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Quel travail de titan a réalisé Roger Moorhouse !
Cet historien britannique s'est attaqué au pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939 par Molotov et Ribbentrop avec l'aval de Staline et Hitler et son livre, le Pacte des Diables est publié en français cette année.
En seulement vingt-deux mois, de 1939 à 1941, le sort de populations entières a été réglé avec des déportations, des tortures, des emprisonnements, des exécutions et surtout une emprise sur de plus en plus de territoires de la part de deux pays voulant se partager le monde.
Ce pacte germano-soviétique que l'auteur appelle justement le Pacte des Diables, j'en ai entendu parler, comme tout le monde, bien sûr. Il est évoqué dans les cours d'histoire mais là, l'auteur, bien traduit par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, va au fond des choses, dissèque littéralement toute la période en s'appuyant sur une quantité impressionnante de documents cités sur plus de soixante-dix pages à la fin de l'ouvrage.
Après une introduction où Roger Moorhouse affirme que ce pacte a une importance capitale, le prologue m'a placé d'emblée au contact des deux armées à Brest, Pologne orientale, en septembre 1939. Guderian pour la Wehrmacht et Grivocheine pour l'Armée rouge s'entendent pour faire défiler leurs troupes au coeur d'un pays balayé par les appétits de deux dictateurs.
Suivent alors neuf longs chapitres ne laissant rien au hasard, parlant aussi bien de ce qui se passe au sommet que de ce que subissent les populations civiles. de plus, l'auteur n'oublie pas d'évoquer les conséquences du pacte pour les partis communistes d'Allemagne, de France, d'Espagne, de Grande-Bretagne, des États-Unis…
Les avis cités peuvent être contradictoires mais tout cela éclaire de façon précise ce qui s'est joué entre deux pays que tout opposait. Les discussions étaient ardues. Les émissaires se rencontraient soit à Moscou, soit à Berlin mais l'entente n'était que de façade. Pour Hitler, il s'agissait d'abord de récupérer des matières premières pour faire tourner une économie tournée vers la guerre. Quant à Staline, il savait que l'URSS avait besoin de machines, d'une industrialisation urgente. Les échanges ont eu lieu mais que de souffrances pour les gens du peuple !
Le cahier central de seize pages propose des photos d'archives ne montrant pas que des généraux mais aussi les gens du peuple comme cette famille polonaise déportée posant devant son « nouveau foyer » au Kazakhstan soviétique ou encore ces Juifs entassés sur une charrette par les nazis et même ces Allemands dits « de souche », Volksdeutsche, se bousculant pour monter dans un train afin d'intégrer le Reich…
À la fin du livre, avant les notes, l'auteur a publié le texte du pacte germano-soviétique ajoutant le protocole secret longtemps nié par les Russes. C'est dans cet appendice que le sort des États baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie) est scellé, l'URSS s'adjugeant en plus une partie de la Roumanie, la Bessarabie. Cet appétit insatiable de territoires, Hitler et Staline l'ont en commun et, chacun à sa façon, opprime les civils. L'un s'acharne sur les Juifs qui tentent de se réfugier à l'est alors que l'autre pousse le NKVD, la police secrète, à arrêter, à torturer, à déporter au goulag celles et ceux semblant ne pas être en accord complet avec le bolchevisme.
La Finlande aussi est convoitée par Staline qui voit son armée s'y enliser durant l'hiver car ce pays résiste, soutenu par la SDN (Société des nations) mais la Finlande finit par céder et signe un traité avec l'Union soviétique en mars 1940.
Quand, dans les premiers mois de 1941, Hitler masse des troupes tout le long de la frontière, de la Baltique à la Mer Noire, Staline refuse tous les avertissements qui lui sont donnés. Son pays paiera très cher son aveuglement quand, le 22 juin 1941, à 3 h 15, l'assaut est donné sur 1 300 km avec une pluie de bombes, trois millions d'hommes, des milliers de chars et d'avions. Derrière ces troupes, les Einsatzgruppen de Himmler assurent un nettoyage effroyable, un massacre systématique, la Shoah par balles.
À Londres, Churchill réalise enfin que l'URSS a basculé, que le pacte germano-soviétique est caduc et que la Seconde guerre mondiale prend une autre tournure, même si les USA attendent le désastre de Pearl Harbour pour se lancer afin d'anéantir les nazis mais c'est une autre histoire.
Je remercie Babelio (Masse critique) et les éditions Buchet/Chastel pour cette leçon d'histoire jamais rébarbative malgré sa longueur.
Roger Moorhouse a été courageux et a bien fait de s'attacher à faire la lumière sur une période souvent négligée et pourtant essentielle.
Chronique illustrée à retrouver sur : http://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/
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