"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Montréal, 1986. Muna peine à trouver un emploi. Elle est jeune et arrive directement du Liban où la guerre civile lui a tout pris à l'exception de son fils, Omar, âgé de huit ans. Loin de ses aspirations d'enseignante, elle finit par accepter un emploi de téléphoniste chez Nutri-Fort, une compagnie qui vend des boîtes repas et des conseils diététiques personnalisés. Chaque jour, sous le nom de Mona, elle se glisse à l'oreille de celles et ceux qui ordinairement l'ignorent dans la rue. Elle leur prodigue les messages de réconfort dont elle aurait tant besoin pour refaire sa vie et oublier la guerre.
Dressant un portrait minutieux du Montréal des années 1980, Dimitri Nasrallah parvient avec bienveillance à faire communiquer un Occident croulant sous la surconsommation et une Libanaise en détresse. Véritable hommage à la persévérance et à la solidarité des mères migrantes, Hotline offre dans une langue tendre une bouffée d'humanité.
« Hotline » lorsque la réalité dépasse la fiction. Une ligne directe et la contribution à la vie. Un plaidoyer à la persévérance, aux endurances altières. Un roman vertueux, intense, l’exemplarité-même. Une histoire fusionnelle. Un socle de sensibilité.
« Hotline » dans une contemporanéité criante, juste et implacable, une jeune femme, Muna, symbole des migrations, mère et veuve, sur le seuil, un pas, puis un autre, et tout changera peut-être.
Il est dit : « Ce que nous avons chassé du monde cherche aujourd’hui en chacun de nous, son refuge. »
C’est cela, un peu, beaucoup, formidablement « Hotline ». Un récit vif, qui nous donne de l’espoir, pour nous, sans rien dire, en silence. Tant son modèle marque et son halo est une lumière dans la nuit noire.
Muna est d’ubiquité. Halim, son mari a disparu. Dans un Beyrouth à feu et à sang en 1984. En proie aux bombes, aux enlèvements, aux faux-frères, filatures et effondrements. Jeune mariée, ivre d’amour pour Halim, les projets, chimères devenues. Le vide abyssal et un père qui lâche la main de son jeune enfant de 6 ans, Omar, sans penser un seul instant à un non-retour.
Muna est démunie. Une belle-famille simulacre et odieuse. Muna, devenue en un seul instant, une jeune mère monoparentale, quasi une paria pour sa belle-famille.
Partir, poursuivre l’idéal façonné avec Halim, juste avant sa disparition. Montréal, le Graal. Enseignante en langue française, le sésame en main, les bagages lourds d’un méconnu. L’incertitude aux abois est aussi une noria en plein vol et l’ombre de Muna.
Le Canada a ses propres codes migratoires. Muna a un accent, Muna et sa pauvreté, un caillou dans sa chaussure. Muna et sa vulnérabilité, le radeau de Géricault. Comment réagir dans un pays où les portes se ferment les unes après les autres ? Enseigner le français, vous ? Muna ? Mais ce n’est pas possible, voyons. Elle reçoit les diktats sociétaux en plein visage. Compte son argent dans un même élan qu’elle apprend les habitus d’un pays où déambulent tant d’étranges (ers). Elle habite dans un logement spartiate, un meublé, dort dans le canapé. La télévision allumée sans fin, opérative et salvatrice. Briser les carcans de la solitude coûte que coûte. Elle trouve enfin du travail. Dans une société « Nutri-Fort » qui confectionne des coffrets repas à des fins de régimes alimentaires. Elle doit conseiller, proposer, et apprivoiser l’interlocuteur (trice). Elle, dont la langue chante et résonne. Elle, dont la voix aurait pu être un obstacle. Elle, si son visage était vue, aurait de suite la communication coupée. Car oui, le racisme est latent, le rejet de la différence est loi. Quid du Canada et de tous les pays du monde.
Mais dans cette entreprise où Lise Carbonneau tient les rênes en équité et fraternité, il y a aussi les collègues, immigrées comme elle, siamoises dans l’adversité, toutes de concorde et de camaraderie. Muna est intelligente, intuitive, brillante et maline. Elle connaît les verbes salvateurs, écoute et console. Son charme langagier, son pouvoir de transmutation dans la douleur de l’autre, font que son score explose. L’argent advient, unanime dans la loyauté de Muna. Enfin, acheter des vêtements chauds. Le froid est mordant, la neige rebelle et intense. Omar aura des moufles chaudes.
« Notre première veillée de Noël sans personne. Pas de famille à appeler, pas de voisins chez qui arriver à l’improviste. Qu’est-ce-qu’on va faire ? Je devrais acheter un cadeau à Omar. »
Ce huis-clos est un kaléidoscope sur les migrations, les mères battantes. « Hotline » la ligne qui résiste aux tempêtes. Celle qui relie le vivre-ensemble.
Ce livre sociétal, politique, sociologique, tremblant de tant de sentiments, de force, de regards, est un hymne au courage. Réaliste, engagé, il pointe du doigt là où ça fait mal. Mais chaque crépitement est un requiem pour Muna, Omar et tous ces humanistes qui gravitent aussi dans les lignes. « Hotline » est un livre-monde, humble et patient, inouië.
« -Vous avez raison, Mona. Vous avez tellement raison. Je vais essayer.
-Vous pouvez le faire, quand vous serez prête. Vous êtes capable. »
Ce livre universel est une ode à la femme immigrée. Le pouvoir d’une ligne cosmopolite. Une renaissance allouée.
Traduit de l’anglais (Canada) par Daniel Grenier. Ce grand livre de Dimitri Nasrallah a reçu de nombreux prix. Publié par les majeures Éditions La Peuplade. Une chance éditoriale cruciale.
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