer » face à la mer, à s’observer les uns les autres et à débattre sans fin dans un entre-soi, certes cosmopolite, mondain et cultivé, mais si replié sur lui-même et ses privilèges qu’il n’a même aucune idée des invisibles deuxième et troisième classes, ne parlons donc pas des réalités du monde, cette élite qui se veut éclairée vit suspendue dans ce faux calme qui précède la tempête, sans savoir comment réagir. Et pendant qu’elle étouffe ses pressentiments dans le déni ou s’enflamme sporadiquement dans de stériles prises de bec, elle s’achemine inexorablement vers un double naufrage annoncé, celui d’un paquebot dont on préfère ignorer les évidentes malfaçons, et celui d’une Europe incapable de se positionner face à la montée d’un nationalisme prêt à la jeter dans la barbarie.
Récit historique, Le paquebot est surtout un remarquable roman d’atmosphère, peuplé d’une galerie de portraits magnifiques, et merveilleusement rédigé dans la langue soignée d’un érudit un peu plus lucide que ses congénères parce ses lectures de La Montagne magique de Thomas Mann lui font entrevoir le gouffre qui les guette tous dans leur attente confinée. Il est aussi une puissante métaphore, questionnant nos réactions face à la montée des nationalismes, d’hier comme d’aujourd’hui.
Enfin un roman comme j'en cherchais depuis un moment.
S'il est vrai que la mention "de l'académie française" peut en effrayer plus d'un, voire donner un caractère en apparence pompeux à son objet, il n'en est rien.
Erudit sans être présomptueux, élégant et tout en finesse, ce roman truffé de références littéraires examine le naufrage virtuel inexorable de l'Europe au travers de l'histoire vraie du naufrage, au sens propre cette fois, du paquebot Georges Philippart. Entre personnages de fiction et personnages réels, Pierre Assouline navigue avec brio en eau trouble.
Je conseille de le déguster, en aucun cas de le dévorer, trop de subtilités nous échapperaient.
Qui n'a pas fantasmé sur le temps des voyages en paquebots, synonymes d'époques où le trajet faisait tout autant partie de l'expérience que la destination ? Pierre Assouline en restitue si bien l'ambiance qu'on le soupçonnerait presque de revenir du passé pour raconter. Embarquer sur le Georges Philippar à sa suite est un plaisir gourmet, il suffit de se laisser aller aux subtiles descriptions d'une plume élégante et généreuse.
Nous sommes en février 1932 et l'Europe hésite encore à penser que l'après-guerre est en train de se transformer en entre-deux-guerres. Le Georges Philippar est un paquebot flambant neuf dont la croisière inaugurale embarque 358 passagers au départ de Marseille vers le Japon. Parmi eux quelques privilégiés invités par la compagnie, des industriels, des artistes de différentes nationalités. Et Jacques-Marie Bauer, libraire spécialisé en livres rares, chasseur bibliophile au service d'amateurs éclairés et collectionneurs en tout genre. Un personnage délicieux, fin observateur de ses contemporains, passionné à tendance contemplative, de ceux qui vivent à moitié dans les livres qu'ils préfèrent à d'autres fréquentations. A tel point qu'il cite sans même y penser. "Ah Bauer... A force de faire des citations, vous mourrez un jour d'une rupture d'aphorisme" s'amuse joliment l'un de ses voisins de pont. Des liens se nouent, des conversations s'engagent, des regards se chargent de promesses... Le temps s'étire dans une forme d'insouciance alors que les échos de la situation en Europe suscitent inquiétudes et débats enflammés lors de discussions de fumoir. Et puis les petits incidents de circuit électrique font parfois surgir les spectres de naufrages passés. Tout ceci est une sorte de représentation, chacun joue son rôle et c'est un réel plaisir pour le lecteur d'assister à la générale aux premières loges.
Tout le talent de Pierre Assouline est dans cette reconstitution impeccable et pleine de vie à l'aide de personnages merveilleusement incarnés dans une ambiance où l'insouciance est peu à peu grignotée par des nuages annonciateurs de drames, à petite et à plus grande échelle. Sous cet aspect suranné, les observations autour de la montée des nationalismes en Europe provoquent un écho glaçant avec notre époque. Et nous rappellent qu'à tout moment des mondes changent, meurent et pas toujours pour que naissent des meilleurs.
(chronique publiée sur mon blog : www.motspourmots.fr)
Au rythme d’un journal de bord, Pierre Assouline nous fait vivre le quotidien d’une croisière mythique au réalisme époustouflant dans un huis clos au climat toutefois tendu puisque l’on sait que ce bateau fera naufrage tout comme l’Europe qui elle aussi est en train de s’enflammer pour le parti politique d’extrême droite allemand, le national-socialisme, soit nazi en abrégé, des plus inquiétant.
26 février 1932 – 16h30.
Trois coups de sirène – Largage des amarres.
« Le Georges Philippar appareilla pour sa croisière inaugurale. »
Marseille – Yokohama. 43 jours sur mer.
767 passagers – 253 membres d’équipage.
Décoration luxueuse en boiserie vernie à la cellulose dont rampes d’escaliers et lambris dissimulent les câbles électriques distribuant du 220 volts quand l’installation n’est faite que pour du 110, ce qui engendre quelques pannes de moteur et de lumière ci et là au cours de la traversée.
« La traversée s’annonçait comme un enchantement. »
La plupart des passagers en catégorie de luxe sont des invités de la Compagnie. Les autres sont des fonctionnaires coloniaux, des militaires, des diplomates, des industriels, des entrepreneurs de l’import-export, des habitués des croisières et ceux qui restent mystérieux sur le motif de leur voyage.
Le narrateur, Jean-Marie Bauer, est un bibliophile collectionneur de livres anciens d’exception et observateur attentif de ce microcosme souvent si mondain qu’il y verra se refléter des scènes proustiennes avec ses personnages dont la Verdurin qui ‘verdurine’ ou ses arrangements de Catleyas qui prêteront à faire sourire.
La galerie de personnages qui nous est offerte de rencontrer à bord est brossée avec une plume précise et rare. Les conversations sont riches en littérature, en actualité et en débats politiques controversés qui font fureur et divise, faisant écho à nos jours…
La mise en scène est si soignée, qu’à chaque fois que j’ai ouvert le livre, j’ai échappé à mon quotidien pour me retrouver à bord dans une douce vitesse de croisière comme si je voyageais avec Bauer.
Salle à manger, fumoir, piscine, bibliothèque, salle de jeux, orchestre, pont promenade, ciel, horizon, cabines avec balcon sur la mer ... Je ressentais un immense plaisir d’être embarquée jusqu’à Shangaï à ses côtés.
Et puis la ville de Shanghai et son atmosphère. C’est au port de Shanghai qu’Albert Londres embarque. Il détiendrait des informations explosives venant de Chine…
Ils n’iront pas au Japon car la situation militaire maritime mouvementée due à la Guerre de Shanghai, ne le permettra pas et c’est de Shanghai que ce petit monde de privilégiés va faire retour vers la France chargés de souvenirs et de bonnes affaires.
Jean-Marie Bauer a pu rencontrer le Chinois Monsieur Du très inquiet du proche avenir qui s’annonce maussade et à qui il a pu acheter à prix ultra raisonnable le seul exemplaire de l’Opéra de Platon, soit toute son œuvre éditée en 1484 en un seul volume de 562 pages. Perdue puis retrouvée là, autant dire une rareté, une « huitième merveille du monde » que le bibliophile va revendre un bon prix en France.
Mais Bauer n’a-t-il fait le voyage que pour cet achat ? Fait-il partie de ces voyageurs dont le motif de cette traversée reste mystérieux ?...
Sur le chemin du retour, hormis la natation, ses promenades sur le pont, sa lecture de Thomas Mann, son flirt discret avec une femme mariée et ses échanges littéraires, le cercle de conversations qu’il avait mis en place pour tuer le temps finit par le lasser et il s’en détourna car ces réunions devinrent de plus en plus polémiques et délétères.
Toujours pour chasser l’ennui, Bauer eut l’idée alors de monter une pièce de théâtre en choisissant dans sa malle un texte inédit de Paul Claudel, « Partage de midi », en 3 actes pour 4 personnages. Le temps passait ainsi.
Puis enfin, il put rencontrer Albert Londres au bar puis lors d’une partie de bridge sur la terrasse privée des amis du célèbre journaliste, les Lang-Willar qui, rescapés, révéleront être en possession du travail d’Albert Londres quand lui, trouva la mort noyé peu de temps après ces quelques coupes de champagne sans avoir dévoilé ce grand secret qui allait faire effet de bombe dans la presse parisienne.
Malheureusement les Lang Willar périront à leur tour dans les flammes d’un accident d’avion les ramenant à Paris et les documents d’Albert Londres n’atteindront jamais aucune rédaction.
Ces drames successifs entretiendront de nombreuses rumeurs.
C’est cette nuit-là, dans le golfe d’Aden, au large des côtes somaliennes, que le drame se produisit et je vous laisse découvrir ces dernières pages, point d’orgue de ce roman mêlant histoire vraie et fiction, magistralement bien écrit.
Au gré du courant, ce livre aux turbulences inquiétantes qui nous rongent à nouveau dans la perspective d’un éventuel nouveau naufrage européen, est érudit, littéraire, dense, intelligent et passionnant avec une mise en scène théâtrale du monde passé, fine, virtuose et prévenante….
Une belle échappée maritime historique. Calme volupté électrique.
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