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Le cinéma a été l'invention d'un siècle obsédé par la découverte et la maîtrise du monde visible et connaissable. De là à penser qu'il était une machine à enregistrer et à garder mémoire, il n'y avait qu'un pas, presque toujours franchi. Dans l'esprit collectif, c'est entendu : le cinéma, c'est la mémoire des choses passées (définition, par ailleurs, de l'Histoire).
Dans ce bref essai, on teste l'hypothèse contraire : et si le cinéma, au fond, était plutôt une grande machine à oublier ? Déguiser la réalité en la laissant envahir par des puissances d'image ; lui donner une forme lacunaire, qui en laisse de côté définitivement des pans entiers ; affronter la mémoire collective en la remodelant et en la vouant au grand récit, c'est-à-dire à la déformation ; jouer avec le temps à ses limites. Ce n'est peut-être pas un hasard si tant de films ont repris et varié le scénario de l'amnésie.
« Seule la main qui efface peut écrire le mot juste » : l'écrivain et linguiste Bertil Malmberg avait trouvé la formule frappante, que Godard a reprise et qui convient si bien au cinéma. C'est parce qu'il est instrument d'oubli qu'il peut, finalement, jouer vraiment son rôle de mémoire des choses du monde et des événements passés - tout simplement parce que la mémoire n'est pas un trésor qu'on accumule sans fin, mais un processus, interminable.
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