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Après déconnexion des réseaux sociaux ou autres, plongez-vous dans un super roman graphique dans lequel personnages, lieux et objets entrent en perpétuelle interaction.
Connexions de Pierre Jeanneau, diptyque dont la première partie Faux Accords est parue aux Éditions Tanibis, est, graphiquement parlant, une des bd les plus originales et bluffantes qu’on ait vues depuis longtemps et sa structure narrative, extrêmement précise et ingénieuse n’est pas en reste.
De la recherche du livre perdu (dans le désert?) du premier chapitre au livre retrouvé du dernier, se déroulent une histoire ou plutôt des histoires qui peuvent paraître somme toute très ordinaires, tranches de vie de six trentenaires, amis, amoureux, rivaux parfois, à la croisée des chemins, à l’âge où l’on prend son envol, s’installe dans la vie, où l’on réalise ou pas ses rêves. Campé dans une grande ville contemporaine anonyme, ce subtil récit choral surfe sur des vagues nommées amitié, amour, rupture, passions et désillusions où les décisions prises par les uns ont un impact sur la vie et les décisions prises par les autres avec en bande sonore le rock qui rythme leur existence. Ce premier opus Faux accords est constitué des six premiers chapitres d’une histoire qui en comptera douze comme les douze mois de l’année. Un chapitre, un personnage. On suivra tour à tour Javier, Faustine, Marc, Assia, Matthew et Judith. Beau clin d’œil facétieux de l’auteur dans le choix judicieux des prénoms. Je parierais bien sur Jérémy, le patron du Shipyard café pour ouvrir le bal du deuxième volet et Déborah la collègue de Faustine pour le clore...
Alors Connexions une banale histoire à plusieurs voix ?
Ce serait compter sans le talent de Pierre Jeanneau, co-fondateur des éditions Polystyrène, véritable laboratoire d’exploration de nouvelles formes de narration s’inspirant de l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle). C’est au cours de recherches effectuées au sein de cette maison que, s’inspirant d’une affiche de Chris Ware réalisée pour le festival anglais Elcaf, lui est venue l’idée de représenter les différents espaces – intimes, professionnels, urbains – en axonométrie dans Connexions dont les premiers chapitres ont été auto-publiés séparément sous forme de fanzines en noir et blanc avant le passage au format album en couleurs aux Editions Tanabis , suite à un formidable travail de révision par l’auteur et son éditeur.
Outre cette représentation des lieux réalisée à l’encre de Chine et à la plume avec utilisation d’une grille – reproduite en pages de garde – placée sous la feuille blanche éclairée à la table lumineuse, l’autre grande trouvaille visuelle est, sans conteste, la forme hexagonale des bulles et des images incrustées ce qui oblige l’œil à parcourir l’espace et permet au texte de dialoguer pleinement avec le dessin.
Deuxième source d’inspiration : l’esthétique des jeux vidéo des années 90 et son fameux point and click. Le mix de ces deux procédés va nous entraîner dans une nouvelle expérience de lecture absolument fabuleuse. Afin que le lecteur ne soit pas dérouté et entre immédiatement dans le vif du sujet, l’auteur va nous proposer dès les premières pages une sorte de tuto, introduisant les codes de narration petit à petit.
Allez, cliquons sur le premier chapitre et voyons ce qui ce passe …
En première page, une seule case hexagonale centrée sur un fond noir qui envahit toute la page nous fait pénétrer dans la chambre de Javier endormi. Page suivante, il se lève. Et page après page, au fur à mesure qu’il avance, les autres pièces qu’il traverse vont se matérialiser : le couloir, la salle de bains … et enfin le salon pour s’achever sur une vue complète de l’appartement qui s’étalera sur une double page. Et là, premier point and click, se détache une image, hexagonale elle aussi, zoom sur la photo d’un couple, puis une autre, sur une pile de cartons au nom de Faustine entassés dans un coin. Et l’on comprend bien évidemment que la fille sur la photo, c’est Faustine et que le couple vient de se séparer…
Tout au long de l’histoire, les objets, vecteurs de souvenirs nous entraînent dans des flashbacks en noir en blanc où les cases - bulles à l’intérieur - s’enchaînent. Ce procédé ingénieux permet de distinguer aisément passé et présent pour lequel les bulles se trouvent à l’extérieur et donne une grande fluidité et lisibilité au récit. Le remarquable travail de Philippe Ory sur la couleur vient admirablement compléter ce choix narratif conduisant l’œil là où il se doit d’être en jouant notamment sur l’ombre et la lumière.
Un petit bijou de construction
Chaque chapitre au titre à la fois évocateur et énigmatique s’ouvre par le truchement d’une case hexagonale sur fond noir représentant le personnage dans son environnement proche ; une autre case hexagonale toujours sur fond noir viendra le refermer.
D’un chapitre à l’autre cependant, l’auteur va varier les plaisirs en manipulant les concepts espace temps, jouant sur la variation des déplacements linéaires dans le premier chapitre, introduisant la verticalité dans le deuxième, déplaçant également le curseur sur le ligne du temps : simultanéité de plusieurs actions dans un même lieu ou au contraire leur succession.
Et puis, et puis, omniprésente, parcourant tour l’album, il y a la musique …
Tout se précise, s’enchaîne, se répond avec maestria.
Connexions, un livre branché qui porte bien son nom, véritable prouesse graphique aux multiples trouvailles visuelles et narratives est un album à ne pas rater ! Vivement la suite !
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