"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Peut-être que la poésie ne fait rien advenir, mais c’est un roman qui a détruit Hiroshima et sans Hiroshima il n’y a pas de moi et les mots que vous lisez s’effacent et moi avec eux. » Explorant l’histoire de sa jeunesse en même temps que celle de l’invention de la bombe atomique, Richard Flanagan signe un récit autobiographique vertigineux, hanté par des questions sans fond.
Le titre Question 7 fait référence à une nouvelle de jeunesse de Tchekhov, dans laquelle l’écrivain parodiait les problèmes de calcul posés aux écoliers pour ouvrir des interrogations beaucoup plus vastes et surtout sans réponse. Tchekhov : « un train devant partir de la gare A à 3 heures du matin pour arriver à la gare B à 11 heures du soir », mais « le conducteur ayant reçu l’ordre d’atteindre la gare B à 7 heures du soir au plus tard », « qui aime le plus longtemps, un homme ou une femme ? » Et Flanagan de rebondir : « Qui ? Vous, moi, un étudiant d’Hiroshima ou un prisonnier de guerre ? Et pourquoi faisons-nous ce que nous nous faisons les uns aux autres ? Voilà la question 7. »
Des interrogations immenses vouées à demeurer en suspens, l’obligeant en fin de compte à soupirer « c’est la vie », l’auteur n’en manque à vrai dire pas. D’abord à propos de son père qui, libéré in extremis par la bombe atomique sur Hiroshima alors que, prisonnier des Japonais, il pensait mourir sur le chantier de la « Voie ferrée de la Mort » entre la Thaïlande et la Birmanie, n’évoquait jamais sa terrible captivité tout en en conservant la charge mentale pour le restant de ses jours. Comment vit-on quand on doit la vie à l’une des plus effroyables – et pourtant préméditée - catastrophes humaines qui soient ? Voilà une question 7 qui vaut autant pour son père que pour l’auteur lui-même, et qui nous fait remonter à ses côtés une enfilade de causes racines commençant par… un baiser !
Car, si l’écrivain H.G. Wells n’avait pas embrassé la journaliste Rebecca West en 1913, puis fui sa redoutable amante en Suisse l’année suivante, sans doute n’aurait-il jamais écrit ce roman méconnu, La Destruction libératrice, où il imaginait ce qui relevait alors de la pure science-fiction, mais qui, pris au pied de la lettre dans les années 1930 par le physicien hongrois-américain Leó Szilárd, devait devenir réalité : une bombe atomique capable de destructions massives sans précédent. L’exofiction se fait prétexte à une réflexion sur le poids de nos actes et sur les fantômes qui ne cessent de nous accompagner, comme si le temps ne coulait pas, mais retenait passé et vécu dans un perpétuel ressac obérant à jamais présent et futur.
Descendant d’Irlandais déportés en Australie, l’auteur évoque également à travers ses parents le refoulement des origines dans une Tasmanie bâtie, entre bannissement et colonisation, sur le génocide des aborigènes et sur l’enfer du bagne. Les spectres sont là encore légion à infléchir de tout leur poids la vie des Flanagan, mais aussi, dans une occultation transpirant le malaise, du pays tout entier. « Il y avait une grande souvenance qui était aussi un grand oubli, cent ans de silence qui, en y prêtant l’oreille, résonnaient comme un cri. » Familiale ou collective, la thématique de la mémoire investit de plus en plus le livre. « Le passé, c’est peut-être là où nous allons sans jamais y avoir été. » Et elle renvoie alors l’auteur à sa propre expérience avec la mort lors d’un accident de canoë : « L’expérience est l’affaire d’un instant. L’assimiler prend tout une vie. »
Après s’y être repris six fois en douze ans jusqu’à cette version aboutie, croisant expérience intime et regard éclairé sur le monde, Richard Flanagan partage une réflexion sur l’Histoire, la mémoire et ses traumatismes en tout point remarquable et passionnante. Une belle prouesse littéraire pour un grand coup de coeur.
Anna a deux frères, Tommy artiste raté et Terzo, qui a une situation plutôt aisée. Tommy est celui qui est le plus proche de leur mère dont la santé décline. La vie d’Anna devient rythmée par les appels de Tommy qui lui annonce accident de la vie ou rechute de la santé de leur mère. Ce sont les allers-retours à l'hôpital qui s'enchaînent, les concertations entre frères et sœur pour prendre les décisions concernant les traitements de leur mère allant jusqu’à l’acharnement face à ce corps qui se dégrade.
Anna fait également face à des changements dans son corps. Certaines parties disparaissent. Ce qui est constaté par sa compagne Meg mais que personne d’autre ne remarque vraiment.
L’auteur nous captive par son histoire, nous liant à Anna dans sa détresse en tant que fille, en tant que mère, en tant que femme dont le corps disparait et dont le monde est bouleversé. Elle s’échappe grâce à son téléphone sur les réseaux sociaux. L’occasion pour l’auteur de nous présenter un monde dans lequel le système écologique s’écroule entre les chaleurs records partout dans le monde et les catastrophes naturelles.
Plusieurs sujets difficiles sont abordés: l'accompagnement en fin de vie du point de vue des enfants, le deuil dans une famille, la démence de proches à travers la maladie, la communication et l’impuissance parfois d’Anne en tant que parent mais également, discrètement la dégradation de notre environnement.
Avec ce roman, l’auteur réussit de manière très impressionnante à créer et entretenir une atmosphère mystérieuse, intrigante dans laquelle il installe le lecteur. On avance de manière incertaine, captivante et pas si paisible qu’on pourrait le croire.
Je sors de cette lecture impressionnée par la merveilleuse plume de Richard Flanagan.
C’est un livre très riche que Richard Flanagan mène majestueusement, maîtrisant une ambiance envoutante, maintenant l’équilibre entre réalité, illusions et rêves.
Il fera désormais partie, pour moi, des écrivains qui réussissent à sublimer le banal, à nous entraîner dans les histoires d’épreuves de la vie en y ajoutant de la magie.
Quel puissant et profond roman
D’autant plus prégnant qu’il est inspiré de la vie du père de l’auteur.
Dorrigo Evans est un jeune chirurgien australien amené à soigner et commander les prisonniers faits par les japonais.
C’est en pleine guerre du Pacifique et les prisonniers doivent construite une ligne de chemine de fer en pleine jungle pour relier le Siam et la Birmanie.
Or ils sont tous blessés, malades, affamés. Outre la mousson, ils doivent subir les épidémies, la vermine, la faim, la crasse, les châtiments……. et travailler jusqu’à ce que bien souvent mort s’en suive.
Les pages relatant ces événements sont sublimes et se dévorent, nous laissant dans un écœurement profond.
Et puis il y a Amy, l’amour passionné de Dorrigo. « Amie, amante, amour », ces trois mots qui l’aident à surmonter tout cela.
Le livre raconte en détail ces pages atroces de l’Histoire, et fait revivre quelques uns des hommes impliqués, tant du côté des Australiens que des Japonais, avant, pendant et après la guerre.
Abomination de toutes les guerres !
Après la guerre, Dorrigo est devenu un chirurgien célèbre, reconnu, admiré.
Marié, il collectionne pourtant les aventures bien que n’oubliant jamais Amy, son amour impossible.
Mais c’est surtout l’histoire d’un homme profondément seul, qui ne comprend pas sa vie.
Un destin brisé par l’amour et par la guerre.
Merci à Olivier Auroy de m’avoir conseillé ce livre fort à côté duquel il est vraiment très dommage de passer.
Une claque ! Une fresque époustouflante écrite dans une langue remarquable. Il y a d’abord le récit poignant de ces prisonniers australiens, forçats pliant sous le joug de l’envahisseur japonais. Extrait numéro 1 :
« Il essayaient de tenir grâce à leur causticité australienne, leurs jurons australiens, leurs souvenirs australiens et leur camaraderie australienne. Mais soudain cette Australie mythique ne suffisait plus face aux poux, à la faim et au béribéri, face aux vols, aux corrections et à toujours plus d’exploitation. L’Australie rétrécissait, se ratatinait, un gain de riz paraissait désormais beaucoup plus gros qu’un continent et les seules choses qui grandissaient quotidiennement étaient leurs chapeaux cabossés, déformés, désormais aussi imposants que des sombréros sur leurs visage émacié et leurs yeux sombres au regard vide, des yeux qui ressemblaient déjà à des orbites noirâtres attendant les vers ».
Le personnage central, Dorrigo Evans, emporte tout sur son passage, au fil des pages. Héros de guerre, chirurgien, « saint sans croire en Dieu » comme le médecin de la Peste de Camus, terriblement solitaire, mari imparfait, père absent, être en suspens que les hommes qui le croisent n’oublieront jamais… comme le lecteur. Extrait numéro 2 :
« Dorrigo Evans détestait la vertu, détestait l’admiration qu’inspirait la vertu, détestaient ceux qui le prétendaient ou se prétendaient vertueux. Et avec l’âge, plus on l’accusait d’être vertueux, plus il détestait cela. Il ne croyait pas en la vertu. Elle n’était que vanité déguisée, guettant les compliments. Il en avait assez de la noblesse et de la générosité, et c’était dans ses travers qu’il trouvait Lynette Maison la plus admirablement humaine ; c’était dans ses bras infidèles qu’il puisait sa foi en cette étrange vérité selon laquelle tout n’est qu’impermanence ».
Autre réussite, le récit de la guerre du côté des bourreaux. Clint Eastwood dans ses films, Jérôme Ferrari dans son livre sur l’Algérie avaient déjà exploré cette voie. Il n’empêche, l’auteur réussit à nous faire aimer les auteurs de la torture et du néant, parce qu’ils sont aussi des hommes, parce qu’ils ont été dressés, dès leur plus jeune âge, à l’amour inconsidéré de leur patrie, au mépris total de la mort, un accident de la vie.
Richard Flanagan, dix ans durant, a construit un monument de la littérature contemporaine, d’une puissance inégalée qui justifie pleinement les nombreux prix qu’il a reçu. C’est un de ces chefs d’œuvres qui vous suit toute votre existence, qui ne s’oublie pas, pour la justesse de ses réflexions, la beauté et la singularité de es personnages, la force de ses descriptions et le caractère universel de son propos.
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