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Ce n'est pas si souvent que l'on a l'occasion d'évoquer Israël, de lire un titre évoquant le pays et sa culture, sans que le conflit dans lequel Israël est embourbé ne soit évoqué, même une fois. Sarah Blau réussit ce tour de force dans ce roman policier, publié aux Editions Presses de la Cité, dans la collection Sang d'encre. Sarah Blau est l'une des voix contemporaines de la littérature israélienne, et féministe, si l'on en croit son parcours, elle est déjà l'auteure de trois autres romans ainsi que de nombreuses pièces de théâtre et nouvelles. Les filles de Lilith est son dernier roman en date : si la traductrice a tenu a garder trace de toute la spiritualité hébraïque, qui enveloppe l'intrigue de Les filles de Lilith, mais également ses trois autres romans. C'est ainsi le premier de ses écrits qui ait été traduit non seulement en français, mais aussi en anglais.
J'ai évoqué brièvement le côté religieux du roman - la narratrice étant conférencière au musée de la Bible - il n'empêche que c'est un roman très moderne et féministe, qui traite d'un sujet qui a tendance à fâcher un peu tout le monde sauf les principales concernées : les femmes qui ne souhaitent pas avoir d'enfants. Sarah Blau l'évoque, Tel Aviv est une ville assez composite, qui mêle les extrêmes, ce traditionalisme religieux, conservatisme et modernisme, l'essor malgré tout du progressisme : les quartiers des Juifs orthodoxes, hassidiques, et les quartiers flambants neufs se côtoient, se tolèrent, sans se mélanger. Au centre de cette histoire, il y a Sheila qui entame sa quarantaine, qui occupe un poste dans le musée du coin, célibataire, sans enfant. C'est une femme qui navigue entre deux eaux, sans attache particulière, si ce n'est au passé avec des souvenirs, et ses personnages, qui sont devenus au fil des ans un peu encombrants, d'autant qu'ils refont brusquement surface dans sa vie. Dont cette amie avec laquelle elle partageait cette conviction intime de ce que l'auteure nomme "courant controversé", ces "féministes antinatalistes".
En sus de la presque traditionnelle enquête policière menée avec fougue par un mystérieux enquêteur du cru, c'est le milieu encore très patriarcal d’Israël, comme de nombreux autres pays, dans lequel se fond le décorum des crimes, le meurtre de ces femmes sans maternité, qui n'ont jamais ressenti le besoin d'être mère. Dans un pays profondément ancré dans la religion comme l'est Israël, et malgré tous les progrès à l'égard de la place de la femme, le refus d'enfant, c'est une problématique liée à la religion à un moment ou à un autre. Lilith ce prénom que je trouvais si beau jusqu'à ce que j'apprenne que dans la religion juive, il représente un démon féminin dans le judaïsme nous rappelle ce lien "elle représente un danger pour les femmes enceintes et pour les enfants que l'on protège, et cela, grâce à des amulettes." La représentation est forte de sens, cette assimilation aux esprits malfaisants souligne à quel point c'est un sujet qui n'a pas fini de faire parler de lui.
L'enquête est soutenue par une tension presque érotique entretenue entre celle qui est devenue le principal suspect, Sheila Heiler, et Micha, cet enquêteur plus jeune, hautain et hargneux, qui s'acharne à la presser jusqu'à la moelle : si aucune qualité remarquable ne caractérise ces personnages, et cela me semble plutôt judicieux dans la mesure où cela les ancre dans un contexte proche du notre, même si le contexte religieux est fondamentalement différent. Car si un certain traditionalisme hante ce roman, il est évidemment religieux, mais pas seulement : c'est presque une exigence sociale encore par chez nous ou la femme a encore à se défaire de ce que la société patriarcale attend d'elle. Et la société israélienne est par bien des côtés à la pointe de la modernité, du moins pour celles et ceux qui s'affranchissent du carcan religieux, et où les femmes peuvent faire des choix en ne tenant pas compte de ce que la morale réprouve. Israël apparaît à mi-chemin entre ces deux inclinaisons et cette enquête sur les meurtres de ces femmes "sans enfant" en démontre justement toute la contradiction.
J'ai beaucoup aimé ce titre, qui se lit vite et facilement, la dimension religieuse reste totalement accessible, car il emprunte efficacement à plusieurs genres différents, et si l'accent n'est pas mis sur le côté sensationnel des assassinats - du moins juste ce qu'il faut - cela donne à Sarah Blau toute la latitude nécessaire pour développer in fine l'aspect sociétal qui en ressort. Et si cela peut donner plus d'impulsion pour une reconnaissance générale sur le fait que posséder un utérus ne donne pas lieu systématiquement à une maternité ou même à un désir d'enfant, ne nous en privons pas.
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