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Le maître argentin ébauche avec cette « Histoire universelle de l’infamie » son œuvre en prose. Comme il l’avoue lui-même avec modestie dans la préface à l’édition de 1954, ces histoires « représentent le jeu irresponsable d’un timide qui n’osa pas écrire des nouvelles et s’amusa à falsifier et à déformer (parfois sans aucune justification esthétique) des récits d’autrui ». Ce qu’il ne dit pas, et que le lecteur découvrira en lisant ces pages, c’est qu’il s’exerce avec habileté à la construction d’un récit, peaufinant sa prose qui donnera par la suite moult formidables nouvelles, et qu’il insère déjà dans ces premiers textes les thématiques et les effets de style qui lui sont chers, comme son goût de la mystification, sa méfiance envers les masques (qui travestissent la vérité sous de fallacieuses apparences), son plaisir à l’énumération, son art de décrire en quelques lignes et avec une justesse extrême une situation ou une action, son plaisir d’user de l’hypallage.
Avec, en outre, l’habituelle érudition de M. Borges, qui nous fera découvrir ici, entre autres, Hashim ibn Hakim, le prophète voilé, Arthur Orton alias Tom Castro, le faux fils revenu d’entre les morts, la légende de l’Ouest, Billy the Kid, ou encore le chef de gang de New York City Monk Eastman. Usant de fausses références, n’hésitant pas à bousculer les certitudes de son lecteur en le manipulant habilement avec une subtile ironie, et toujours avec la plus grande intelligence, il est à mes yeux indispensable de découvrir les textes de cette « Histoire universelle de l’infamie » si l’on veut mieux comprendre le talent littéraire du fameux bibliothécaire portègne.
Ce à quoi j’ajouterai, pour terminer, qu’à travers ce choix des bandits, des réprouvés, des êtres moralement condamnables, et sa façon de ne les dépeindre que par petites touches, on trouve aussi dans cet ouvrage d’universelles vérités sur la nature humaine. Même si M. Borges joue certainement de ce goût du public pour le sensationnel, et s’en amuse même, il sait aussi reconnaître et user de la puissance mélodramatique des destins qu’il a choisis, et des épisodes qu’il nous rapporte. En tous les cas, un plaisir immense de lecture, que je recommande vivement.
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