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C'est au xviie siècle, notamment avec Descartes, que naît le concept moderne de « nature » : une nature-objet soumise à la raison de l'homme. Une tradition tenace, européocentrée, fait remonter l'idée de « nature », comme domaine à exploiter, au concept grec ancien de phusis. Dans cette mesure, elle l'oppose à l'idée de « culture ». Qu'en est-il au juste ? La question est stratégique au moment où l'urgence climatique exige de s'interroger sur l'impact des activités humaines sur une nature désormais envisagée comme éco-système. Quelles causes ? quelles conséquences ? quelle alternative ?
Qui dit culture grecque, dit culture éloignée, dans le temps et dans l'espace. Sans doute la différence culturelle exige-t-elle une approche anthropologique.
Or une anthropologie des conceptions grecques antiques implique une approche critique de catégories historiques, dans leurs définitions indigènes.
Mais, dans cette mise à distance, elle exige aussi un retour réflexif, par le regard oblique qu'elle induit, sur nos propres concepts. La phusis grecque donc, parfois opposée au nomos (la coutume des hommes), non seulement pour repenser l'opposition moderne entre « nature » et « culture » ; mais la phusis grecque surtout pour critiquer le paradigme qui est le nôtre, dans ses effets pratiques. Il s'avère en effet que l'idée de domination et d'exploitation de ce que nous avons constitué en nature est au coeur du modèle idéologique, économique et financier imposé par le capitalisme néolibéral qui désormais façonne et détruit aussi bien le monde des hommes que leur environnement.
Concept grec de « nature » entendue comme processus dynamique de développement d'un organisme ou du cosmos, et arts techniques que le héros Prométhée mis en scène par Eschyle propose aux hommes mortels pour animer leurs relations signifiantes avec leur environnement - cette double référence à la Grèce classique permet un retour réflexif sur la « nature » et la « culture » modernes. De manière sans doute inattendue, deux savoirs contemporains, développés en technologies de pointe, peuvent y collaborer : d'une part le génie génétique, d'autre part les sciences neuronales. En effet fondés sur plasticité et interaction, les principes épistémologiques à la base de ces deux savoirs permettent, en relation avec les principes interprétatifs fondant les techniques prométhéennes, de revisiter l'opposition devenue dangereusement traditionnelle : non plus la culture face à la nature, mais les relations interactives des communautés des hommes avec leurs milieux.
Loin de constituer une nature objective qui peut être dominée par l'homme, l'environnement s'avère aussi indispensable à l'homme qu'il est configuré par lui.
À ce titre, constitué en milieu, l'environnement ne saurait être réduit à une nature dont l'homme pourrait utiliser les « ressources » pour un profit individuel devenu profit principalement matériel et financier.
C'est dès lors le principe du productivisme et du profit fondant l'économie capitaliste qui s'effondre.
À moins de conséquences destructrices aussi bien sur le climat que sur les populations les plus dépourvues, ni l'homme ni son environnement ne peuvent être envisagés en termes de ressources à exploiter. Il n'y a pas, d'un côté, une nature soumise passivement à la raison humaine et, de l'autre, une culture des hommes susceptibles, par leurs arts techniques, de tirer profit de cette nature inerte.
À l'âge de l'anthropocène, les indispensables rapports des hommes avec leur environnement sont donc à concevoir non pas en termes de relations avec un écosystème divinisé en Terre, mais comme interaction sociale avec des écologies modelées par les pratiques techniques et sémiotiques des hommes.
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