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«A quoi bon consacrer un dossier à João César Monteiro, objet privilégié de la cinéphilie française?», pourrait nous objecter le lecteur. Deux raisons à cela, au moins. En premier lieu, la littérature secondaire à son sujet est peu abondante - principalement, un recueil chez Yellow Now et un ouvrage «somme» publié par la Cinémathèque portugaise. Il faut le concéder, le cinéma de Monteiro résiste singulièrement à l'analyse. En effet, celui-ci multiplie les fausses pistes, notamment en exhibant le voyeurisme de son personnage ou en recourant à une intertextualité généralisée, qui font écran à la bonne intelligibilité de ses films. En second lieu, nous assistons à un fait plutôt rare, c'est-à-dire à la création d'un personnage filmique, lequel joue sur une contagion réciproque entre la figure de l'auteur et le rôle de l'acteur, celui-ci composant une projection fantasmatique de celle-là. Mais alors, pourquoi se restreindre à la trilogie de Dieu, entendue, qui plus est, en une acception élargie (comprenant rien moins que cinq longs métrages et un court métrage)? De notre point de vue, elle se distingue de la première «période» de Monteiro, ancrée dans la culture portugaise; selon un axe diamétralement opposé, la trilogie récapitule et dépasse l'oeuvre précédente en mettant simultanément en jeu le corps propre de Monteiro et une dissimulation de sa personne sous le masque de l'érudition, à travers un recours massif aux citations. Il nous a ainsi paru fructueux d'étudier précisément ce qui se joue dans ce corpus particulier.
Le présent dossier souscrit pour une part à une approche textuelle, en vue de rendre compte de la logique de l'oeuvre, et pour l'autre à une approche esthétique, dans le but d'analyser la mise en forme de la trilogie. On notera l'absence de grilles de lecture issues du modèle des gender studies ou du féminisme appliqué au cinéma, que l'objet «Monteiro» semble appeler de manière trop évidente. En effet, stigmatiser le regard censément sadique de films qui offriraient de jeunes vierges en pâture à un vieux pervers revient selon nous à céder à la stratégie de leurre et de camouflage qui préside au cinéma de Monteiro, laquelle masque la logique interne de ses oeuvres. Nous ne nions pas la présence de ces éléments dans les films, mais nous soutenons que cette dynamique est désamorcée par un jeu de décalage et par le recours à la comédie: en fait, c'est toute une tradition de la perversité, de Sade à Bataille, qui se trouve ici théâtralisée et convoquée à titre de citation. Nous pourrions soutenir à l'opposé qu'une lecture attentive des films de Monteiro serait riche en enseignements pour une analyse féministe des dispositifs de vision sur lesquels repose le cinéma - lecture qui reste encore à faire...
Nous ne proposons pas seulement une analyse de la trilogie de Dieu; nous soumettons encore à l'attention du lecteur une série de documents, à savoir des traductions de textes de jeunesse de Monteiro et un entretien avec son dernier chef opérateur. Nous entendons ainsi rapporter la trilogie de Dieu aux intentions qui animent Monteiro depuis son entrée dans le cinéma en tant que critique: l'intransigeance et la radicalité de ses propos, ainsi que l'aspect vindicatif de ses prises de position dans le contexte de la cinéphilie se concrétisent à travers l'investissement d'un double fictionnel de l'auteur comme paria, «suicidé de la société». Les textes que nous traduisons rendent compte de la pluralité des registres de l'écriture de Monteiro: il peut s'agir de critiques de films (en tant que spectateur au Festival de Pesaro, en 1970, il prend la défense des rares films qui lui paraissent singuliers, de Fassbinder à Garrel en passant par Arrietta); de textes autobiographiques («Ma certitude» qui relate son passage au cinéma, ou encore le manifeste «Petit papier» qui dénonce l'état de la production cinématographique au Portugal); de poèmes («Corps submergé», un recueil de jeunesse désavoué par son auteur); et enfin de documents parafilmiques (un extrait non tourné du scénario du Bassin de J. W. et le «journal intime de Jean de Dieu», tenu sur le tournage de La comédie de Dieu). Par ailleurs, en donnant la parole à Mario Barroso, chef opérateur de Monteiro depuis La comédie de Dieu, nous sommes plus à même de percevoir le processus d'élaboration du style qui restera attaché au cinéaste lusitanien, caractérisé par l'épure et la fixité des plans, ainsi que par un éclairage minimal permettant les contre-jours et les fausses teintes.
Les analyses critiques suivent trois axes qui parfois s'entrecroisent: l'analyse proprement dite des films de la trilogie; la prise en compte de leur réception critique au Portugal et en France, sa terre d'élection en quelque sorte; enfin le décryptage des intertextes que le cinéaste met en jeu, en relation à sa culture cinéphilique. François Bovier et Cédric Flückiger retracent les dispositifs de vision au centre de la trilogie, mettant en évidence la dynamique fétichiste de ce cycle vu à travers le filtre de Bataille. Apparaît ainsi la prédominance du motif de l'oeil et de ses différents substituts (les boules de glace, les oeufs, un monocle, etc.), selon un mouvement de transgression systématique. Mathias Lavin met en évidence un certain nombre de clefs dans l'univers monteirien, en ressaisissant les citations cinéphiliques qui émaillent la trilogie. En ressort une dynamique carnavalesque, étroitement articulée à la culture vernaculaire portugaise. Bovier et Flückiger, analysant deux films adjacents à la trilogie, décrivent la dérive et la destitution du personnage de Jean de Dieu. C'est l'occasion de réinscrire la posture de Monteiro dans la tradition cinéphilique française (en l'occurrence, Serge Daney), tout en posant la question des improbables affinités entre la résistance politique et le réalisme cinématographique (à travers l'étrange binôme Straub/Huillet et Rossellini). Ricardo da Silva, suivant une approche historiographique, remet en cause le mythe de l'artiste maudit construit par la critique française, constituant à la fois une entreprise de récupération et de réhabilitation de son oeuvre. Il expose encore la carence de la prise en compte de ses films au Portugal, la critique s'en tenant au caractère scandaleux de la trilogie et à l'aura que son auteur a acquis sur un plan international.
La rubrique cinéma suisse est centrée autour de deux figures du jeune cinéma romand, Jean-Stéphane Bron et Lionel Baier, le premier envisagé par Alain Boillat dans son rapport au documentaire, et le second par Laura Legast dans sa pratique de l'autofiction. Boillat met en évidence la tension fructueuse qui se noue entre le modèle de l'entretien filmique et la référence au film de famille d'une part, et l'incarnation des personnages dans la fiction filmique d'autre part. Le passage à la fiction de Bron est ainsi négocié avec succès, celui-ci jouant avec les codes affiliés au cinéma documentaire. Legast s'attache aux projections autobiographiques de Baier et au jeu de miroir qui s'installe entre les différentes déclinaisons de sa personne (ainsi Lionel Baier cinéaste joue un personnage homonyme, lequel a écrit un roman de jeunesse autobiographique, rejouant dès lors l'énonciation du film). Les ascendances polonaises supposées de la famille autorisent de plus la réactivation du genre du road movie comme métaphore d'un retour aux sources. Par ailleurs, Boillat s'interroge sur les implications esthétiques du montage dans Das Fräulein d'Andrea Staka.
Alain Freudiger applique des notions propres à l'analyse de films, telles que le montage ou le hors-champ, à un objet qui n'est qu'indirectement apparenté au cinéma, en l'occurrence la vidéosurveillance et le «happy slapping». L'originalité de la démarche de Freudiger, croisant une perspective sociologique à l'examen des dispositifs de vision, le distingue des lieux communs qui abondent habituellement et récemment encore dans la presse suisse romande. Enfin, Marthe Porret et Anne-Katrin Weber présentent le cursus du nouveau Master Cinéma.
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